La mort et les jours

En ces temps cruciaux et dramatiques, l’extrême vulnérabilité, d’ordinaire évoquée pour caractériser une partie de la population, s’applique à l’ensemble des Haïtiens. Comme pour nous rappeler notre fragilité commune, tous les Haïtiens tremblent ces temps et ont peur même de leurs ombres. Désormais, la mort et le kidnapping se propagent, sans barrières, de pauvres en riches, de Noirs en Blancs, de jeunes en vieux, de marchés publics en villas aseptisées, d’églises en péristyles, d’étrangers en nationaux. Le plus démocratiquement du monde.

 

Autant que l’insécurité n’est ni un accident ni un phénomène naturel, autant qu’elle est incapable de générer des opportunités à long terme pour les « intelligents ». Comme veulent le croire les éternels champions de la République. Dirigeants, opposants, pupilles de la République, éternels donneurs de leçons, influenceurs, suiveurs passifs, vendeurs de rêves, citoyens fatigués, nous avons consciencieusement construit et entretenu cette situation. Et maintenant qu’elle s’est enroulée autour de nous, tentant de nous étrangler, nous voulons lui opposer des parades inutiles, comme le fait de pondre des petits rapports ou de tweeter de nouvelles dispositions de la PNH. Du haut de sa chaire, un pasteur vient d’appeler à la croisade contre les gangs. Nous sommes vraiment plus proches de l’affrontement généralisé que du Seigneur.

 

Actuellement, nous payons, au prix fort, tout ce que nous avons oublié de faire dans la gestion des multiples et dernières graves crises qui ont été traversées avec grand renfort d’ignorance, de démagogie et de méchanceté. Face à cette insécurité qui s’étend à l’ensemble du territoire, toutes classes et fortunes confondues, et qui peut très bien nous conduire à une catastrophe nationale, le jeu très haïtien de rejeter la faute sur l’autre n’en vaut plus la chandelle. 

 

Cela dit, il devient mesquin de mettre de l’ambition là où il faudrait de l’empathie. Depuis quelques jours, nous avons l’impression que quelques leaders politiques ont compris qu’ils pouvaient partir en campagne anticipée et gagner quelques points en surfant sur la crise et le cadavre de Jovenel Moïse. En ces temps de grande inquiétude, partagée avec la même douleur par l’ensemble de la population, nous refusons d’être honnêtes, même quand cela peut servir nos intérêts. 

 

Il y a aussi ceux qui croient que le moment est propice pour se préparer à sauter sur les opportunités à venir, comme investir les postes les plus prestigieux de l’État. Comme s’il s’agissait d’une crise ordinaire qui va simplement ralentir l’économie et permettre à de leaders d’affaires de s’en sortir grandis et mieux armés pour affronter les autres à venir et mettre de l’argent de côté pour les prochaines élections.       

Que nenni ! Nous sommes vulnérables à un point que nombre d’entre nous risquent de ne pas vivre les prochaines élections ni de profiter des bénéfices à tirer des opportunités espérées. Il est évident que nous ne sommes pas préparés et équipés pour faire face à la montée de l’insécurité dans un pays qui ne s’est pas donné l’envie et les moyens pour protéger sa population et ses visiteurs.  

 Avec dix-sept étrangers kidnappés puis séquestrés par un gang connu et identifié, nous n’avons pas trouvé mieux pour imposer Haïti et sa pauvre population dans les salles de rédaction des médias occidentaux, particulièrement aux États-Unis d’Amérique.

La honte, en Haïti, est une patate chaude qu’on peut plus passer à l’autre qui dit nous assister

 

Jean-Euphèle Milcé

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