Il était une fois Tony Cantave

« Mourir donne l’impression de courir
On troue un brouillard
On enjambe un mur sans l’effleurer par respect du liseron
On croise des silhouettes sorties des vieux livres :
Un philosophe
Un prophète
Un enfant
Qui effeuillent la même page
Mâchent la même phrase… »

Venus Khoury-Ghata.

Tony laisse le souvenir d’un fidèle ami. Un allié sur qui on pouvait toujours compter. C’était avant tout un homme bon. Il n’y avait chez lui aucune posture idéologique, son amour pour Haïti était d’une sincérité aussi claire que l’eau de roche.

L’homme fut un chercheur de grande qualité.Géographe de profession, il a parcouru et étudié ce pays dans ses moindres recoins. Il était obsédé par la dégradation continue de l’espace haïtien et les conditions d’existence misérables du « pays en dehors »et aussi du potentiel de richesses de nos campagnes mal aménagées, pour ne pas dire quasiment abandonnées.

Des villes pulvérisées par l’explosion démographique et des agglomérations éparpillées à des kilomètres les unes des autres dans une anarchie spatiale qui ne manqueront pas d’affecter les projets régionaux de développement.

Tony est un militant du bonheur humain. Professeur émérite des universités, il n’a voulu exercer aucun mandarinat sur ses collaborateurs et étudiants. Sa simplicité, son empathie pour toutes les causes justes ont fait de lui un grand passeur des mots qui affranchissent, et un guide pour ses camarades et étudiants.

L’humaniste qu’il était avait une vie intérieure intense et ne semblait vivre que pour les autres. Il a cru dans les vertus décentralisatrices de la Constitution de 1987 qui, pour lui, représentait la voiedu développement de nos régions phagocytées par une capitale devenue un « Léviathan » urbain.

Il a aussi mené le bon combat dans le domaine de l’éducation. Il était sur tous les fronts de nos réformes éducatives galvaudées par des politiques publiques balbutiantes et peu audacieuses.Il marqua de ses idées novatrices, les réunions studieuses au sein du comité scientifique de la revue « Rencontre »qui s’imposapendant de longues années comme le dernier rempart d’une intellectualité libre et démystifiante.

Les coordonnateurs de cette brillante revue que sont Suzy Castor, Ruth Myrtho Casseus, Charles Cadet, William Kénel Pierre, sans oublier la très regrettée Jessie Manigat ont tous eu leur part d’affection et de générosité d’un Tony affable, souriant et brillant de mille soleils.

Cette revue demeureun grand forum où mille fleurs s’épanouissent, un grand carrefour où se rencontrent encore les meilleurs esprits de notre intelligentsia non seulement pour débattre des sciences économiques et sociales, mais aussi pour rêver d’un pays.

Tony venait souvent me voir pour m’embarquer dans une de ses aventures pleines de promesses. La dernière en date concernait les manifestations de la décennie du peuple noir et il était plongé à fond dans ce projet qui devait permettre aux jeunes de découvrir les grands leaders politiques et intellectuels du monde noir entre « figures iconiques et visages moins connus ».

Tony est parti aussi discrètement qu’il avait débarqué dans nos vies, mais telle une comète, il laisse une trace inoubliable dans nos « ciels » encore sous la menace de tempêtes politiques.

Roody Edme


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