Un cri d’alarme pour sauver nos commissariats

Le samedi 27 octobre 2018, le « Groupe de réflexion sur la Sécurité et la Défense nationales » (GRSDN) a lancé son programme de “Visites aux commissariats du pays”. Le premier poste de police inspecté fut celui de la Croix-des-Bouquets. Selon le coordonnateur général de cette structure, Amary Joseph Noël, cette institution policière est en fort piteux état. Il lance un véritable S.O.S. à toutes les instances concernées.

L’enquête date de plus d’un an, mais les constats restent d’actualité. Rien n’a changé. La dégradation s’est même empirée. C’est peut-être pour cela que, profitant de l’accalmie sociale, les auteurs ressortent ce bouleversant reportage sur les réseaux sociaux et enchaînent des demandes d’aide adressées aux institutions directement ou indirectement impliquées. C’est ainsi que des propositions de rencontres de travail ont été envoyées aux responsables de la Commission nationale de désarmement, de démantèlement et de réinsertion (CNDDR), de la Police, de l’armée et de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSC/CA). Florence Élie, Yolène Jean-Baptiste et Amary Joseph Noël qui ont signé les différentes correspondances attendent « avec impatience » les réactions des responsables concernés, d’autant plus que le mouvement « pays lock » avait retardé leur action.

Dans le reportage paru en novembre 2018, le Groupe de réflexion sur la Sécurité et la Défense nationales (GRSDN), la Coordination nationale de la Société civile haïtienne (CONASCH) et la Confédération des Haïtiens pour la réconciliation (CHAR) ont fait état de la situation matérielle de ce commissariat situé à Croix des Bouquets. Cette ville de la zone métropolitaine de Port-au-Prince a vu sa population augmenter démesurément après le terrible séisme du 12 janvier 2010. Du coup, les laissés-pour-compte de cette commune ont crû au même rythme infernal. La plupart des habitants cultivent encore l’espoir de trouver « un logis, une cahute, un débarras en ville ». Une chimère : « Nous ne voyons ni comment ni par quels moyens les gens qui ont perdu des terrains (parfois plus d’une dizaine de carreaux de terre) vont pouvoir les récupérer ! », se désespère Noël, signataire du rapport en question.

Les trois membres du GRSDN ont été accueillis par le commissaire principal Ronald Pierre, assisté de deux autres policiers. Cet officier de la première promotion de la PNH, riche de ses 23 ans d’expérience, leur a fait bonne impression. « Il nous a fait l’impression d’un professionnel bien formé et très expérimenté qui connaît son métier, sa commune et sa juridiction ! », indique Amary Joseph Noël.

« Bon analyste, il nous a impressionnés par la justesse de son discours et l’à propos de ses conclusions et propositions pour améliorer la sécurité à la Croix des Bouquets et dans le reste le pays. », relève Noël. Dans son analyse de la situation de la Croix-des-Bouquets, Ronald Pierre aurait évoqué les problèmes supplémentaires ayant aggravé la situation déjà précaire de cette ville. « L’apparition de bidonvilles anarchiques comme Canaan (environ 200.000 habitants en marge de toute intervention ordonnée ou présence réelle de l’État), Corail Cesselesse, Onaville et Jérusalem, dans la période post-séisme. Le nombre d’habitants de ces agglomérations dépasse de loin l’ancienne population de la Croix-des-Bouquets. ». Pour ne citer que ces difficultés, car cette commune ne manque pas d’autres défis de taille à relever.

Il faudrait 40.000 policiers à Haïti

D’après les informations recueillies par la délégation, le commissariat est dans l’impossibilité de faire son travail correctement, « faute d’un nombre suffisant de policiers, de véhicules, de radio de communication et autres ».

Selon Ronald Pierre, il faudrait 40.000 policiers à Haïti pour une population de 11 millions d’habitants. Dans les villages et les bourgs, la situation serait plus conviviale. « Dans le monstre Port-au-Prince, la méfiance et le choc culturel engendrent l’insécurité », ont appris Amary J. Noël et ses compagnons. On leur a fait savoir que l’État devrait renoncer à accorder un véhicule individuel à chaque haut fonctionnaire. « Cette pratique bouffe le budget national et handicape la dotation en moyens pour le service à la population. » Le policier a confié que pendant ses 23 ans de carrière, le pays n’a jamais connu de stabilité. « La Police est toujours sur les dents. » Vingt-quatre sur vingt-quatre. Et qui pis, la police serait civile. « Si le policier agit mal, un mandat viendra à lui à l’instar de tout citoyen ».

