Pour réveiller l'âme des ancêtres !

Dans les jours de fête comme dans les moments sombres de l’histoire d’Haïti, ceci, avant, pendant et après la période de Saint-Domingue, et jusqu’à nos jours, le tambour est présent et vivant dans la vie du peuple haïtien et dans le cœur de la grande majorité des afro-descendants. Et pourtant, rares sont les investissements culturels, tant publics que privés, consentis par nos élites et les politiques pour rationaliser et institutionnaliser la présence de cet instrument dans la vie publique et les institutions sociales. Un Musée du tambour en Haïti, comme celui au Japon ou le musée à la forme du tambour au Vietnam serait essentiel.

De nombreuses réflexions et intentions, propositions, productions, actions, communications et initiatives autour du tambour sont pourtant à prendre en compte, malgré le manque de moyen des concepteurs et initiateurs engagés dans la valorisation de cet élément important de notre patrimoine. En attendant de répertorier les principales régions et organisations qui participent dans la production des tambours en Haïti, d’identifier les plus grands collectionneurs de tambours dans le pays ou dans la diaspora, et de cataloguer à des fins de constituer des collections autour de l’ensemble des productions intellectuelles, les archives, les documentaires, les créations artistiques et littéraires (sculptures, peintures, dessins, logos, monuments, livres, catalogues, illustrations, etc.), les reportages, les critiques, les auteurs et les acteurs qui participent dans la dynamique du tambour dans l’histoire du pays, il est venu le temps de lancer les chantiers du prochain musée du Tambour en Haïti !

« Depi tanbou frape kè tout nèg kontan, sa son bagay ki sot nan rasin », chantait Roger Eugène (Shoubou) le lead vocal de la bande de feu Herman Dominique Nau, Tabou Combo. Ces mêmes paroles remontent déjà au temps de Guy Durosier, un autre immortel de la musique haïtienne. À travers le prochain Musée national du tambour, la République d’Haïti va pour une nouvelle fois faciliter le rapprochement des nombreux musiciens, des tambourineurs et des fabricants de tambours, des ethnomusicologues, des chercheurs, des entrepreneurs du secteur, et tous les spécialistes sensibles à cet instrument sensationnel, socialisant et sacré.

De la place du tambour sur la terre d’Haïti, en passant par son implication dans toutes les activités humaines ou quotidiennes, entre la musique militaire (Guerre de l’Indépendance, sociétés secrètes, parades festives), le Vodou, à travers les rituels et les rites (Rada, Nago, Pétro, Ibo, Nago…), certaines pratiques religieuses occidentales comme l’Église catholique au fil des temps, et l’évolution des différentes tendances dans la musique haïtienne, entre autres, il manque terriblement un unique endroit en Haïti, consacré à l’exposition, l’étude, l’éducation, l’économie, l’environnement et l’éveil autour des connaissances, des savoirs, des secrets et des sagesses liés au tambour dans toutes ses dimensions. Un musée du Tambour en Haïti, pour réveiller et revitaliser l'âme des ancêtres !

L’opportunité sera offerte de découvrir dans ce Musée du tambour en Haïti, toutes les connaissances utiles et pratiques, qui participeront à l’éveil du citoyen et des citoyennes sur le plan émotionnel, éducatif, économique et entrepreneurial. À la découverte de la première grande collection de tambours en Haïti. Qui seront les potentiels contributeurs pour un tel projet ? Quels sont les plus anciens et les plus célèbres tambours à protéger et à présenter dans une première grande exposition nationale et internationale sur le tambour ? Quels sont les tambours fabriqués en Haïti qui composent les collections de plusieurs musées à travers le monde et dans des institutions internationales ? Existe-t-il un marché du tambour en Haïti ? Quel est le prix de fabrication ou le prix de revient d’un tambour sur le territoire national ? Quels sont les principaux éléments, intrants et outils qui participent dans la fabrication des tambours en Haïti et/ou dans la diaspora ? Pourquoi le ministère de la Culture, des fondations, des mécènes, des entreprises et des banques devraient investir dans l’ouverture du prochain musée haïtien des Tambours ?

