Redonnez-nous notre capital!

La capitale haïtienne n’appartient plus aux citoyens du pays. L’espace échappe au fil d’événements politiques et naturels, aux hommes et aux femmes qui habitent la ville.

Dans les années cinquante, ce n’était pas simplement la vague touristique de l’époque qui faisait l’attraction de la capitale. C’était aussi l’implication des résidents des quartiers qui se préoccupaient de propreté et d’assainissement. Cela créait un mouvement dynamique d’une ruelle à une autre. La compétition sociale y jouant son rôle mobilisateur, chaque quartier tirait sa fierté de son savoir-faire avec les fleurs, la couleur des murs, les arbres pour l’ombre.

C’était, en dépit des tumultes politiques qui ne cessaient de secouer la ville, « la dolce vita ».

Les services publics de ramassage de détritus fonctionnaient à un rythme régulier. Le sens du devoir des citoyens allégeait les tâches de l’État. Il y avait toujours les différences entre les zones résidentielles, entre le réseau de magasins du bas de la ville et les quartiers d’une classe laborieuse et économiquement moins pourvue, mais animée d’un patriotisme à trancher au couteau.

 De Pacot au Bas-Peu-de-Chose jusqu’au Morne-à-Tuf, l’appropriation de l’espace de la capitale était une priorité citoyenne.

Le paysage architectural aussi était la particularité de « la perle des Antilles ». Il n’y avait aucune nécessité de construire à plusieurs étages, lesdits buildings n’existaient pas. Les maisons en « gingerbread » reprenaient les dessins du paysage naturel, l’utilisation du bois répondait à une connaissance du terrain par rapport aux éventuelles catastrophes naturelles.

Notre brusque entrée dans la modernité urbaine à partir du début des années soixante allait bousculer l’originalité bucolique de la ville. Des facteurs politiques, des indicateurs économiques, des voyages à l’extérieur, la tentation au bovarysme des villes dites développées commençaient par changer l’aspect de notre capitale.

 Cité-Soleil, présentée aujourd’hui comme le lieu de tous les désastres physiques et humains, avait ses beaux paysages. Un des tableaux du peintre Casimir, acheté à un prix fort à une vente aux enchères à Sothebys, représente une « marine » de Cité-Soleil des années cinquante avec quelques débardeurs et voiliers sur fond de doucereuse lumière, comme dans les oeuvres de Canalleto. Propagande d’époque ? La destruction de l’économie paysanne, les turpitudes politiques allaient renverser la vapeur et nous introduire dans l’univers dantesque que nous vivons ces derniers jours.

La surpopulation, l’anarchie de l’habitat, la circulation automobile publique et privée dans des rues qui n’ont pas été agrandies, le commerce informel établi sur les trottoirs, le déficit de plan de réaménagement de l’espace urbain mettent le Port-au-Princien, surtout après le séisme dévastateur, au milieu d’un espace apocalyptique. Tout est dit sur les murs sans aucune pénalité. L’actuel gouvernement recolle les morceaux d’une capitale cassée, sans une proposition urbanistique rationnelle.

Perdus dans leur propre espace devenu un labyrinthe, les citoyens de la ville, des professionnels aux investisseurs nationaux doivent crier d’une seule voix : redonnez-nous notre capitale !

C'est bien une partie de notre identité nationale en péril que notre survie de peuple mise à rude épreuve.

 

La Rédaction

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