L’énorme rumeur

Jean-Euphèle Mil

Mieux que les autres, nous avons su élever le principe de la parenthèse vite refermée en art. Il y a un mois, la République, plus terrorisée qu’indignée, s’accrochait à son flux de jérémiades et de protestations pour suggérer (rien que cela) aux pouvoirs publics de rendre justice à Me Dorval abattu chez lui, comme un spécimen d’un espèce nuisible. À éradiquer.

L’émoi est, en effet, un paravent opaque destiné en Haïti, depuis quelque temps, à cacher la faiblesse du sens dans nos rapports avec la vie et avec la dignité. Le droit, garanti par la Constitution, de parler, d’écrire, de faire du vacarme, d’exprimer son désaccord et de protester avec conviction ne garantit aucunement le besoin de protéger la société contre cet effondrement qui la menace. Le risque, sept fois en vérité, est réel.

Ce n’est pas un hasard si les réactions relatives à l’exécution bête et stupide de l’étudiant Grégory Saint-Hilaire ont ce côté très calculé, comme si la mort, même brutale et dans les conditions que l’on connaît, n’échappe pas aux formules courtoises du politiquement correct.

Par procrastination ou par détournement malsain, les enquêtes aboutissent rarement. À chaque fois, l’oubli et le découragement dans l’attente, comme des onguents cicatrisants, aident à passer l’éponge. En attendant, la prochaine indignation quand ce n’est pas une rumeur. Construire une société de bien-être est devenu une idée obsolète. Le courage des uns en situation de révolte et l’instinct meurtrier des autres ne suffisent pas. Nous sommes encore loin du pays rêvé.

Ce pays, le notre justement, intéresse, paraît-il, la communauté internationale qui s’y investit depuis toujours à travers ses représentations, ses missions et ses agences.

En ce 5 octobre 2020, le secrétaire général des Nations unies a présenté au Conseil de sécurité le dernier rapport en date sur Haïti. De la routine administrative on aurait dit, n’était l’annonce de la représentante permanente des Etats-Unis d’Amérique relative à la tenue prochaine, et sous peu, d’un dialogue entre le pouvoir et son opposition. Pour dire vrai, il n’en a jamais été ainsi. Les Haïtiens avaient toujours le privilège d’annoncer, certaines fois pompeusement, et la communauté internationale appuyait, encourageait ou cautionnait. Tout dépend. Pour cette fois, l’annonce a été faite à New York., ce qui valide la thèse, qu’on a toujours espéré complotiste, que la force de la raison et de la persuasion était ailleurs quand il s’agit du destin d’Haïti.

Comme on s’y attendait, les composantes structurelles de l’opposition y sont allées de leur note apportant un démenti catégorique à l’annonce de la diplomate des Etats-Unis. Et, au moment d’écrire ce papier, le pouvoir, partie prenante essentielle à ce dialogue, ne s’est pas encore prononcé sur la question. S’agit-il d’une rumeur mal perçue par les autorités américaines ou d’un engagement pris sur le mandat du sénateur Kelly C. Bastien (faux ou récusé) consenti par l’opposition pour discuter avec le parti au pouvoir ?

Le risque de la diversion est réel. À défaut de produire un consensus social à la veille d’une échéance politique sérieuse, nous pouvons nous consoler dans l’attente de justice pour la nouvelle vague de morts, de spoliés et de kidnappés.

Jean-Euphèle Mil

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