Les nouveaux pirates

Il est difficile, même en fouillant avec insistance dans la mémoire haïtienne des dernières décennies, de trouver une période avec une situation aussi improbable que dramatique que celle que traverse actuellement le pays. Nos contemporains n’ont peut-être jamais connu de crises avec autant de conséquences sur la vie et le destin des Haïtiens.

Aujourd’hui, vivre relève de la haute performance, et nous naviguons entre la peur et la honte. Des groupes d’enfants, sous la surveillance de proches, soucieux et raides comme des vigiles, cherchent à trouver leur chemin en contournant des montagnes d’immondices. Les moyens de transport étant hors de prix ou indisponibles, à cause de la malveillante pénurie du carburant, les écoliers marchent vers l’avenir, suspects, comme s’ils avaient intégré qu’ils n’ont pas le droit de vivre, se mettent au rythme des pas mous d’un peuple angoissé et qui se sent trahi par tous ceux qui ont la charge de garantir le fonctionnement satisfaisant de la cité.

Il est vrai que cette saison des temps incertains a curieusement changé le sens strict de certains concepts. Tout récemment, pour envisager la réduction de la vulnérabilité des enfants à l’école, tous les opérateurs conscients du système pensaient miser sur des « écoles plus sûres ». Cela consistait à soumettre nos écoles à l’observance stricte des normes de construction adaptées à la géographie et à la morphologie des sites et de prendre les bonnes dispositions pour enseigner nos enfants dans un cadre favorable à leur épanouissement sans risques. Aujourd’hui, les «  écoles sûres » sont celles qui acceptent de payer les bandits pour la protection de leurs locaux, de leurs personnels et des enfants qu’elles reçoivent. Les temps changent. Et, les concepts aussi. Les pirates contrôlent tout.

De tout temps, et on l’aura compris, l’un des moyens permis les plus faciles en Haïti, pour s’enrichir, est de piller et de voler. Le mafieux, même dans ses pires entreprises criminelles, n’est jamais avare en stratégies pour contourner ou corrompre les forces publiques de justice et de sécurité. Le pirate, lui,  s’impose comme un criminel de haut vol, audacieux, capable d’imposer sa domination sans partage sur tout un territoire et prêt à soumettre les plus faibles à des coups redoutables.

Au tragique de la situation, personne, même les mieux accordés, n’a encore la bonne grâce de faire une proposition claire et exploitable. À ce rythme-là, les derniers moteurs arrêteront de tourner et tous les rideaux finiront par être baissés, l’un après l’autre.  Nous avons l’habitude de la disette, de l’insécurité et de la fumisterie. Jusqu’à présent, nous avons le choix entre partir et faire le mort. Mais, j’imagine comme cela peut être difficile sans le tumulte et la permanence des réseaux sociaux. Nous sommes curieux de connaître le degré de résistance de l’Haïtien à la déconnexion totale et fatale.  Plus de « zen », plus de transferts d’argent, plus de « nude » et le grand cirque de la manipulation et du marketing sauvage.

Nous ne pouvons pas nous contenter du rôle de simples figurants dans une mauvaise série Netflix. Décemment, le pays mérite mieux. 

Jean-Euphèle Milcé

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