Levoy Exil ou « l’automne d’un patriarche »

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Le cinéaste Arnold Antonin poursuit inlassablement son précieux travail « d’immortaliser » sur pellicule les grandes figures de l’histoire et de la culture haïtienne. Dans un pays où les archives sont souvent mal tenues et où la transmission du savoir cultureln’est pas assurée d’une génération à l’autre, un tel travail mérite d’être salué.

Le jeune Haïtien moyen connaît très peu sur nos écrivains et artistes contemporains. Dans la majorité de nos institutions académiques, on citera très peu ou pas du tout la contribution de grands metteurs en scène comme Hervé Denis et François Latour pour illustrer un cours sur le théâtre. On mentionnera le nom du journaliste Jean Dominique dans quelques médias le 3 avril de chaque année, sans plus. Son immense œuvre radiophonique reste inconnue des jeunes qui sont dans la tranche d’âge des 25-30 ans. Heureusement qu’il y a le film de l’Américain Jonathan Demme et l’imposant travail d’archivage de Duke University.

Le Ministère de l’Éducation et celui de la Culture devraient protéger et recommander dans les institutions culturelles et académiques l’ensemble des documentaires d’Arnold Antonin, le « veilleur de patrimoine ». Inlassablement avec le soutien de quelques fondations qui ne lui ont jamais marchandé leur concours, il a porté à l’écran le travail de nos meilleurs artistes et écrivains. Ce serait un grand dommage pour le système éducatif haïtien, spécialement dans le cadre du secondaire rénové, de ne pas recueillir et conserver de si précieux documentaires.

Le dernier film d’Arnold Antonin porte justement sur l’un des patriarches du mouvement « Saint Soleil » : Levoy Exil. Un artiste-philosophe qui puise son inspiration dans le vaudou. Le public découvre les connaissances profondes du peintre sur la mythologie vaudou. Tout un univers de corps célestes et de couleurs vives dans leurs significations profondes. On découvre aussi comment l’artiste parvient à entrer en « communication » avec les esprits et de produire sous leur dictée. Son œuvre est une sorte de fine passerelle entre le réel et l’imaginaire qui plairait aux créateurs du « réalisme merveilleux haïtien » et du « réalisme magique latino-américain ».

Arnold Antonin est toujours bien reçu dans l’intimité des célébrités qu’il filme. Il partage leur vie de famille, et surtout à l’occasion un bon repas qui semble faire les délices de ce passeur d’images, qui lui-même, adore cuisiner pour ses amis.
En visite chez Levoy Exil, il nous fait revivre la vie dans un authentique lakounullement altéré par les actuelles mutations sociales. On revisite grâce à la caméra du cinéaste l’histoire glorieuse du mouvement Saint-Soleil qui évolua plus tard en Cinq soleils autour deLevoy Exil, Louisiane Saint-Fleurant, Denis Smith, PaulDieusel, Prospère Pierre-Louis.

Exil, un artiste de réputation mondiale, qui a exposé dans plus de cinquante pays garde le menton dans le guidon de la simplicité. Sa spiritualité profonde captive ceux qui l’écoutent et on perçoit au travers des images rapportées par Antonin la sagesse et la pondération d’un homme habitué à s’élever loin de nos « miasmes morbides ».Il croit qu’il a deux fois 76 ans, si on doit compter les jours et les nuits. Car pour lui, la nuit est une autre manière de continuer à vivre.

L’un des astres célébrés dans la peinture de Levoy Exil est le soleil qui donne aux êtres une ombre, les « dédouble ». Source permanente de lumière, le soleil entretient la vie sur terre.Il nous envoie juste la chaleur qu’il faut pour que les plantes fassent leur photosynthèse.En dehors de sa fonction dispensatrice d’énergie, il est le marqueur du temps qui ne s’éloigne jamais de nos vies. La lune aussi épouse les contours du cercle magique qui domine l’imaginaire magico-religieux des tableaux du peintre. La mémoire culturelle de l’artiste transforme l’univers cosmique en œuvre d’art.

Levoy Exil impressionna l’écrivain français André Malraux en raison de cette peinture libre de toute codification académique et qui participe de « l’art brut ». Le philosophe Emmanuel Kant disait : « le génie est un talent qui consiste à produire ce pour quoi on ne saurait donner de règle déterminée ». Le monde comme l’écrivait Proust n’a donc pas été créé une fois, mais aussi souvent qu’un artiste original est survenu.

Wa Exil nan lakouLevoy est un film d’une grande beauté sur la famille traditionnelle haïtienne, mais aussi une invitation au voyage à travers la pensée profonde d’un artiste fasciné par l’histoire des premiers habitants de Kiskeya.

RoodyEdmé

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