De la résistance culturelle pour survivre

Des poèmes à écrire en guise de lettres, pour communiquer autant avec les survivants dans l’enfer caribéen et les morts innocents de trop qui trainent dans l’imaginaire collectif et incapable de se venger, encore moins pour donner justice à ceux et celles qui restent et pleurant leur départ.

Des livres utiles et pratiques pour raconter l’histoire des paisibles citoyens qui choisissent de vivre en Haïti, et des modestes familles qui ont tout investi en Haïti, et qui n’ont plus ni la force ni le courage ni l’espoir de se recapitaliser ailleurs.

Des chansons interprétées par les derniers artistes et musiciens engagés qui restent en Haïti et dans la diaspora pour responsabiliser les dirigeants et sensibiliser les groupes armés.

Des dessins et des caricatures conçus dans le cadre des concours de quartiers ou des villes assiégées et abandonnées pour représenter la totale rupture, entre le présent et l’avenir, imposée par la mondialisation de la violence haineuse et raciste et aussi imposée par les armes à feu en Haïti.

Des chorégraphies de danse à réaliser dans chaque coin de rue, pour rappeler les derniers gestes de survie avant l'enlèvement, les réflexes visibles pour masquer la peur des passants et des automobilistes à chaque coin de rue.

Des pièces de théâtre pour rappeler aux bourreaux et leurs complices le sens de la mort et du Karma. Une manière significative, parallèlement pour inviter la population à se défendre ou à se rebeller au prix de mourir avec dignité.

De la résistance culturelle pour survivre en Haïti, ou l’art d'espérer et de travailler pour le renouveau national, dans ce chaos qui laisse peu de place au bien-être. Avec les arts on peut à la fois créer, sensibiliser, pénétrer les quartiers rebelles, réinventer l'harmonie et partager le bien-être collectif.

Des contes et légendes à raconter aux plus jeunes, les moments difficiles qu'ont connu toutes les grandes nations, avant de trouver le chemin de la renaissance. Une renaissance qui doit passer inévitablement par la reconnaissance de la vie paisible dans l'arrière-pays !

Avec des gestes parmi les plus expressifs, on profiterait pour initier au plus jeunes les mouvements de bases indispensables pour pratiquer le nouveau sport national imposé par les mains invisibles, que les proches traduisent sous forme de souhaits ou d’adieu en « prudence ».

Des sculptures utilisant tous les matériaux de construction, et surtout les débris dans les villes abandonnées, les maisons incendiées et les trous qui accueillent les restes humains calcinés, pour ériger le prochain mémorial et monument de la « Victime Inconnue » en Haïti.

Des créations artistiques et des œuvres d’art qui constituent pratiquement la seule forme de communication, le seul moyen pour exprimer par les mots, les couleurs, les gestes et la matière humaine et naturelle, la dérive de l’existence haïtienne en cours.

Des artistes engagés, il en manque terriblement dans le décor haïtien en ces temps sombres qui pourraient offrir de l’ombre à la population, qui terriblement besoin de l’art thérapie pour résister et pour mieux réinventer l’avenir.

Demain est pratiquement incertain pour toutes ces familles aux abois qui crient et fuient, qui prient et s'épuisent dans le silence des responsables et l'indifférence de l’international.

De la résistance culturelle pour sécuriser les frontières de la créativité en Haïti, pour sauvegarder les fragments du patrimoine urbain de ces villes abandonnées, pour stimuler les meilleurs souvenirs thérapeutiques de l’an 1804, et sensibiliser jusqu’au bout l’ensemble des Haïtiens sur la notion de bien commun et de l’intelligence collective.

Dominique Domerçant

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