Une jeunesse sacrifiée

Que signifie aujourd'hui être jeune en Haïti ? Je me suis posé la même question qu’un journaliste de CNN qui interrogeait des adolescents américains pendant la crise du Covid-19 à propos du sens de leur vie. Ces jeunes confient qu'ils n'ont plus droit à l'insouciance et que leur existence est cernée de tragédies et de statistiques mortuaires.


Une enquête similaire en Haïti aboutirait à un constat encore plus catastrophique. En plus de la pandémie dont malheureusement chez nous on en fait peu cas, tant les autres urgences sont mortelles, d'innombrables catastrophes climatiques, économiques et politiques plombent l'environnement des jeunes. Une jeunesse qui ne peut plus fêter, qui n'a plus droit au rêve et dont le droit à l'éducation est chaque jour violé impunément.

Cela fait plus de trois ans que cela dure. Des enfants interdits d'école à cause de « peyi lòck » et aujourd'hui à cause d'un embargo sur l'essence décrété par des groupes armés. Toutes les nuits, des claquements lugubres de fusils déchirent le sommeil des enfants. Ceux qui ont la chance de se rendre en classe ont encore de petits yeux terrorisés aux premières heures de cours, souvent interrompus par des parents affolés qui viennent les chercher parce que les rues deviennent soudainement « voraces ».


Une génération malmenée par une ambiance de furie et de mort. Et le plus éprouvant est l'impuissance des autorités. Le Premier ministre Ariel Henry apparaît lunatique et projette dans les écrans télévisés le visage d'un homme qui se noie.


Il y a de quoi se faire emporter par un tel tsunami de violence et de précarité. Ce qu'il faut pour la « remontada » haïtienne est un large accord qui est à notre portée, mais sur lequel nous ne parvenons pas à nous entendre. Trop de méfiance, trop d’égos et trop d’intérêts personnels en jeu. Le nécessaire gouvernement de consensus a bien du mal à se former tant les oppositions sont vives. Du coup, la solution « haïtienne » à la crise apparaît un horizon indépassable à cause, dit-on, d'absence de propositions concrètes du pouvoir de facto.


Dans la bataille que mènent des leaders de la société civile et politique pour un vrai changement, il faudra aussi de la flexibilité tactique et de l'intelligence politique. Pour une fois que certains grands amis nous laissent enfin décider de notre destin, il ne faudrait perdre le momentum d'un véritable accord entre les forces en présence, ce qui serait une belle victoire sur nos égoïsmes et remobiliserait notre peuple dont la résilience est devenue un fardeau.

Car le drame ne chôme pas chez nous : aux dernières nouvelles un bateau de cabotage a fait naufrage, laissant sur la plage une douzaine de morts. Les kidnappings se poursuivent et n’épargnent aucun secteur. Après l’église, c’est l’école qui devient la cible des gangsters assoiffés de sang. Il y a quelques jours, un parent sortant de la Banque a été poursuivi jusqu'à l'intérieur du Collège de Bourdon où il devait récupérer un enfant. Il a été abattu et l’agent de sécurité ainsi qu’une élève ont été touchés, selon ce qu’a déclaré la Supérieure des Sœurs de Saint-Louis de Bourdon. Avec ces insoutenables drames qui s’accumulent tous les jours, on n’a pas besoin d’enquête pour découvrir ce que c’est d’être jeune en Haïti, aujourd’hui en 2021. L’école est prise en otage et la jeunesse d’aujourd’hui – l’avenir de demain – est enfermée dans le piège de l’impuissance de ses élites faillies.

 

Roody Edmé

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