Crever le plafond de verre !

La violence qui se déchaine sur CitéSoleil aura égalé et même dépassé,dans l’horreur, les massacres en Plaine du Cul-de-Sac il y a quelques mois. Les affrontements entre le gang des « 400 mawozo » et celui de « Chen mechan » avaient déjà provoqué dans la ville  choc et stupeur.

Depuis le 8 juillet, une offensive du « G9 » contre leurs adversaires et concurrents du « Gpep » ne cesse de faire des victimes dans les rangs des belligérants, mais aussi au sein de la population civile. Des balles de gros calibre ont littéralement transformé en passoires de pauvres maisons d’infortune des habitants du plus grand bidonville de la capitale. Tout comme en Plaine, il y a quelques semaines, un exode sans précédent s’est produit dans la cité devant les innombrables crimes des hommes armés.

On ne compte plus les victimes au quotidien et le spectacle sanglant continu avec pour régisseurs des chefs de bandes imperturbables devant les cadavres qui s’amoncellent. Tous les scénarios les plus sordides de la guerre s’y déroulent en accéléré : viols de femmes, exécutions sommaires, représailles contre des civils qui n’ont commis qu’un seul crime, celui d’habiter un espace sous contrôle du gang adverse.

Les organisations des droits humains et les organismes des Nations unies lancent, depuis quelques jours, des cris d’alarme réclamant en urgence des couloirs humanitaires. Des centaines de femmes et d’enfants sont pris au piège de cette violence qui ne fait pas de quartier. La faim et la soif auront raison de ceux que les balles n’ont pas tués. 

En 1996, le professeur Lesly Manigat alertait l’opinion en ces termes : « Nous vivons une crise inextricable dans laquelle nous pataugeons, incapables de nous en sortir…d’ouvrir pour notre peuple les portes de la modernité ». Le bouillant intellectuel affirmaitàl’époque,avec toute la verve qu’on lui connaissait, que la société haïtienne était bloquée, et que cette misère insondable nous avait dépouillés de notre dignité. 

Aujourd’hui, la crise est à une phase des plus aiguës. Un diplomate chinois aux Nations unies a affirmé avec raison que c’est la pire des trente dernières années. On ne peut qu’abonder dans ce sens, puisque l’inflation se mêle à la violence des gangs en un cocktail social des plus explosifs.

Les populations dans plusieurs villes du pays ont d’ailleurs protesté la semaine dernière contre la hausse vertigineuse du prix de l’essence acheté au marché noir. La ville de Saint Marc est vent debout contre les exactions qui se commettent sur la route du Nord. Les appareils d’État sont débordés, les dirigeants sont obligés de boire la coupe de sang jusqu’à la lie.

Quelques réactions encourageantes sont quand même à signaler, la saisie de plusieurs containers bourrés d’armes et de munitions qui devaient alimenter cette compétition ininterrompue entre bandes rivales avec la mort pour trophée ! Et surtout des opérations policières audacieuses qui se sont soldées par des arrestations non négligeables et quelquefois des défaites stratégiques infligées àcertains groupes particulièrement dans le nord de la capitale.

La dernière résolution de l’ONU, jugée trop molle par une partie de l’opinion face à la dégradation de la situation, n’a pas beaucoup rassuré les Haïtiens. Le regard d’une partie de l’opinion est maintenant tourné, non sans scepticisme, vers les négociations inter-haïtiennes qui ont repris depuis trois jours.

Une percée dans les négociations pourrait ouvrir des fenêtres d’opportunités et relancer le momentum politique indispensable et, qui sait , forcer l’International à soutenir véritablement non plus du bout des lèvres un processus dirigé par des Haïtiens.

Cela nécessite de briser le plafond de verre de nos intérêts claniques, et c’est malheureusement à ce niveau que le bât blesse.

Roody Edmé

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