Radiographie de la formation dans les relations internationales et la diplomatie en Haïti

La diplomatie haïtienne fait face aux défis, dix ans après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, et aux opportunités de la mondialisation. Tôt ou tard les plus hautes autorités politiques dont l’Exécutif, le Parlement, les responsables diplomatiques, académiques et éducatifs en Haïti, devront finir par se mettre autour d’une table pour actualiser et formaliser l’ensemble des programmes de formation en matière des relations internationales et de la diplomatie en Haïti.

Définir les principaux besoins et les exigences, les profils et les qualités du futur diplomate haïtien et des cadres travaillant dans la coopération externe devraient s’inscrire dans l’agenda des décideurs publics en termes de planification de politique publique pour les dix, vingt et cinquante prochaines années.

Dans une conférence présentée à l’Institut national de gestion et des hautes études internationales (INAGHEI) en novembre 2011, par l’ancien ministre des Affaires étrangères de l’époque, Laurent Salvador Lamothe, sur le thème « Rôle de l’université dans la nouvelle dynamique diplomatique », ce dernier avait mis en avant les nouveaux enjeux diplomatiques et les véritables défis pour Haïti, au niveau des relations internationales dans l’ordre mondial actuel.

Des années après qu’Haïti est passée de la « Diplomatie d’affaires », pendant la présidence de Michel Joseph Martelly, à la « Diplomatie au service du développement du pays », lors de la 3e conférence des chefs de Missions diplomatiques d’Haïti réalisées les 28 et 29 juillet 2016, la problématique de la formation des ressources humaines dans la diplomatie et les relations internationales en Haïti devrait s’inscrire dans les urgences et les priorités pour le renouveau d’Haïti.

Débattre en 2020, les connaissances, les compétences, le comportement et la culture indispensable qui doivent incarner la prochaine génération des hommes et des femmes diplomates haïtiens est une démarche à la fois visionnaire et stratégique, intelligente et durable.

Depuis la création en 1973, sous la présidence de Jean Claude Duvalier, de l’Institut national de gestion et des hautes études internationales (INAGHEI), qui fut la plus ancienne et la plus prestigieuse des institutions haïtiennes à former plusieurs générations de grands diplomates haïtiens, pour rester dans l’espace des quarante dernières années, plusieurs autres institutions de formation supérieure allaient emboiter le pas dans ce secteur. On retient : la fondation entre 1988 et 1994, de l’Académie nationale diplomatique et consulaire (ANDC), par le diplomate de carrière feu Myrtho Bonhomme. Il allait être suivi par le ministère des Affaires étrangères, à l’initiative du ministre Fritz E. Longchamp, par la création en 1996, de l’Académie diplomatique Jean Price Mars, destiné à fournir une formation continue aux cadres de la diplomatie haïtienne. Notons que cette structure du MAE allait connaitre des hauts et des bas durant la période de 1996 à 2015. Elle est dirigée par le Dr. Guy Marie Louis, un haut cadre expérimenté de la diplomatie haïtienne.

Dans l’intervalle, un autre haut cadre de la diplomatie haïtienne, l’ambassadeur Denis Régis, allait créer le 9 janvier 1997, le Centre d’études diplomatiques et internationales (CEDI), et parallèlement, plusieurs autres universités du pays, allaient ouvrir leurs facultés, fournissant des formations dans les sciences politiques, les relations internationales et la diplomatie, parmi lesquelles on peut citer : l’université Quisqueya, l’université Notre Dame, entre d’autres.

Démarche plus que louable, initiée par ces différentes institutions tant publiques et privées et ces diplomates visionnaires qui reconnaissent la place de l’éducation et de la formation dans la performance des institutions, cela n’empêche pas de questionner sur le cadre légal, fonctionnel ou rationnel d’une éventuelle articulation des besoins de la diplomatie haïtienne, et du ministère de la Planification et de la Coopération externe, par rapport aux fonctions régaliennes des institutions comme le ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (MENFP), le ministère des Affaires étrangères (MAEC), l’Université d’État d’Haïti (UEH), l’institut de la Formation professionnelle (INFP), les commissions au Sénat et à la Chambre des députés au Parlement haïtien, concernées par ces thématiques, pour ne citer que ces acteurs clés dans le système.

De nombreuses ambassades, des institutions régionales et internationales, des fondations et d’autres structures de la société civile participent parallèlement dans la formation initiale et continue des étudiants et des professionnels intéressés par les relations internationales et la diplomatie.

Des bourses d’études de courts et de longs cycles sont mises à la disposition des institutions publiques et privées en Haïti, avant et après le séisme de 2010, dans le cadre de coopération diplomatique et technique. Dans la liste des pays donateurs, on peut retenir : le Taiwan, la Chine, la France, les États-Unis, le Brésil, parmi d’autres États.