Le commissaire en chef déplore que la mairie ne soit pas assistée d’une police municipale. « Quand la Police s’investit dans la poursuite des contraventions, crimes et délits, les policiers municipaux pourraient faire face aux occupations abusives des trottoirs par les marchands, des stations des véhicules de transport, le contrôle des marchés, etc. », complète Noël. « Cette entité n’existe dans aucune municipalité d’Haïti. », précise-t-il. « Pour pallier cette lacune, le haut commandement de la Police avait décidé d’affecter des policiers du corps spécialisé UDMO dans les mairies de la zone métropolitaine. »

Évoquant la cour du Commissariat, les enquêteurs l’ont comparée à « un cimetière de carcasses de véhicules de police et de motocyclettes ». Dix-huit voitures privées hors service s’y trouveraient.

Pour ce qui est des locaux de la « garde à vue », ils sont loin d’être conformes. « Un imposant portail en fer forgé isole l’emplacement du reste du bâtiment, décrit Noël. Trois salles d’environ 6 m sur 5 composent ce lieu où les prévenus ne devraient séjourner, d’après les règlements, pas plus de trois jours. »

Plus loin, les reporters découvrent l’horreur. Des conditions sanitaires aussi répugnantes qu’inhumaines. « En face des cellules, un véritable antre de matières fécales. Le bloc sanitaire construit par les Canadiens n’est pas adapté aux mœurs des Haïtiens. Les toilettes hygiéniques ont été bouchées par toutes sortes de solides peu de jours après leur première utilisation. » Pour faire leurs besoins, les prisonniers utilisent des sachets qu’ils jettent ensuite dans le bloc sanitaire. Conséquence ? « À trois mètres de leur site de séjour, c’est une vraie décharge de déchets humains jamais nettoyée d’où exhale une puanteur diabolique et inimaginable qui vous impose de fuir dès votre arrivée sur les lieux. »

Selon les reporters, « l’endroit est tellement malsain qu’il représente un danger même pour les policiers de garde qui fréquentent ponctuellement l’enceinte ». Un lieu inhumain : « C’est à se demander comment un détenu peut tenir deux jours dans cet enfer sans rendre l’âme. » À cette ambiance plutôt abjecte s’ajoute la privation : « On n’a pas à manger. On n’a pas d’eau ! », ont rapporté les détenus aux enquêteurs.

Propositions de la CHAR

Après cette visite assez édifiante, les trois associations ont pris certaines résolutions. Elles ont par exemple décidé d’apporter elles-mêmes une cotisation pour un premier nettoyage de la garde à vue de ce commissariat. Des moyens ont été sollicités aux pouvoirs publics pour que la propreté règne dans tous les commissariats du pays. « C’est un laisser-aller général dans tous les commissariats qui frise l’indigence ! », nous a confié hier Amary Joseph Noël.

Les militants de ces associations ont décidé d’écrire une lettre à l’Inspection générale de la Police pour « l’inviter à inclure le contrôle des moyens dans son travail de supervision et ne pas se cantonner aux besognes intéressant les policiers ». Une unité affectée à cette tâche est, pour eux, indispensable. « Il y va de l’image du pays et de la perception du profil même de ses dirigeants. Les gardes à vue doivent devenir les salons des commissariats. »

Il convient, suggèrent ensuite les activistes, de lutter pour que « le souci d’embellissement des cours des commissariats du pays soit une norme imposée et respectée ». Tout comme il est, selon eux, impérieux de réclamer pour le commissariat de la Croix-des-Bouquets, des véhicules tout terrain en nombre suffisant « afin que le travail puisse s’effectuer par roulement d’intrants de transport et non dans la continuité intempestive dont on a fait mention. » Pareil pour les radios de communication et autres. Les véhicules tout terrain sont, à leur avis, encore plus adaptés, jugés « plus robustes que les pickups Hilux ou les voitures individuelles comme les Nissan. »

Avant toute chose, les pacifistes recommandent une évaluation des moyens objectifs du commissariat afin de corriger ou de renforcer ce qui doit l’être. D’ores et déjà, ils pensent qu’une redéfinition du plan de carrière de l’institution policière serait nécessaire « en vue d’améliorer les conditions de vie des agents ».

D’autres propositions judicieuses ont été faites. Comme, par exemple, celle d’augmenter « significativement » le nombre de policiers et de doter les mairies d’une police municipale « digne de ce nom ». Ou encore celle faite au Parlement d’adopter une loi « qui permet à la Police d’assurer une sécurité plus rapprochée pour les quartiers qui paient plus de taxes ».

Quant à la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA), elle est appelée à débarrasser la cour du commissariat des carcasses de véhicules qui l’encombrent, ceci faisant partie de ses différentes attributions.

La CHAR estime qu’on devrait aussi « changer le système sanitaire construit par les Canadiens pour le remplacer par des latrines à fosse commune et chasse d’eau. » Pour la ville, la CHAR, le GRSDN et la CONASCH font un plaidoyer pour la construction de la route qui conduit à Cornillon-Grand-Bois, l’une des communes de la juridiction de la Croix-des-Bouquets « afin de sortir cette zone de son isolement total du reste du pays ». Les problèmes sont connus, des suggestions sont faites et il ne reste qu’à mettre en œuvre les propositions des uns et des autres.

Huguette Hérard
 

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