Dans ces moments de crises majeures avec des dimensions mondiales et des impacts sur le plan national, pour gérer les urgences et garantir la sécurité du territoire et orienter la population dans la discipline la plus rigide, la présence des militaires professionnels devient l’unique et l’ultime réponse en temps de guerre. Oui je dis bien en temps de guerre, car le monde est en guerre contre l’épidémie du coronavirus qui avance à pas géant sur tous les territoires des États les mieux organisés comme les plus vulnérables comme le cas d’Haïti.
Demain dans un mois, six mois, douze mois ou dix ans, nous risquons de compter des centaines ou des milliers de victimes, reparties entre les morts, les familles contaminées et les populations endeuillées. Comment les forces armées des autres pays participent à la gestion d’une telle crise ? Quelles sont les limites des forces de police dans la gestion de telles catastrophes ? Pourquoi inscrire les militaires haïtiens dans l’organisation des réponses face à la propagation du coronavirus ? Quelle est l’économie d’une implication des Forces armées d’Haïti dans la prévention et la protection ?
Devenir militaire, c’est, avant tout, dédier totalement sa vie au pays qui vous a donné une identité, à la terre qui vous a nourri en grande partie, et à la nation qui vous a insufflé des valeurs et la fierté d’être, et enfin à l’État qui vous a formé et armé pour défendre la population et les institutions du pays. Dans tous les manuels militaires et les formations enseignées dans les différentes académies à travers le monde, les militaires représentent toujours les premiers gardiens du territoire, en temps de paix comme en temps de guerre.
Devant le chaos qui se dessine avec la propagation spectaculaire de cette épidémie de Covid19, sur le territoire haïtien, il serait de bons tons que les autorités du pays instaurent le service militaire obligatoire, afin de recruter le plus grand nombre de jeunes en âge de participer aux exercices liés à la protection civile avancée pour contrer cette épidémie.
Détourné des ridicules qui inspiraient la génération des groupes armés ou enroulés mobilisés autour des assiettes : « diri a chou » avant l’intervention des forces étrangères en Haïti dans les années 90. Tout en écartant les intentions macabres de voir créer des milices dans le pays, comme ce fut le cas avec le corps des Volontaires pour la sécurité nationale (VSN) devenus le socle du régime des Duvalier, avant le sort qu’ils ont connu en 1986, ou dans le pire des cas, retourner dans les groupes paramilitaires comme le FRAP, les attachés, parmi tant d’autres horreurs. Le pays a besoin des réservistes pour servir la population en ces temps de crises majeures. Dans le cas contraire, nous allons nous contenter des groupes armés qui font la loi dans les villes et quartiers devenus des zones de non-droit. Tout est une question d’orientation et d’utilisation de la force et de légitimation ou non de la violence au service des institutions régaliennes et républicaines.
Dans une sorte d’inventaire des ressources humaines disponibles organisées et surtout disciplinées que dispose le pays pour le moment présent, on peut citer : les différentes unités de la Police nationale d’Haïti (PNH) en premier lieu, suivies de l’embryon des Forces armées d’Haïti (FADH), les services d’urgences médicales repartis à travers le Centre ambulancier national (CAN), la Direction de la Protection civile (DPC), les Scouts d’Haïti, les entreprises privées de sécurité utilisant des agents affectés dans la sécurité des entreprises, des résidences et personnalités importantes, parmi les plus connues.
De toutes ces entités spécialisées ou impliquées dans la sécurité des vies et des biens, il manque terriblement ce maillon déterminant pour établir une hiérarchie logique et républicaine des forces armées dans le pays.
Qu’on se rappelle encore une fois qu’au lendemain du tremblement de terre du 12 janvier 2010, la majorité des pays amis et solidaires du peuple haïtien avaient utilisé leurs soldats pour porter secours aux familles haïtiennes. Avec le coronavirus, encore plus dangereux que la terre qui tremble, ces mêmes pays ne vont pas forcément risquer leurs soldats dix ans plus tard. À défaut de les importer, encore moins les soldats dominicains pour intervenir dans les quartiers reculés et nos bidonvilles oubliés, il nous faudra nous en procurer nous même des soldats haïtiens pour prendre les risques aux côtés de la population haïtienne.
D’un point de vue psychologique, ils sont certainement des milliers de jeunes hommes et femmes dans le pays qui ne souhaitent pas forcement devenir des policiers, encore moins des professeurs ou des agents civils de la fonction publique. Les comportements et les pratiques des jeunes qui composent la plupart des groupes armés des quartiers populaires du pays confirment cette forme de passion pour les armes lourdes ou cette volonté ou illusion de défendre l’espace symbolique, même au prix de leurs vies.
Déformation sociologique en dehors des objectifs qui animent ceux qui assurent la distribution de ces armes et minutions dans ces quartiers vulnérables, ces pauvres jeunes victimes du système sociopolitique ne demandent que les plus hautes autorités du pays, à travers la Commission de désarmement et de réinsertion change tout simplement leurs logiciels. Il est possible de convertir ces jeunes désespérés en des acteurs utilitaires et utilisables. Entre une démarche d’inclusion sociale, d’intégration économique et d’intelligence collective sans renier les fonctions des institutions judiciaires et des droits de l’homme, et surtout la mémoire des dizaines de milliers de victimes, l’État sera obligé de négocier avec ces jeunes armées pour sauver les familles qui seront éventuellement ou prochainement contaminées dans les zones de non-droit.
Donnons encore plus de moyens et des conditions de travail décentes aux policiers haïtiens qui ont la charge de protéger et de servir la population. Investissons parallèlement dans le renforcement des Forces armées d’Haïti (FADH), qui doit véritablement jouer sa partition lors des grandes catastrophes naturelles et humanitaires, en dehors des temps de guerre. La menace du coronavirus est réelle.
Demain sera trop tard, et même très tard si les élites du pays ne s’entendent pas sur les nouveaux choix qui s’imposent pour doter le pays d’une véritable force armée, qui passe de la représentation symbolique pour jouer son véritable rôle de pilier géopolitique et stratégique dans la gouvernance invisible du territoire et la géopolitique régionale.
De l’importance d’une armée pour Haïti, face aux nouvelles urgences majeures qui prennent forme dans la nouvelle réalité planétaire, il faudrait commencer par rendre obligatoire l’initiation aux services militaires à travers les classes terminales de tous les lycées du pays, en instituant une nouvelle section pour pouvoir accueillir les jeunes désireux de bénéficier d’une formation civique et citoyenne, physique et psychologique, patriotique et géopolitique, technique et scientifique, entre autres, avant de renforcer les rangs des réservistes des nouvelles Forces armées d’Haïti (FADH).
Diplomatiquement, il sera plus économique pour le pays d’avoir une force armée organisée, structurée, renforcée et orientée vers la sécurité du territoire et l’assistance de la population et des institutions en cas de besoin, que d’avoir tous ces groupes armés composés exclusivement par des jeunes lâchés dans la nature sauvage qui se battent entre la reconnaissance sociale et la résistance armée face aux autorités, tout en s’entre-tuant au quotidien.
Devant la menace du coronavirus, nous ne pouvons pas risquer la vie de nos pauvres policiers démunis dans les commissariats sous-équipés, sans masque et d’autres moyens pour imposer la loi à la population, composée des groupes de plus en plus violents et armés illégalement dans beaucoup de cas.
Dominique Domerçant