Haïti au carrefour du mémoricide !

Dans la capitale comme dans les provinces, la migration et l'éclatement des familles sont devenus la norme. En dehors de quelques publications et communications renouvelées sur les réseaux sociaux, il ne restera plus rien en tant que souvenirs dans la mémoire collective des familles et des institutions.

Dans ce nouvel ordre de confinement culturel, l'identité collective ne trouvera plus rien comme substance ancestrale, comme nourriture patrimoine pour se renouveler et se vivifier. Plus que jamais, la culture dominante ou les cultures dominantes ne feront pas de cadeau. Il y a risque d’alimenter une situation qui conduira vers la survie du chacun pour soi au détriment de la mémoire collective d’un pays, de toute une nation, et durant plusieurs générations dans une forme d’autodestruction planifiée.

Dans l’ouvrage « Le mémoricide, quel cadre juridique pour préserver le patrimoine culturel ? », l’auteure Vanessa Koum Dissake abordait, dans la collection Sciences criminelles de l’Harmattan, un sujet qui tient certainement sa place dans l’actualité, sans pour autant faire grand écho.

C’est quoi au juste le mémoricide?  « La culture est devenue pour chaque société un enjeu économique, social et politique. Toutes les questions liées au pouvoir ont d’ailleurs un lien avec la culture. Et la guerre qui frappa l’ex-Yougoslavie à la fin du siècle dernier en est un exemple éloquent. Elle a cristallisé le mémoricide comme un crime de droit international », rapporte le résumé de cet ouvrage de référence.

Donc, le mémoricide se résume, dans un certain sens,  à ce : « crime contre la mémoire et contre la culture qui pourrait être défini comme la destruction du patrimoine culturel dans l’objectif de configurer une identité collective ».

Dans la nouvelle expérimentation de déshumanisation collective et institutionnelle que propose, depuis le lendemain du 12 janvier 2010, et plus de douze ans après, la République d'Haïti en tant que laboratoire de l’international, les principaux faits marquants les plus spectaculaires entre la gouvernance des catastrophes naturelles, et l’architecture de la logique des crises complexes et interminables qui justifient bon nombre de présence des institutions internationales sur le sol dessalinien confirment, sous la loupe de la raison, une forme renouvelée de mémoricide.

D'ici les prochaines décennies qui nous mèneront vers l’année 2054, qui marquera la  commémoration prochaine du 250e anniversaire de l’application du Nouvel ordre mondial en 1804, il ne restera que des fragments de la mémoire historique, quelques vestiges de la grandeur politique de l'idéal haïtien, et quelques feuilles rebelles et desséchées qui tomberont des branches de l’arbre de la liberté, dont les racines sont alimentées à travers les puits du mémoricide.

Durant plusieurs siècles, on retenait toujours qu’à: « L'échelle politique, l’histoire est en effet un refuge, un réservoir dans lesquels les partis politiques puisent des éléments pour étayer leurs propos ». Cependant, plus d’un se questionne sur les dérives et les destructions imposées dans cette forme de mémoricide importée par la colonisation et imposée par la mondialisation.

Devant l’absence d’une conscience collective nationale pour protéger les racines de toute une nation et dans le silence qui nous rapproche autour des contradictions les plus absurdes qui se confondent à quelques normes de notre modernité, on pourrait se demander comment sanctionner si on ne se souvient de rien ?

Disparaitra un jour Haïti sur la carte du monde, lorsque tous les survivants sensibles et sensés de cette nation ne disposent plus de socle pour cacher l’horizon, pour dialoguer avec les ancêtres, ou pour déposer des fleurs en souvenir de nos souvenirs mourants ; si rien n’est fait pour empêcher la mort lente de la mémoire collective.

Différemment de l’autre qui voulait rapprocher les hommes, la terre, le soleil et les cours d’eau pour en faire un cocktail politique, il nous faut récupérer, sous les décombres flottants de l'édifice national, la chair et le sang, les ossements et les noms de chaque victime et leurs familles respectives, en se servant des archives et tous les autres documents qui porteront les marques de cette nouvelle forme de mémoricide non réglementée par le droit international et les conventions sur les crimes transnationales.

Désistement dans les rangs des gardiens du patrimoine, destruction des vies et des biens tout autour, Haïti arpente au quotidien les rues du génocide perpétuel, comme pour retrouver les traces orphelines de la civilisation indienne sur cette terre, devenue maudite pour les Haïtiens issus des noirs, les survivants de l’esclavage, et, pourtant paradisiaques pour les plus récents étrangers passagers, sans trace ni mémoire, de toutes les races et parfois sans histoire.

 

Dominique Domerçant

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