Sortir du bruit et de la fureur stériles

La Première dame est arrivée ce samedi 17 juillet à l’aéroport Toussaint Louverture. En grand deuil, le bras gauche en bandoulière, des pas pesants, mais fermes, elle s’avance lentement sur le tarmac pour saluer les gens venus l’accueillir. Martine Moise portait sa grande tristesse non sans une certaine dignité, elle a fondu en larmes en revoyant certains proches de son couple brutalement dissous une aube ensanglantée, il y a dix jours.

Les observateurs ont remarqué qu’elle portait un gilet pare-balles, signe dramatique de l’insécurité ambiante qui menace jusqu’au sommet de l’État. Notre « République exterminatrice » pour reprendre un mot du professeur Roger Gaillard, a atteint ces derniers mois un sommet dans l’horreur. Le massacre de Delmas 32, qui a suivi ceux de La Saline et du Bel’Air, annonçait une chute interminable dans l’abjection et le permis de tuer sans conséquence.

Les assassins sont certes depuis longtemps dans la ville, et ont fait mériter à notre capitale son ancienne réputation de port aux crimes. Aujourd’hui, les mannes de l’ancien président réclament justice. Et c’est peut-être l’occasion après une tragédie d’une telle magnitude de réfléchir sur le chemin à prendre pour tirer ce pays du bourbier sanglant.

Le maître mot aujourd’hui est donc justice pour un président, certes pas très populaire, mais dont tout le monde rejette le mode d’exécution. Un acharnement « diabolique » qui transforme aujourd’hui cet ancien président obstiné par son propre agenda constitutionnel en un « martyr », un nouveau totem sacrificiel qui plonge la nation dans l’affliction que l’on soit parmi ses partisans ou opposants.

L’enquête se déroule sur un fil d’Ariane. Le labyrinthe est rempli de chemins sinueux et de parcours tordus, le monde entier est concerné. On n’assassine pas tous les jours un chef d’État, et trop de ressortissants étrangers s’y trouvent mêlés. L’enquête prend donc une ampleur sans précédent, et alerte les polices de tout le continent. Et quand les vraies informations se font rares, les réseaux sociaux s’affolent et dressent certains réquisitoires. Le sujet est émotionnellement trop brûlant et la confiance dans nos institutions trop atteinte pour que les gens ne cherchent pas leurs propres sources d’informations quand ils ne les façonnent pas eux-mêmes.

Entre-temps se pose le problème réel de la gouvernance. Le Premier ministre de facto Claude Joseph affirme haut et fort sa volonté de trouver une issue négociée pour une transition apaisée. Nous avons appris en dernière heure que la passation de pouvoir se fera demain mardi20juillet. Le Premier ministre nommé Ariel Henry qui se présente comme un homme ouvert a déjà du retard sur le temps politique. L’Histoire n’attendra pas longtemps avant de fermer ses grands battants sur le devenir de ce nouveau gouvernement. Il arrive au pouvoir avec un déficit de crédibilité, en étant boudé par les partis politiques et une partie de la société civile. Il doit naviguer entre la fidélité des accords conclus avec son ancien chef décédé et le nouveau momentum historique qui s’offre à lui qui ne dispose que d’un soutien ouvert de l’International.

Des organisations de la société civile ont bossé laborieusement le week-end dernier à la recherche d’un consensuspour une transition apaisée et soutenue par une feuille de route. C’est de bonne guerre que la société civile s’engage en ces temps troublés. Mais la méfiance est telle et l’environnement si pesant, que les leaders à l’origine de cette grande concertation doivent agir avec méthode, et humilité, tout en gardant le bien du pays comme un horizon indépassable. Ne pas se laisser distraire des objectifs fondamentaux que sont : la sécurité pour tous et son corollaire obligé, la justice, les conditions optimales pour des élections justes et honnêtes non polluées par les puissances d’argent et la violence armée, un apaisement social sur fond de relance économique pour commencer à stopper la chute dans les abysses de l’indigence qui ravalent l’être haïtien.

Il faudra aussi éviter le piège de vouloir tout faire d’un coup en ayant un agenda trop chargé pour une transition forcément limitée dans le temps, car nous ne vivons pas des temps révolutionnaires.

Un autre danger demeure: les luttes sans grandeur pour l’hégémonie politique de la part de quelques personnalités qui ignorent le mot concession. Toute chose qui risque de faire déraper le processus de refondation de la société civile et saper ainsi les bases du nouvel État que nous espérons voir émerger dans le futur.

Roody Edmé

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