Début du mois d’octobre 2012, ils étaient plus d’une vingtaine de cadres à bénéficier de la formation en « Diplomatie économique et commerciale », à l’initiative de l’organisation des États américains (OEA), en collaboration avec le Centre de facilitation des investissements (CFI) et le ministère des Affaires étrangères et des Cultes. Cette formation animée par des experts internationaux en particulier, qui a duré près d’une année, avait bénéficié du financement du Fonds spécial multilatéral du Conseil interaméricain pour le développement intégré (FEMCIDI).

D’autres employés du ministère des Affaires étrangères et des Cultes, affectés en particulier à l’administration centrale ne ratent jamais l’occasion durant toute l’année, pour postuler dans des séminaires et d’autres cycles universitaires offerts par les différents pays et institutions partenaires et solidaires d’Haïti, en dehors des initiatives personnelles de recherche de formation continue dans l’espoir de grandir au sein de l’institution.

Des opportunités de stage au sein des plus prestigieuses institutions internationales sous forme de formation et de perfectionnement, au niveau bilatéral et multilatéral, sont également ouvertes aux cadres de la diplomatie haïtienne et des étudiants finissant dans les relations internationales et dans la diplomatie suivant des critères établis, sur référence ou sur concours.

De l’autre côté de la frontière, particulièrement en République dominicaine, ainsi que dans les autres universités étrangères établies dans la Caraïbe, en Amérique du Nord et du Sud, en Europe (France, Belgique, Espagne et Russie) et dans d’autres régions du monde comme en Afrique, en Asie et en Océanie, ils sont nombreux les jeunes boursiers haïtiens et les familles qui décident d’investir dans la formation de leurs enfants dans les domaines des relations internationales, dans l’espoir que ces derniers pourront intégrer la diplomatie haïtienne ou d’autres institutions internationales et des ONG.

Depuis quelque temps, on retrouve plusieurs autres centres de formation technique et professionnelle qui se sont lancée dans la formation des jeunes dans les domaines des relations internationales, parmi lesquels on peut citer: Unity school of business (USB), qui offre un cycle de formation initiale en « Affaire publique et relations internationales ».

Des initiatives et des institutions de la société civile haïtienne, appuient parallèlement la formation et l’éveil des jeunes et de la population en générale dans les relations internationales et la diplomatie, en dehors des rares émissions sur les relations internationales diffusées dans les stations de radios et de télévisions du pays, comme l’avait initié feu Murray Lustin Jr. dans le temps, avec l’ancien directeur général du MAE, Azad Belfort, la rubrique « Entre les frontières », dans Le Nouvelliste, l’émission « Tour diplomatique » sur Radio Pacific et l’émission de Fernando Estimé sur la station sœur.

Dans la liste des dernières grandes contributions de l’ancien président d’Haïti et professeur Leslie François Manigat, on retiendra l’organisation du cours sur : « L’histoire de la diplomatie et des relations internationales d’Haïti », qui a été offert aux étudiants finissants en licence à la Faculté de droit de l’Université Quisqueya (UNIQ), inauguré le 14 février 2008.

Difficile de ne pas mentionner la chaire Louis Joseph Janvier sur le constitutionnalisme de l’université Quisqueya, créée par Mirlande Manigat, qui participe plus d’une fois à l’organisation de séminaires de haut niveau, à la publication des documents de références sur les relations internationales et d’autres champs connexes, avec plusieurs autres institutions publiques et privées.

Des actions similaires ont été réalisées également par le centre Challenges, dirigé par le Dr. Watson Denis, qui a beaucoup travaillé sur les relations haïtiano-dominicaines, la question du Massacre, l’Arrêt autour de la dénationalisation des Haïtiens d’origine, etc.

Depuis 2013, le Cercle Intelligence diplomatique (CID) avait lancé le premier forum haïtien sur la géopolitique, dans le but d’initier et de former des jeunes universitaires haïtiens sur les nouveaux enjeux géopolitiques entre Haïti et la République dominicaine, Haïti et les grandes puissances occidentales, Haïti et les pays composant les BRICS, l’influence internationale dans les élections en Haïti, Haïti et l’Afrique, Haïti et les pays du Moyen-Orient, etc.

De nouvelles initiatives parmi les plus louables comme l’Action diplomatique et sociale (ADIS) participent également dans cette marche pour une diplomatie haïtienne plus efficace et performante, à travers l’organisation de formation de haut niveau sur les relations internationales. On retiendra le séminaire organisé du 28 au 2 juin 2019 réalisé autour du repositionnement stratégique d’Haïti à l’organisation des États américains (OEA).

