Qui se rend compte de notre immense détresse morale doublée d’une imposture née de l’incompréhension totale, peut-être voulue de la lutte des vrais combattants pour la liberté sur cette terre caraïbe à l’aube du XIX siècle ? Quand ce journaliste français avait titré un essai : Haïti n’existe pas, beaucoup de citoyens avaient protesté avec véhémence et tiré à boulets rouges sur ce petit blanc qui se permettait une telle assertion. Nous sommes la Première république noire et fière de l’être même si depuis des lustres nous dilapidons un héritage sacré !
Le plus effarant, c’est cette conclusion qui revient souvent à chaque fois sur nos lèvres quand une décision doit être prise pour tenter de donner un cours favorable à notre destin. Blan an p ap dakò ! Qu’il s’agisse d’un plan sécuritaire à adopter pour épargner des vies haïtiennes, d’entreprises nationales à sauver, d’emplois nationaux à protéger, de jeunes talents à encourager pour qu’ils puissent rester à la disposition de la population, etc., on peut entendre cette conclusion lapidaire : Blan an p ap dakò. Ce ne sont pas seulement nos politiciens qui sont ainsi à trainer ventre à terre devant le « Blanc », mais aussi ceux de notre élite économique ce qu’on peut comprendre, car beaucoup de ceux-là depuis le début de cette nation ne vivaient que pour la reconnaissance de leur père du côté de la Seine. Il ne faut pas penser que, dans les autres secteurs, le schéma mental est différent. À tous les échelons de la société, la réflexion bute sur ce récif : Blan an p ap dakò.
Voici un pays qui a pris naissance par une lutte à mort contre les esclavagistes occidentaux et qui se retrouvent avec des dirigeants qui depuis que Blan an p ap dakò plient leur queue entre leurs jambes et rampent ventre à terre devant ceux qui ne veulent pour nous que le chaos permanent et la limite même des tueries à grande échelle comme celles du Rwanda dans les années 90.
Nous sommes bien ridicules avec nos slogans passéistes. Dans le temps dans notre carnaval, nous passions en dérision les Africains comme Hergé dans Tintin. Madigra yo kounye a se nou ! Aujourd’hui, les dirigeants africains pour la plupart lèvent la tête et refusent d’être les valets des nations occidentales. Certes, ils sont conscients des enjeux et veulent maintenir leurs amitiés avec La France, les États-Unis, la Grande-Bretagne. Mais ils tiennent désormais à traiter à égalité avec les étrangers en fonction de leurs propres intérêts. Si un dirigeant africain demande des armes à un ami occidental pour lutter contre le terrorisme et que ce dernier les lui refuse, il ira voir ailleurs. Il ne pliera pas sa queue entre les jambes en disant Blan an p ap dakò.
Et puis dans cette affaire de Blan an p ap dakò, de quel « Blanc » » s’agit-il ? En 1804 nous combattions les Français, mais nous avions avec nous des Polonais. Comme quoi, il y a plein de «Blancs». Si nous sommes effectivement la Première république noire, ayons conscience de ce que cela implique. Cessons de répéter constamment cette ânerie de Blan an p ap dakò. Relevons la tête ! Il y a d’autres «Blancs», pas seulement ceux qui nous étranglent et donnent refuge dans leur panse trop bien remplie à plein de nos compatriotes. Il y a aussi des Jaunes. Pas seulement ceux qui achètent grassement nos dirigeants pour qu’ils puissent les soutenir aux Nations unies.
Gary Victor