Les flammes dévoreuses de l’impunité !

Depuis quelques années certaines dates charnières sont devenues des oc¬casions de contestation sociopolitique. Il est clair que nous avons mal dans notre nationalité et que l’être haïtien est menacé dans son existence civile et patriotique. Quand on observe le délabrement de nos villes, la tristesse de nos campagnes, et le nombre grandissant des candidats au départ, on se dit qu’il est venu le temps de faire le bilan de tant de déroutes historiques.

Depuis quelques années certaines dates charnières sont devenues des oc¬casions de contestation sociopolitique. Il est clair que nous avons mal dans notre nationalité et que l’être haïtien est menacé dans son existence civile et patriotique. Quand on observe le délabrement de nos villes, la tristesse de nos campagnes, et le nombre grandissant des candidats au départ, on se dit qu’il est venu le temps de faire le bilan de tant de déroutes historiques.

Pourquoi restons-nous fascinés par un passé de grandeur sans pouvoir nous en inspirer pour construire l’avenir ? Tout se passe comme si notre histoire s’était écrite une fois pour toutes et était restée figée dans les prouesses des fonda¬teurs. Depuis, en dehors de quelques percées historiques et de mesures éclai¬rées de certains hommes d’État conséquents, trop rares pour changer notre destin, le pays est irrémédiablement attiré dans les bas-fonds de l’Histoire.

Haïti a toujours vécu des drames politiques et des crises économiques récur¬rentes. Les moments de répit ne nous ont jamais permis de marquer une pause pour revoir nos copies et corriger ce qui méritait de l’être. C’est à croire que nos problèmes ne sont pas que politiques, mais relèvent de la psychanalyse. Force est de constater que nous avons un rapport pathologique avec le bien commun, dont nous sommes incapables d’en assumer la jouissance collec¬tive. Un individualisme forcené et une passion délirante et meurtrière pour le pouvoir ont jalonné un itinéraire national chaotique. Comment expliquer que depuis la fondation de cette nation, nous ayons eu tant de mal à organiser et renforcer le service public ? Comment se fait-il que nous n’ayons jamais pensé à les rendre accessibles au plus grand nombre ? Il nous faut reconnaître dans une analyse sans concession de nos échecs cumulés, que ce pays s’est constitué contre l’oppression, contre les privations les plus abjectes des libertés fonda¬mentales, mais ne s’est pas encore construit pour le vivre- ensemble.

L’ordre social et politique issu de la colonisation a reproduit pendant plus de deux siècles le déni des droits humains, l’exclusion de la majorité et la fascina¬tion morbide pour le pouvoir d’État. L’histoire de la politique en Haïti ne s’est pas faite autour des institutions, mais s’est forgée dans des luttes sanglantes en¬tre fractions pour des lambeaux de pouvoir au détriment de l’État nation. La politique est et demeure un facteur de promotion sociale, un moyen explosif d’accumuler de la puissance, de prendre notre revanche sur ceux qui nous ont précédemment humiliés.

Ce qui s’est passé ces derniers jours a confirmé notre grande fragilité insti¬tutionnelle, principalement au niveau de la circulation. Des milliers de voi¬tures immobilisées dans des rues trop étroites comme si le temps s’était arrêté. Des automobilistes se sont frayé un « passage » en empruntant les trottoirs, réservés aux piétons, dans un tintamarre de klaxons, de sirènes, un vacarme de tous les diables. Tout cela n’est pas nouveau me direz-vous, mais le délire urbain a semblé prendre la semaine dernière des allures d’apocalypse. Les au¬tomobilistes hagards n’avaient jamais autant souhaité la présence secourable des agents de la circulation, timides et impuissants pour l’occasion.

La guerre des gangs et l’impunité entourant leurs aventures criminelles ont renforcé la méfiance vis-à-vis des pouvoirs publics. La bataille rangée au sein même de l’institution judiciaire qui a provoqué la paralysie des tribunaux achève le tableau peu reluisant d’une atmosphère politique et sociale à couper au couteau.

La marche du 18 novembre lancée par les organisations politiques a encore une fois témoigné de la fièvre qui s’est emparée du corps social. La radicalité du discours de certains protagonistes et quelques violentes éruptions qui ont jalonné l’évènement ont tout de même dissuadé certains marcheurs soucieux d’éviter toute provocation.

Les jeunes qui ont lancé la croisade démocratique contre la corruption ne sou¬haitent nullement faire tourner le même manège des révolutions de palais : ils veulent un autre projet de société. Se contenter uniquement de remplacer le pilote n’empêchera nullement au moteur d’exploser. Tôt ou tard, il faudra trou¬ver les voies et moyens d’établir ce dialogue social jusqu’ici impossible, pour enfin refonder notre nation.

Le président de la République a eu raison de pointer l’instabilité comme une constante menace au développement de ce pays. Mais il doit se faire à l’idée que le chaudron social est alimenté par les flammes dévoreuses de l’impunité et de la corruption prévaricatrices du bien commun.

Roody Edmé

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