Diagnostiquer le champ de la formation des professionnels dans la diplomatie et les relations internationales en Haïti, c’est questionner de manière objective les programmes de formations, les cours et la qualité des services fournis (pendant et après la formation), par ces différentes institutions privées et publiques suivant les besoins actuels et futurs de la diplomatie haïtienne. Comment sont repartis les profils des professeurs dans les institutions diplomatiques du pays ?

De façon rationnelle, il faudrait également prendre en compte l’évaluation des stratégies d’enseignement, les critères de recrutement des étudiants et les approches pédagogiques utilisées dans le cadre de la formation, ainsi que les méthodes d’évaluation de ces apprenants, sans oublier les rapports de stage et des manuels de référence utilisés par les formateurs ou les conférenciers.

Des questions parmi les plus pertinentes sont à poser : combien d’étudiants haïtiens sont diplômés chaque année dans les relations internationales dans les universités en Haïti et à l’étranger ? Quel est le nombre des jeunes qui s’intéressent après le bac aux formations diplomatiques et les relations internationales ? Combien de professionnels sont recrutés au profit d’Haïti dans les institutions spécialisées dans les domaines de la coopération, des relations internationales et dans la diplomatie haïtienne ? Faut-il un examen officiel d’État chaque année, pour évaluer le niveau académique et professionnel de tous ces jeunes formés dans les centres et académies diplomatiques du pays ? Quelles sont les exigences ou les attentes actuelles de la diplomatie haïtienne en termes de connaissances, de compétences, de comportements d’éthique chez les jeunes diplômés et les autres cadres qui veulent migrer dans la diplomatie haïtienne ?

Défis diplomatiques et enjeux géopolitiques, les nouvelles configurations en matière des relations internationales dans le monde contemporain ne peuvent en aucun cas laisser la République d’Haïti de tout repos, particulièrement depuis le nouveau millénaire, avec les attentats du 11 septembre 2001, les interventions des forces étrangères en Haïti et l’occupation onusienne pendant plusieurs années après 2004, le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui a été suivi par une occupation militaire sur fonds humanitaire, et l’officialisation des relations entre la Chine et la République dominicaine dans la nuit du 30 avril au 1er mai 2018, la nouvelle configuration de la géopolitique planétaire nous imposent de revoir tant les stratégies de négociation pour garder Haïti dans l’équilibre des nations, mais aussi de repenser les moules qui doivent produire des ressources humaines à la fois compétentes, créatives et compétitives pour pouvoir représenter le pays, défendre et négocier en faveur d’Haïti.

Des dizaines de diplomates de carrière assez très bien formés et expérimentés, qui ont été rappelés après avoir passé plusieurs années en poste à l’étranger, pourraient grandement contribuer dans une démarche visant à renforcer la formation des jeunes cadres de la diplomatie haïtienne, à travers des cycles courts de séminaires sur des thématiques diverses au bénéfice des services de coopération des différentes institutions publiques du pays en particulier.

Dommage que la dernière législature en date n’a pas pu offrir à la diplomatie haïtienne, de nouvelles lois-cadres et des moyens additionnels dans le budget de la République, pour pouvoir atteindre les grands objectifs fixés par l’État haïtien en matière de politique extérieure et de coopération externe. Ce qui nous laisse croire que l’académie diplomatique Jean Price Mars ne va pas disposer, dans les mois à venir, d’un cadre légal articulé et suffisamment de moyens pour lui permettre d’assurer et d’assumer son rôle d’avant-gardiste et de leader, en matière de formation continue des femmes et des hommes, des professionnels de la diplomatie haïtienne.

Diplomatie responsable et leadership institutionnel, l’académie diplomatique Jean Price Mars du ministère des Affaires étrangères et des Cultes devrait pouvoir jouer un rôle important ou même décisif dans l’harmonisation et l’actualisation des programmes de formations initiale et continue dans les champs diplomatiques et des relations internationales en Haïti. En tant que bras technique et stratégique intimement lié et dépendant de l’administration centrale, en passant par le cabinet du ministre des Affaires étrangères et des Cultes, et de la direction générale du ministère, une telle structure devrait pouvoir jouer un grand rôle dans la formation à distance, et la formation continue des cadres qui représentent l’autorité et les intérêts de l’État haïtien à travers les différentes missions diplomatiques d’Haïti comme les ambassades, les consulats et les représentations d’Haïti auprès de certaines organisations internationales comme les Nations unies, l’OEA, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et l’Organisation des Nations unies pour l'Éducation, la Science et la Culture (UNESCO).

Dominique Domerçant

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