Défendre la place du prochain ou premier Musée haïtien du tambour se confirme parmi les plaidoyers culturels et artistiques les plus légitimes à prendre en compte dans l’élaboration du prochain document de politique culturelle, qui rattrapera celui réalisé en juillet 2011, il y a pratiquement dix ans. Quelles sont les associations thématiques possibles et logiques entre les termes: Assotor, Manman tanbou, Kata, Cassé, Yanvalou, Agwe, Legba, Rada, Ibo, Petro, Nago, Kongo, Mayi, Marassa, Bizango avec le tambour ?

Des tambours peuvent être fabriqués avec les produits et les supports synthétiques, organiques et naturels (issus de la flore et de la faune locales), des éléments traditionnels, des valeurs mythiques, et des principes authentiques à la terre d’Haïti. Comment identifier, décrypter, dompter ou sacraliser un tambour suivant les traditions populaires haïtiennes, notamment dans la paysannerie ? Quelles sont les statistiques disponibles autour du tambour en Haïti, en termes de production, localisation, d’importation et d’exportation, d’utilisation, entre autres ? Quels sont les connaissances, les compétences, les caractéristiques, les langages, les secrets et les vocabulaires appropriés aux tambours en Haïti ?

Du ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle devrait venir la plus grosse commande de tambour, si et seulement si toutes les écoles du pays devraient disposer au moins d’un ou d’une douzaine de tambours dans l’une des salles de classe ou l’espace qui serait réservé à l’atelier de musique de l’école ? Dans les différents ambassades et consulats d’Haïti à travers le monde, la présence au moins d’un tambour dans la salle d’accueil des visiteurs et dans le bureau des tous les ambassadeurs et des consuls, serviraient à rendre hommage à la mémoire de nos ancêtres, à la flore et la faune d’Haïti, aux arts et à la musique en particulier, au patrimoine et à la culture nationale authentique du peuple haïtien.

Dans la représentation du tambour dans sa forme basique, on retrouve tous les éléments de la créativité haïtienne. Le tambour est à la fois un instrument de musique, un objet sacré qui participe aux rituels mystiques et dans la marche des combattants et guerriers de l'Indépendance haïtienne, en passant certainement par les histoires qui rappellent la cérémonie de Bois-Caïman de plusieurs autres mythes qui enrichissent l’imaginaire collectif et l’histoire d’Haïti.

Dans la représentation symbolique ou esthétique du tambour, on retient dans la genèse du tambour, au niveau de la fabrication, une oeuvre des arts plastiques qui fait référence à la fois à une sculpture, s’agissant d’une pièce taillée à partir d’un tronc d’arbre, mais aussi d’une oeuvre picturale sur la base que de nombreux artisans et artistes peintres de renommée utilisent les façades extérieures du tambour pour dessiner, pour peindre et pour représenter tous les êtres et objets, les motifs et les symboles, les messages et les scènes, les illustrations et les communications qui concernent à la fois les vivants et les morts, le monde invisible et visible.

Des dizaines, des centaines et des milliers de tambours sont à rapatrier, à restaurer, à reconstituer, à récupérer, à institutionnaliser et à immortaliser lors des prochaines expositions qui seront accueillies dans les locaux du prochain Musée national du tambour en Haïti. Quelle place devrait occuper Raymond Baillargau, dit Ti Roro (Le roi du tambour haïtien), Léonor Fortuné (Azor), Louis Lesly Marcelin (Samba Zao), Claude Saturné, Jean Mary Louissaint, Jagana, entre autres dans ce Musée du tambour ? Pourquoi en valeur les femmes qui jouent au tambour entre la musique racine, le Rara, les sociétés secrètes entre autres, comme dans Rara fanm, dans les collections du Musée du tambour ?

