Peut-on célébrer le gâchis ?

Nous sommes toujours frappés de constater qu’en période de crise toutes les activités et initiatives sont diluées dans la peur (qu’on nomme sordidement prudence). Aussi, la parole portée et donnée devient totalement inaudible, surtout quand elle concurrence le bruit des détonations.

Ce 27 septembre, Journée mondiale du tourisme placée sous le thème « Tourisme et croissance inclusive », le Premier ministre a eu l’élégance ou le courage de placer les nombreuses pages des importants accords et désaccords sous un presse-papier avant de se rendre à la cérémonie pour exprimer ses « plus profondes sympathies à l’égard des acteurs touristiques des 3 départements qui ont connu des pertes matérielles et en vies humaines ».

Si consolante et si sincère que peut-être cette formule, elle nous cache une effrayante réalité. L’industrie touristique du Grand Sud était au plus mal bien avant le séisme du 14 aout 2021. Il n’est pas nécessaire de produire une analyse fine et détaillée pour comprendre que tous les opérateurs et travailleurs touristiques du Grand Sud sont sur le carreau depuis quelques années. Et point n’est besoin de rappeler que l’industrie touristique de la région a été beaucoup plus touchée par l’insécurité, qui a coupé le pays en deux à partir de la sortie sud de la capitale, que les effets de l’actuelle pandémie et les dégâts du dernier séisme réunis.

À propos, l’expression des préoccupations du Groupe d'appui et de réflexion sur le tourisme haïtien (GARTH)est édifiante: « Dans le cas spécifiquement haïtien, les crises structurelles et conjoncturelles des dernières années ont mis à plat les petites et moyennes entreprises qui vivent du tourisme ». Mais, pour le Grand Sud, la facture est encore plus salée pour des personnes qui ont consenti d’énormes investissements en croyant que le tourisme pouvait être un outil fiable de croissance et de développement économique.

Dire la situation de l’industrie touristiqueautrement, en Haïti, relève du déni de la réalité et du mépris de la douleur de ceux qui ont tout perdu à cause de l’instabilité politique et la faiblesse caractérisée de l’État qui a permis, faute de sérieux, la fragmentation du pays en territoires contrôlés par des gangs puissants et impitoyables.

Depuis plusieurs décennies, des petites et moyennes entreprises touristiques ont pu faire fonctionner, à défaut de fructifier, leurs activités grâce aux visiteurs nationaux d’Haïti et de la diaspora. Ce n’était pas encore la manne financière espérée, mais le rêve était tout à fait permis.

Depuis quelques années, il est impossible de prendre la route en Haïti. Pourtant, à défaut des touristes internationaux, les familles haïtiennes étaient heureuses de jouir de plages du pays, des fêtes patronales, des retrouvailles avec leurs lieux d’origine et aussi de l’authenticité des séjours en montagne. Et, tous les efforts du RENAPORTS, ce regroupement de promoteurs et opérateurs du tourisme alternatif en Haïti, ont été sacrifiés.

Qu’ils sont loin et enfouis les souvenirs de la Route du café, de la Route de l’eau et des paysages champêtres des montagnes haïtiennes.

Célébrer la défaite est toujours un acte suspect.

Jean-Euphèle Milcé

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