Tout l’enjeu autour des changements climatiques se trouve dans la croissance économique et la concurrence internationale assure Patrice Valentin Cinéu

Le National : Bonjour monsieur Cinéus, merci de répondre aux questions du journal Le National. Si vous deviez vous présenter. Que diriez-vous de vous pour l'essentiel ?

Patrice Valentin Cinéus : Bonjour, Je suis Patrice Valentin Cineus, Gonaivien, travailleur social et futur maitre ès sciences, gestion de projet. Membre du comité de l’Université du Québec à Rimouski du Carrefour International bas saint laurentien pour l’Engagement Social (CIBLES-UQAR).

LN: Vous aviez participé le mois dernier à la COP25 qui se déroulait en Espagne. Parlez-nous de cet événement et quel est sa raison d'être.

PVC: La conférence des parties en anglais conférence of parties (COP) est une association de tous les pays qui ont signé la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. C’est donc l’autorité qui s’assure de la mise en marche de la convention et du respect des engagements des parties selon les objectifs qui ont été fixés. Elle se tient donc chaque année dans une ville de l’un des pays membres sinon à Bonn en Allemagne ou siège social du Secrétariat de la Convention cadre des Nations unies pour le changement climatique - CCNUCC

LN: Avec quel sentiment vous êtes revenu de cette COP25?

PVC: Je suis à ma troisième participation à la COP. En 2015, alors que j’étais encore étudiant à la Faculté des sciences humaines, je suis revenu de Paris avec le sentiment que quelque chose allait être fait pour ramener la température de la planète en dessous de 2 degrés voire, 1,5. De belles promesses ont été faites, de beaux discours, tous autant que nous sommes, jeunes, organisations de l’environnement avaient de l’espoir. Même en 2016, à Marrakech, l’espoir était présent. Mais à Madrid on avait comme l’impression dès le début que ce sera une déception, on sentait moins la ferveur habituelle de la COP, les sociétés civiles étaient à la limite du découragement, il y avait que les jeunes qui affichaient encore de l’espoir et de l’énergie pour forcer les dirigeants à prendre leurs responsabilités.

LN: Vous êtes à votre troisième participation. Comment se déroule le processus de sélection et pourquoi cet intérêt de votre part pour cet événement ?

PVC: À ma connaissance, il n’y a pas un processus de sélection à proprement parler. Pour participer à la COP, il faut être soit membre d’une délégation officielle d’une partie (pays), soit accrédité par une organisation de la société civile d’un pays (Organisation non gouvernementale, médias, associations, syndicats, groupes de pression, etc).

LN: La COP21 a fait naître beaucoup d'espoir sur l'avenir de la planète avec des recommandations très ambitieuses. En 2018, la COP24 en Pologne a préconisé le début d'engagement des pays et aujourd'hui encore on est toujours à la case départ. Qu'est-ce qui selon vous explique cette stagnation dans la transition vers la neutralité carbone ?

PVC: tout l’enjeu autour des changements climatiques se trouve dans la croissance économique et la concurrence internationale. En fait, notre mode de vie découlé du système capitaliste est à l’origine du réchauffement du climat, pour résoudre ce problème, il nous faut donc transiter, ne serait-ce que graduellement, vers un nouveau mode de vie conforme aux réalités actuelles du climat. Cependant, avec la logique de la concurrence du commerce international, les États essaient à chaque fois de contourner les règlements pour ne pas s’engager dans la voie de la transition. À titre d’exemple, alors qu’on discutait de la transition énergétique à Madrid, de réduction de l’exploitation des énergies fossiles, la compagnie pétrolière saoudienne Aramco, qui est l’entreprise la plus polluante au monde (59.26 milliards de tonnes de CO2) a réalisé la plus grosse introduction en Bourse de l’histoire et devient la société la plus chère au monde pour une valeur de 1700 milliards d’euros (Le monde). De plus, le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, de l’élection de Jair Bolsonaro au Brésil n’aide pas vraiment. Tout ça pour dire, qu’avec les climato sceptiques au pouvoir dans les pays producteurs et exploiteurs de pétrole, l’importance de l’or noir pour leconomie mondiale, la transition énergétique n’est pas pour bientôt.

LN: Revenons à la COP25. Que pensez-vous de ces mots du secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres, dans un communiqué du dimanche 15 décembre. "Je suis déçu du résultat de la COP25. La communauté internationale a manqué une opportunité importante de montrer son ambition pour répondre à la crise climatique." ou de Catherine Abreu, du réseau Climate Action Network. "La seule chose plus désastreuse que l'état des négociations, c'est l'état du climat lui-même" dans un tweet, à l'issue des deux semaines de négociations qualifiées par plus d'un comme un échec ?