Dans quel entrepôt, salon, dépôt, bureau ou réserve des résidences, bureaux ou musées en Haïti et dans d’autres villes du monde se trouvent les tambours de Ti Roro, d’Azor, des plus anciens groupes musicaux en Haïti, des plus grands péristyles et lakou en Haïti ? Comment rendre hommage à tous les hommes et les f tambourineuses qui évoluent dans les troupes de danse, les troupes de théâtre, les bandes de rara, les églises et les temples Vodou, et dans les rares écoles et universités du pays et dans la diaspora ? Nixon Léger et Josenti Larochelles sont parmi les artistes peintres qui s'amusent assez bien avec le tambour, ainsi que Jude Richard et des écrivains comme Edson Lafortune et Anderson Dovilas.

Durant sa première visite officielle au Vatican (Saint-Siège) l’ancien président Michel Martelly allait offrir un tambour au pape Benoît XVI, le 22 novembre 2012. Un geste très symbolique, à la fois diplomatique et historique. Derrière cette œuvre en paillette devenue depuis célèbre, on voudrait bien connaître le nom de l’artisan qui l’avait réalisé ? Une image qui aura sa place dans l’histoire de la politique, dans le Musée de la musique et les collections du Musée du tambour, et sans oublier dans les relations internationales et la diplomatie culturelle.

Dans le péristyle de Mariani qui a connu ses heures de gloire pendant plusieurs décennies, je me souviens des différents tambours qui ornaient et servaient aux quatre saisons à l’animation, la contemplation et l’inspiration dans ce haut lieu mystique qui porte encore les empreintes de la famille de feu Max Gesner Beauvoir.

Dans la grande collection du Musée du Panthéon national haïtien (MUPANAH), il est possible d’apprécier le tambour géant qui porte les empreintes du temps et de l’espace haïtien. Il est temps d’enseigner l’histoire et les langages du tambour dans le système éducatif haïtien.

Durant mon passage à l’École nationale des Arts (ENARTS), entre 2000 et 2005, même admis au Département des arts plastiques, les cours d’introduction à la musique, en passant par l’initiation au tambour avec le célèbre musicien et formateur Samba Zao, allait me permettre de mieux comprendre, d’apprécier, de manipuler et d’explorer les sons et la souplesse, les sagesses et les secrets du tambour.

Des années après, mon passage au département d’anthropo-sociologie de la Faculté d’ethnologie de l’Université d’État d’Haïti, j’allais développer un nouveau regard, encore plus profond, sur les tambours lors des sorties dans les différents sites naturels, mystiques et multiculturels, pour ensuite découvrir la place du tambour dans d’autres régions du monde.

D’autres pays disposent depuis plusieurs années leurs musées du tambour. Au Japon, il y a quarante-trois ans un musée du tambour avait été créé par l’entreprise spécialisée dans les tambours, les sanctuaires portatifs et d’autres articles liés aux festivals : Miyamoto Unosuke Shoten. Ce musée dispose d’une collection d’environ 800 tambours, présentant les différents modèles qui viennent des États-Unis, d’Afrique, d’Europe, d’Asie, dont le public pourrait essayer certains de ces tambours lors des visites.

Du pays de Naomi Osaka en passant par la terre natale des patrons actuels de la compagnie nationale de télécommunication en Haïti (Natcom), le Vietnam, on retient la présence du Musée de la province de Tanh Hoa (centre), qui prend la forme d’un tambour de bronze. Autant conclure que le tambour, comme instrument de musique et symbole identitaire et culturel, n’est pas aussi diabolique et destructeur pour ces pays plus riches et développés que chez nous, en Haïti.

Deux exemples d’investissement intelligent, engagés par d’autres pays autour du tambour, comme institution et comme symbole, à des fins valorisantes et rentables, qui devraient inspirer les Haïtiens, dont certains ruminent des termes comme l’entrepreneuriat et la création de richesses, sans jamais prendre le temps de l’associer à la culture nationale, en tant que levier et comme ciment rapprochant le plus grand nombre des citoyens et des familles en Haïti. Rendez-vous au prochain Musée du tambour ! Une belle occasion pour apprendre, pour se détendre, et reprendre confiance dans la culture nationale.

Dominique Domerçant