Les corruptions

On avait assisté à une grande marche contre la corruption à l’appel du Collectif du 4 décembre et d’autres associations de la société civile. Elle n’avait pas drainé autant de monde que la marche verte en République dominicaine, mais il fallait quand même un premier pas. Une première tentative. Nous vivons dans une société qui tire ses racines historiques de la flibuste. Saint-Domingue, terre de forbans !

 Terre d’opportunités pour ceux qui peuvent s’acoquiner avec le diable, pactiser avec lui. Terre de mensonges. Terre du grand roman pour faire oublier les vrais vaincus, ceux qui n’auront jamais la possibilité de remonter la pente, de revoir la lumière du mieux vivre, du mieux-être. On vit chez nous avec la corruption. Tout le monde espère être aux commandes dans un espace où il pourra jouir des mille jeux de la corruption. Surtout que l’État ne fait que jouer de la comédie, pour faire semblant d’être un État, un État prétexte, dont le peu qu’il offre n’a de raison que la possibilité perpétuelle des loups de s’empiffrer, de s’engraisser.

On bâtit ses plans de vie sur les rails de la corruption.  C’est pour cela qu’il y a si peu d’énergie à combattre chez nous la corruption. On peut se servir de la lutte de la corruption pour mettre à mal un adversaire au pouvoir. Pour le déchouquer comme on le dit. On a une expertise vérifiée dans les combats tous terrains pour faire mordre la poussière au gouvernement. Mais une fois cet objectif atteint on ira jamais trop loin dans la prétendue lutte contre la corruption. En fait, l’image de la branche pourrie est la seule qui peut illustrer la situation. Tout le monde rêve de venir s’asseoir sur la branche pourrie.

 Comment pourrait-on vouloir alors couper cette branche ? Le pire c’est qu’on n’est même pas capable d’imaginer qu’il puisse avoir d’autres branches. Il en existerait une seule. C’est ainsi qu’on entend des gens apparemment sains d’esprit déclarer le plus sérieusement du monde que notre pays ne peut que rester dans le bourbier dans lequel il est, et que toute tentative pour changer les choses serait vouée à l’échec. Le mieux à faire serait de s’adapter à la réalité au lieu de rêver à une autre voie. On est laid, mais on est là. Mais est-on vraiment laid ? Celui qui vit dans ce bourbier est-il laid ? Rien n’est moins certain. Il se voit peut-être beau dans son quotidien hors de la précarité, mais il est assiégé de partout par la misère, la crasse, le désespoir, et surtout par un environnement si dégradé qu’il peut être englouti à n’importe quel moment.

Mais il y a aussi d’autres corruptions. Comme ce défaitisme, cette ignorance crasseuse et cette haine contre le pays qui ne se dit pas. On a vu sur les réseaux sociaux les réactions majoritaires surtout de nos citoyens de la diaspora, ceux qui vivent dans la panse du monstre qui nous étrangle, à la suite du kidnapping d’une jeune couple américain d’origine haïtienne. « Sa yo te vin fè nan tenten peyi sa a ? »  Leurs réactions n’avaient rien à envier à celle de Donald Trump qui avait traité notre pays de shit-hole ni à celles des pires racistes occidentaux.

Au lieu de faire un faisceau pour pressurer les politiques de tout bord afin qu’ils prennent les mesures qui s’imposent ou que ces politiques on les évacue comme les déchets qu’ils sont, ces citoyens crachent leur bave haineuse finalement pas contre le pays, mais contre eux même qui contribuent aussi d’une certaine manière à l’état de la nation avec leur culture du dollar vert, du mépris de l’autre, de la méfiance envers leurs congénères, acteurs toujours actifs du panier de mauvais crabes qu’est la société haïtienne.

Il ne faut pas parler seulement de corruption. Mais des corruptions.

Gary Victor

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