La violence ordinaire à l’égard des Haïtiennes

Pour faire beaux et intelligents, nous avons rempli tant de pages, parasité trop d’espaces de paroles pour rendre hommage à la femme haïtienne. Pourtant, personne ne s’est jamais inquiété, apparemment, de la niaiserie qui accompagne la célébration de la « beauté de la femme haïtienne et de la supposée société matrimoniale tenue par le courage et la ténacité des Madan Sara. Comme l’hypocrisie ne connaît pas de limite, il n’est pas étonnant que la misère de ces femmes se retrouve étalée dans beaucoup de visuels destinés à vendre l’authenticité et la qualité de la vie en Haïti.   

 

Des femmes chargées comme des mules se rendant au marché, des Madan Sara empaquetées comme des sardines dans des camions destinés au transport des marchandises non fragiles, sont des images précieuses pour les publicistes et les chevaliers intrépides 2.0.

 

C’est vrai qu’on a l’habitude de voter pour des femmes haïtiennes, qu’on lit leurs écrits, qu’on danse sur leurs musiques, qu’on achète et apprécie leurs œuvres, qu’on regarde et applaudit leurs films, qu’on connaît par cœur tous les vers de Choucoune, qu’on célèbre la fête des Mères fastueusement et qu’on chérit Erzulie et la Vierge Marie. C’est tout à fait vrai. Mais est-ce assez pour un pays qui n’a jamais su comment protéger et rendre justice à ses filles et femmes ? Avant la femme violée, on voit toujours la putain. Chez la femme battue, on cherche l’impertinente « limena ». Et, la femme qui lutte désespérément pour élever seule ses enfants est, pour la société, celle qui expie ses coucheries non autorisées et non consacrées par un mariage raisonnable. 

 

Les journées internationales de commémoration servent à beaucoup de choses et pas toujours des plus honorables. C’est l’occasion pour certaines agences internationales de justifier leur budget en concédant à des organisations locales des moyens pour imprimer des maillots, convoquer la presse, grappiller des likes. Et surtout de garder la petite monnaie. Mais, elles permettent aussi, dans une moindre mesure, de faire avancer des causes.

 

La Journée internationale contre les violences faites aux filles et aux femmes peut permettre d’évacuer le sentimentalisme mièvre et la comédie du pouvoir pour admettre enfin que les filles et les femmes sont les personnes les plus vulnérables en Haïti. Il faut un jour reconnaître qu’il s’agit d’une construction sociale cynique et délibérée. Il faut surtout plus que les discours relatifs aux politiques d’intégration des femmes dans la vie publique, dans la gestion des petits projets communautaires et la promotion des produits usuriers de la microfinance sous prétexte de développer l’entreprenariat au féminin. 

 

Il est urgent de protéger les filles et les femmes haïtiennes contre toutes les violences inhérentes à la crise actuelle. Ce sont elles qui subissent les dégâts irréparables de la faim, des catastrophes et de l’insécurité.

 

La femme haïtienne est l’égale du mâle devant la mort. Une a été présidente, certaines ont occupé des fonctions de Premier ministre, de ministre, de parlementaire et de grands commis de l’État. Toujours est-il qu’il en manque beaucoup dans les directoires des entreprises considérées comme les fleurons de l’économie du pays.

 

Une femme borgne vient d’être licenciée en Haïti à cause de son handicap. Et alors ? Elle n’est pas au menu de la célébration.

 

Qui a dit qu’Haïti est une société matrimoniale?

Jean-Euphèle Milcé

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