PVC: La COP25 était une perte de temps, une déception totale, tous les participants sont unanimes sur ce point, certains médias vont jusqu'à l’appeler « La COP de la honte ». Intéressé à la justice climatique, j’avais des préoccupations sur le financement des pays vulnérables comme Haïti, j’ai été déçu. En fait, les pays industrialisés et la Banque mondiale avaient promis respectivement 100 milliards de dollars et 200 milliards de financement de politiques climatiques des pays pauvres à partir de 2020. Arrivés à la COP25, Les États-Unis, le Brésil, l’Inde, l’Arabie Saoudite ont fait obstruction en faisant des demandes inacceptables notamment concernant le marché du carbone.

J’imagine donc que le secrétaire général de l’ONU en disant cela partageait ma déception, celle de tous les participants venus des pays pauvres et des nations insulaires, des responsables des ONG environnementales.

LN: La COP25 a été comme une vitrine où beaucoup de pays grands producteurs de pétrole y étaient à l'honneur du on se réfère à quelques photos prises à l'occasion. N'y a-t-il pas selon vous une incohérence dans cet acte ?

PVC: Les pays producteurs de pétrole sont au cœur de la COP, puisque l’un des objectifs est de passer aux énergies vertes, donc ils constituent les parties prenantes les plus importantes de la COP. Mais l’incohérence, c’est que, d’un côté, parmi les sponsors de la COP25 on retrouve des compagnies qui dépendent des énergies fossiles, je veux parler de Iberdrola et Endesa, principaux émetteurs de gaz à effet de serre en Espagne. De l’autre côté, des représentants de compagnies pétrolières réunis au sein de l’Association mondiale du commerce des émissions (IETA) délèguent des observateurs qui participent aux sessions de négociations. Cependant, on comprend que le système capitaliste ne va pas se laisser faire, il va jouer de tous ses cartes pour maintenir le statu quo. Mais on comprend moins comment le IETA a pu déléguer plus de personnes que l’Union européenne et le Chili et avoir accès aux négociations.

LN: Que vaut la position des petits pays tels que Haïti, dans ces genres de décisions ?

PVC: Pas grand-chose, Haïti doit à chaque fois « vendre » l’image d’un pays vulnérable à la merci des cyclones, des sécheresses, de la pauvreté en espérant attirer des projets des partenaires dans la région de la Caraïbe. Le ministre Joute Joseph avec sa délégation, lors du side event de Haïti à la COP25 Monsieur Joute a prôné un agenda commun dans la région de la Caraïbe qui inclurait des partenariats, l’identification de bonnes pratiques, la recherche scientifique, la gestion des zones côtières, les supports financiers, etc.

A mon avis, je l’ai ailleurs partagé avec l’assistance, avant même de prétendre à un agenda régional, il faut avant tout monter des politiques publiques de l’environnement d’adaptation aux changements climatiques issues de recherches menées avec la grande rigueur scientifique. Jusqu’à présent, nous avons que des projets disparates qui ne répondent à aucune cohérence. En plus, lors de l’événement, la délégation haïtienne n’a pas présenté les vulnérabilités avec des données scientifiques, ni soumettre à l’attention du public et des bailleurs de fonds des objectifs chiffrés étalés sur une période de temps. Toutefois, faut-il le reconnaitre, les projets visant la réhabilitation des mangroves et la protection marine peuvent avoir des résultats intéressants dans le futur, mais encore il est primordial qu’ils s’insèrent dans un programme cohérent d’adaptation aux changements climatiques.

LN: Quelle doit être la méthodologie d'action pour entrer réellement dans la lutte contre le réchauffement climatique ?

PVC: Étant un problème transversal, le réchauffement planétaire touche tous les aspects de la vie humaine, il n’existe donc pas une méthodologie pour s’impliquer dans la lutte. Tout le monde, selon ses compétences et ses intérêts peut y contribuer. La construction des politiques de l’environnement et la gestion de projets de développement durable sont mes principaux axes d’implication avec un fort intérêt pour la justice climatique. Il en a plein d’autres, cependant, je pense qu’en Haïti, l’implication à la lutte pour le changement climatique se heurte à deux obstacles. D’abord, il y a un déficit d’information, lequel déficit la COY en 2016 sur le campus de l’Université Henri Christophe n’a pas réussi à combler complètement. Il convient donc de vulgariser les informations aux quatre coins du pays pour jeter les bases d’un comportement coresponsable. Ensuite il y a le manque de synergie des rares actions de la société civile haïtienne. J’ai comme l’impression que c’est l’affaire d’un petit groupe de jeunes « leaders » à la recherche d’une place sur l’échiquier social. Chacun reste dans son domaine et agit sans aucun souci de considérer les autres acteurs. Alors que si les actions étaient convergées, les impacts sur l’éducation la sensibilisation, l’implication des jeunes seraient beaucoup plus significatifs, mais on a opté, encore une fois, pour une course folle vers un leadership vide et improductif. Ce qui vraiment dommage quand on considère les millions de personnes qui sont victimes de la situation.

Propos recueillis par
Lesly SUCCÈS

pour Le National.

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