L'école et l'insécurité

Dans moins de cinq semaines, plusieurs établissements scolaires en Haïti fermeront leurs portes, pendant que des milliers d’élèves vont subir les épreuves des examens officiels. Une nouvelle page sera tournée, un nouveau calendrier scolaire sera finalisé par les autorités, pour la prochaine année académique. Et viendra le temps de la remise des bulletins aux élèves. Une occasion de plus, pour faire le bilan de l'insécurité sur le fonctionnement et les performances des institutions qui composent le système éducatif en Haïti ! 

Des survivants persistant à investir dans l'avenir de ce pays par l'éducation doivent inévitablement réaliser en parallèle ce bilan pour cette année académique qui s’achève. Loin de se contenter des taux de réussite et des échecs, des départs et des absences, des performances et d’autres indicateurs académiques, pédagogiques, stratégiques, économiques à prendre en compte, il faut discuter sur les conséquences de la situation d'insécurité dans le pays, et les mesures à prendre pour anticiper, réparer les torts causés aux apprenants.   

Des victimes et des survivants logés dans les mêmes adresses de nos écoles. Qui sont-ils ces enfants traumatisés ? Combien de membres du personnel de l’établissement ou de la clientèle, les élèves et leurs parents avaient été victimes des actes de violence et de l’insécurité pendant cette année académique, parmi les cas connus, rapportés, médiatisés, non répertoriés, isolés et oubliés ?

De septembre à juin, les impacts de l’insécurité sur le système éducatif haïtien ont été considérables. « L’UNICEF a fait mention dans un article publié, qu'au cours des quatre premiers mois de l’année scolaire (octobre 2022 à février 2023), 72 écoles auraient été prises pour cible, contre huit au cours de la même période l’année dernière. Le bilan comprend au moins 13 écoles prises pour cible par des groupes armés, une école incendiée (au moins) un élève tué et au moins deux membres du personnel enlevés, selon les rapports des partenaires. »

Dans ce contexte d’insécurité institutionnalisée et de violences imprévisibles dans plusieurs quartiers de la capitale et des communes d'au moins deux départements géographiques dominés par des groupes armés, entre autres le problème récurrent de l’énergie, il était pratiquement impossible pour des familles qui pratiquent la prudence comme sport national de respecter les horaires réguliers de l’école. Suivant les concerts de rafales pendant la nuit et l'écho des médias ou l'ambiance du quartier, on prendra le risque ou non d'envoyer les enfants à l'école ? 

Déposer les uniformes de l'établissement pour certaines des écoles de référence se confirme dans la nouvelle pratique de « marronnage scolaire », question de réduire les risques pour ne pas ajouter ses enfants dans la liste des victimes. Entre les cas d'enlèvement contre rançon, la disparition des enfants, des jeunes et des adultes, des assassinats, et les cas de viol et d’autres actes de violence connus du milieu, il nous faut repenser objectivement l'éducation en temps de crise. 

 

Des dommages émotionnels, psychologiques et physiques, avec le stress, la tension artérielle instable, les crises cardiaques entre autres, et des impacts négatifs directs et indirects subtils, les responsables du système doivent prendre en compte la fragilité et la vulnérabilité des écoliers pris entre l'environnement d'apprentissage difficile et la rigueur à tenir lors des évaluations à la fin d'année. 

De nombreuses actions et des interventions initiées en guise de réponse à court terme, par le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP), sont à féliciter. Plusieurs autres opérateurs, des partenaires, notamment les quelques agents de la Police nationale affectés à l’unité spécialisée Edupol méritent des salutations, même si leurs contributions ne permettront pas de satisfaire aux attentes et aux urgences des centaines d’établissements scolaires et des milliers d’élèves évoluant dans les villes et quartiers encerclés par les groupes armés.

Dans un souci d’anticipation, de prévision et d’adaptation des activités du secteur éducatif en Haïti, avec le contexte d’insécurité et de violence, il parait obligatoire pour les acteurs du système éducatif, parmi les plus importants d’inscrire la problématique de l’insécurité comme un champ de connaissance, de compétence et des comportements responsables à développer, et à valoriser auprès du personnel et des élèves dans les prochaines réformes académiques en perspective.

D'un point de vue stratégique, il faudra sensibiliser tous les acteurs, en particulier les responsables des établissements scolaires, les professeurs, les parents et leurs élèves sur les principes de base à appliquer en matière de sécurité sur tout le parcours entre la résidence et l'école. Les écoliers haïtiens doivent désormais maitriser les notions de base en matière de sécurité, des soins d'urgences, de self-defense, et de la protection des vies et des biens, en temps normal comme en temps de crise. Avec ou non la possibilité de laisser le pays.

 

Dominique Domercant

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