La terre s’est déchaînée encore une fois

Ce samedi 14 août 2021, le pays s'est réveillé hagard, déconcerté, abasourdi. Notre rendez-vous habituel avec le malheur a encore pris la forme d'une terrible tragédie. La terre s'est ouverte sous les pieds des populations du Sud, provoquant de nombreuses victimes. On parle de plusieurs centaines de morts. On est lundi et on n’a pas fini de les compter.

Encore une fois, contrairement à la langue de bois officielle, nous n'étions pas préparés. Et le pire est arrivé, nous retrouvant pataugeant dans l'impréparation et les mouvements solidaires, mais désordonnés, de sauvetage. Il est vrai que le gouvernement provisoire de facto a réagi très vite à l'annonce de la catastrophe. Le Premier ministre Aryel Henri s'est vite retrouvé sur les lieux du désastre et a décrété l'état d'urgence humanitaire.

Mais d'urgences en urgences, de pauvreté en indigence, de politiques néfastes au meurtre d'un président, nous sommes depuis longtemps devenus l'exemple à ne pas suivre. Intervenant le 28 juillet dernier, lors un conflit social au sein de sa municipalité, le maire de la commune d’Anse-Bertrand en Guadeloupe, M. Édouard Delta, a qualifié les agissements de certains de ses administrés à une forme d’«haïtianisation ». Le Consulat général d’Haïti dans ce territoire français d’Outre-Mer a dû protester contre ce qu’il a qualifié de « déclarations stéréotypées tendant à stigmatiser la communauté haïtienne ».

Aujourd’hui encore, le pays est brisé, écartelé, victime d'une violence naturelle, celle de nos failles géologiques qui ne nous ont pas portés jusqu’ici à prendre conscience de nos failles structurelles. Et politiques.

Il existe, heureusement, des mouvements au sein de la société civile qui s'organisent, débattent, proposent. Une commission pour une solution haïtienne à la crise a émergé après un laborieux travail de groupes socio-politiques, quoiqu’encore éclatés et méfiants. Elle a émis d’intéressantes propositions qui méritent qu’on s’y attarde.

On doit aussi signaler la note d’un groupe de constitutionnalistes chevronnés intitulée « Avis d’universitaires ». Au regard de la crise actuelle, ils ont proposé une remarquable solution de sortie de crise basée sur la lettre constitutionnelle, sans écarter la proposition gouvernementale. Il est question de gouvernance électorale, de sécurité, de création d'une assemblée chargée du contrôle de la gouvernance provisoire, de la question épineuse des enquêtes et des procès sur des faits de corruption.

Dans les différentes propositions, on peut trouver les ingrédients susceptibles de faire prendre une « mayonnaise » plus ou moins digeste dans cette difficile période de transition.

Ce pays fracassé ne peut plus se permettre de douloureuses « olympiades politiques » où les règles du jeu ne sont guère respectées, où la suspicion et la méfiance carabinée sont encore bien trop présentes. Comme le souhaitent beaucoup, il faut un véritable sursaut patriotique pour que les Haïtiens acceptent enfin de se mettre ensemble autour d’une table pour discuter de l’avenir de leur pays. Cela fait plus de 35 ans que cette classe politique se bagarre âprement, reculant l’émergence d’un consensus national si nécessaire.

Après cette nouvelle tragédie, la célèbre joueuse de tennis japonaise, d’origine haïtienne, Naomy Osaka, a tweeté : « Le sang de nos ancêtres est fort. Nous resterons debout ». Propos on ne peut plus réconfortants. Le bel élan de solidarité ici et en diaspora fait du bien, encourage. Il est aussi porteur d'avenir, mais à condition que nos « vieux démons » ne viennent nous hanter, comme d’habitude.

Toutefois, avec autant d’insensibilité, de mépris pour la vie et d’incohérence politique, le risque que le pays disparaisse avec ses 12 millions d’habitants reste une sérieuse menace.

Roody Edmé

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