Le Grand Sud n’est pas le centre du monde, paraît-il !

La discrimination sélective en Haïti est un vaste problème à la limite d’un programme réfléchi et bien défendu par ses concepteurs. Pourtant, ce n’est pas un fait ni nouveau ni ponctuel. Évidemment, la gravité de cette pratique est obscurcie par l’habitude de tout accepter, pourvu que nous ne soyons pas directement concernés. Parfois, trop souvent, nous avons tendance à oublier que l’idée même de la res publica est conditionnée par la promotion et la défense de l’intérêt commun.

En ce début d’octobre, les écoles de la République dans les villes et villages affectés par le séisme du 14 aout dernier n’ont pas pu recevoir leurs élèves comme l’a prétendu et souhaité le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle, plus proche de Port-au-Prince, centre macrocéphale du pays.

Au nom de l’égalité des chances pour tous, de nombreux acteurs locaux, à des titres divers, ont proposé une ouverture « unique » des écoles dans le Grand Sud pour empêcher que des enfants plus chanceux et mieux lotis profitent de l’enseignement de leurs professeurs pendant que d’autres, de la même région, du même quartier, se morfondent au milieu des ruines laissées par le tremblement de terre.

Ces personnes ont compris qu’il n’y a que l’intérêt général qui soit capable de légitimer l’État. Elles ont essayé de faire un rappel à l’ordre, mais leurs voix, depuis le Grand Sud, loin du centre, sont à peine audibles.

Le système éducatif haïtien se décline, depuis des lustres, sous les formes les plus diverses de la discrimination ordinaire. Jamais un pays ne s’est autant senti bien dans un système qui propose des écoles pour les riches à côté de celles pour les pauvres, sans compter les écoles réservées aux idiots et aux familles désespérées. « mezi lajan w, mezi wanga w ». Et, il est malheureux d’ignorer, ou d’en faire semblant, que la mauvaise gestion des politiques publiques, surtout en ce qui a trait à l’éducation des enfants de la République, aura, demain, des conséquences importantes sur les conditions de vie de certains d’entre eux.

Pendant les sept semaines qui ont suivi la catastrophe qui a dévasté le Grand Sud, déjà pauvre et fragile, des agences, des personnalités tant nationales qu’internationales, à la fois privées et publiques, ont évoqué, pour la presse et le grand public, leur désir de secourir, soutenir et assister, de la plus digne des manières, les populations sinistrées du Grand Sud. Nous avons apprécié les photos, mais beaucoup moins les résultats. Tout le monde voulait être sur la photo avec des caisses d’eau et des serviettes hygiéniques.

Apparemment, indépendamment de l’efficacité des premiers secours, personne n’a pensé à construire des espaces provisoires d’accueil des élèves. Et, il est frappant de constater que les autorités, ainsi que les bons samaritains officiels, se sont dérobés à l’obligation de poser un acte sensé et essentiel pour le relèvement des communautés doublement victimes. Elles n’étaient pas, primo, préparées pour faire face à l’impact d’un séisme, menace tout à fait naturelle pour la région. Et, secundo, elles ne sont pas prises en charge avant qu’elles recouvrent l’entièreté de leurs moyens.

La République doit renoncer à fabriquer des exclus pour mieux protéger l’intérêt commun. Ainsi, on se projette dans l’avenir sans les enfants de Martissant et du Grand Sud.

Jean-Euphèle Milcé

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