Le gouvernement américain revoit sa copie ?

La délégation de haut niveau du Département d’État vient d’achever sa mission au pays. Elle était porteuse d’un message : « Les États-Unis soutiennent une solution haïtienne à la crise ». Certaines interventions américaines dans la vie politique haïtienne n’ont pas toujours été des plus heureuses.Mais l’actuelle poussée migratoire et un basculement d’une partie de l’opinion ont la vertu de remettre certaines pendules à l’heure à Washington. Du moins pour le moment.

Un leader politique enthousiaste a même parlé de « new deal » entre les deux pays. La puissante Amérique serait devenue plus empathique, plus diplomatique, moins donneuse d’ordres. « Nous ne sommes pas venus choisir un gagnant ou un perdant » a souligné un de ses hauts fonctionnaires. Il a même poussé l’élégance jusqu’à présenter des excuses publiques au peuple haïtien, suite aux images de cavaliers à cheval pourchassant les réfugiés en plein milieu du Rio Grande.

Cette visite des diplomates américains et leurs déclarations publiques sont sans nul doute destinées aussi à leur opinion publique. La démission fracassante de l’ex-envoyé spécial Daniel Foote a « foutu » un remous pas possible dans le chapitre Amérique latine et Caraïbes du State Department.

Certains sites de nouvelles ont rediffuséune interview datant de quelques années du sénateur Joe Biden, expliquant le peu d’intérêt géopolitique d’Haïti pour les États-Unis, avec cette métaphore plutôt glaçante, nous citons : «Si Haïti coule ou émerge dans la mer des Caraïbes, cela ne ferait pas une grande différence pour les intérêts américains », propos qui ne peuvent que donner froid dans le dos.

La délégation américaine s’est employée non sans un certain succès à éviter tout diktat et même fait montre d’humilité devant la complexité d’une situation apparemment inextricable. La balle est dans le camp des politiques et des organisations de la société civile qui devront s’entendre sur un projet commun de pays. Si nos habituels tuteursn’ont pas voulu donner de leçons, ils nous ont laissé un devoir bien difficile à mettre au propre. Une fusion nécessaire des trois accords devra permettre enfin à ce pays de dégager une vision commune. Mais l’ hubris est si fort chez certains que ce projet paraît aussi lointain que le soleil.

Les textes des différents accords avec des éléments dignesd’intérêt pour l’avenir d’Haïti peuvent aussi servir de feuille de route pour une gouvernance nouvelle. Mais les principaux protagonistes ne doivent pas se tromper de fétichisme. De nombreux pactes ont été signés par le passé et la situation socio-économique s’est empirée. Une chose est d’avoir un engagement écrit, une autre est de le traduire en bonne politique. Il n’yqu’à voir le destin de nos constitutions aux architectures homériques devenues finalement de la paperasserie inutile.

Entre-temps, il y a des choses qui ne peuvent attendre. Il existe par exemple, dans l’opinion un certain malaise, tout se passe comme si les présidents dominicain et costaricain étaient plus sensibilisés à la problématique de l’insécurité en Haïti que certaines de nos élites déconnectées des réalités populaires et complètement dépassées.Les chambres de commerce viennent, dans un communiqué, de solliciter une entrevue avec l’actuel Premier ministre en vue de proposer certaines « solutions » aux difficultés d’approvisionnement de la ville en carburant. C’est de bonne guerre que le secteur privé ne se replie plus derrière de simples communiqués et souhaite prendre le taureau par les cornes.

Les services religieux sont de plus en plus paralysés, les bandits choisissent les lieux de culte pour faire leur « marché ». Le kidnapping devient insoutenable, des barbituriques commencent à manquer dans certaines pharmacies. L’image d’un blindé de la Police en feu sur la route de Martissant ravive de douloureux souvenirs.

Dommage que nos dirigeants et chefs de partis ne sont pas parvenus à obtenir du puissant voisin un engagement ferme sur la sécurité. Or rien n’estpossible sans un pays plus sûr et stable,quelle que soit la vertu de tel ou tel accord !

Parmi les points qui devaient être soulevés avec cette importante délégation : un rapatriement plus humain pour nos compatriotes et surtout le droit à une assistance judiciaire ; qu’on évite de déverser sur nos faibles structures de sécurité des criminels d’origine haïtienne qui ont acquis ailleurs une culture de la violence organisée ;un appui plus conséquent pour nos forces spéciales que lafourchette des 200.000à 3 millions de dollars prévus et qui est mentionné dans le dernier rapport du secrétaire général des Nations unies.On peut imaginer que les gangs possèdent de plus importants moyens financiers.Le défi sécuritaire est difficile à relever sans une solidarité internationale dans le respect de nos intérêts mutuels.

Roody Edmé

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