Et si on construisait ensemble ce pays ?

Chez nous, il a existé un parti qui portait le nom de Mouvement ouvrier paysan (MOP) qui, plus tard, a été rebaptisé «Mouvement d'organisation du pays ». Cette formation politique n'existe plus, tout au moins officiellement, mais je me dis aujourd'hui que l’idée d'organiser le pays et de l'habiter devrait être l'objectif vital de chaque parti ou organisation de la société civile.

Organiser ce pays équivaut à rendre fonctionnels les services publics de base comme le nettoyage des rues, le ramassage d'ordures, l'accès à l'eau et à l'électricité par exemple. L’anarchie sur les routes créée par l'absence de feux de signalisation et la multiplication des motos taxis est à résoudre. Ces derniers sont certes une réponse au recul d’un transport en commun organisé, mais en même temps il n’en demeure pas moins qu’ils constituent un facteur aggravant de l'insécurité généralisée.

Il est aussi impératif de revoir le système de santé aussi bien dans le public que dans le privé. Dans les hôpitaux publics, il arrive que le médecin prescrive au malade l'achat d'une seringue parce que, tout simplement, on n’en trouve plus dans les stocks de l'hôpital. Les centres de santé sont aussi dans une précarité frôlant l'indigence. En dépit des apparences, certains hôpitaux privés confrontent aussi de dangereux manquements : des salles d'urgence qui ne le sont que de nom, des équipements dysfonctionnels (par exemple un appareil électrocardiogramme dont les ventouses sont arrachées depuis des lustres), des infirmières (certainement pas toutes) qui n'administrent pas aux heures prescrites les médicaments recommandés par les médecins dans le dossier des malades. Il n'est pas rare de noter l'absence d'un technicien devant installer en urgence une bonbonne d'oxygène.

Le système éducatif n'est pas mieux logé : enseignants absents, sous-équipements des écoles, difficultés d'application des programmes de cours, etc. Souvent, nos élèves sont victimes à la fois du climat général d’insécurité, mais des crises politiques récurrentes, comme lors de la stratégie de verrouillage du pays, le « pays lock », l’an dernier.

Même précarité au niveau infra-structurel avec un manque flagrant de routes et quand celles-ci existent elles ne sont pas entretenues et se dégradent assez vite.

Aujourd'hui, nous vivons l'abandon presque total par l’État de ses obligations régaliennes et le règne sans fard de la débrouillardise à l'haïtienne pour tout simplement habiter ce coin de terre. Dans le concept État, j’englobe les trois pouvoirs : un exécutif absolument inopérant, un législatif tout à fait dysfonctionnel et un judiciaire complètement impuissant.

Les autres institutions de la société civile sont, elles aussi, traversées par une crise profonde : des familles disloquées, des églises perdant petit à petit leur autorité morale en raison de scandales de mœurs diverses, une presse perdant de plus en plus son rôle éthique pour devenir une foire d’empoigne des politiques et de leurs supporters.

Si je rappelle ces réalités tenaces, c'est simplement pour mettre l'accent sur l'impérieuse nécessité de ce projet pays qui tarde à émerger. Il est nécessaire que nous fassions tous cet effort d'être plus humbles devant l'amplitude de la catastrophe qui menace de nous engloutir.

La terreur s'est déjà installée parmi nous et l'inévitable peut se produire d'un instant à l'autre. Il s'agit de se souvenir que nous sommes tous des Haïtiens et que nous avons un bien commun à sauver. Dans une situation aussi tragique, il ne sert à rien de paraître plus beau qu'un autre. Il s'agit, dans un effort de compréhension mutuelle, de se sortir du pétrin, sans avoir besoin que nos voisins quémandent une hypothétique aide qui snobe les souffrances de tout un peuple.

 

Roody Edmé

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