12 janvier 2020 : 10 ans après le séisme, la plaie reste ouverte

Le séisme de 12 janvier 2010 qui a frappé la capitale et une partie de la zone sud du pays reste sans conteste la plus grande catastrophe qui a touché le pays depuis de nombreuses années, loin devant les ouragans Jeanne et Hannah, quelques années plus tôt, que ce soit sur plan des dégâts matériels, de pertes en vie humaine ou du nombre de déplacés. Un évènement traumatique qui a affecté directement ou indirectement toute la population ; mais qui, malheureusement, n’a pas été considéré comme tel au nom d’une « supposée résilience », dont tous les Haïtiens font preuve. À part quelques ONG internationale et nationale qui ont mis en place des structures d’accueil pour recevoir les personnes en détresses psychologiques et des déplacées, aucune grande décision n’a été véritablement effectuée par l’État pour un accompagnement psychosocial de la population. La preuve, après environ deux ans plus tard, tous les programmes d’accompagnements psychosociaux ont été suspendus.

Toujours au nom de la résilience, oubliant au passage que les troubles post-traumatiques peuvent survenir des années après la catastrophe, et que la résilience, comme le dit Marie Anaut dans « le concept de résilience et ses applications cliniques », pouvait ainsi apparaître comme acquise une fois pour toutes par certains individus, alors qu’actuellement les chercheurs s’accordent pour la considérer comme un processus dynamique et évolutif et qui n’est pas forcément pérenne ni persistant à toutes les épreuves de la vie. Le processus de résilience est un phénomène complexe qui implique l’interaction de facteurs psychoaffectifs, relationnels et sociaux avec les caractéristiques internes du sujet (processus défensifs, personnalité…). Ainsi, le temps passe, mais faire le deuil des pertes enregistrées reste le problème à aborder.

Le National a donné la parole à deux jeunes psychologues habitants dans la ville des Gonaïves pour essayer de comprendre comment réagissent les gens qu’ils rencontrent 10 ans après le séisme. Tout d’abord Gabriel Junior Bien-Aimé qui va, d’entrée de jeu, expliquer la limite de sa réflexion, car l’évaluation mentale en psychologie demande l’utilisation des outils psychométriques pour avoir une idée précise de la santé mentale des gens qu’ils côtoient. Toutefois, il nous livre ses impressions à propos des gens qu’il rencontre. « D’après moi, la capacité de résilience des Haïtiens est quelque chose d’extraordinaire quand on regarde, tout de suite après le tremblement de terre, comment la population avait rapidement repris leur fonctionnement habituel. C’est quelque chose d’inexplicable. Dix ans plus tard, quand on regarde comment ils vivent, on pourrait même supposer que tout va bien. Mais c’est juste une impression, car quand on commence à les poser des questions, cela nous amène à comprendre qu’ils utilisent un mécanisme de défense, mais ils ne sont pas réellement normaux ; les séquelles sont toujours là. Ce que je veux dire par là, quand on regarde des gens qui vivent dans des maisons fissurées dix ans plus tard, c’est comme si rien ne s’était passé et que personne n’a été traumatisé. Un trouble de stress post-traumatique, bien que tout le monde ne va pas présenter le trouble. Je parle pour une personne qui a eu des traumatismes devrait en quelque sorte éviter l’espace traumatisante. On se demande alors si la maison n’y est pas pour quelque chose. Mais en réalité, puisque la personne n’a pas d’autre alternative, ils s’adaptent à la situation puisque c’est normal de s’adapter. Mais il y a toujours les séquelles, car beaucoup d’entre eux pleurent encore quand ils entendent parler de séisme.

Quand on regarde aussi le dégât causé par le séisme en perte de vie humaine, si on arrive à faire le deuil, cette perte ne vous affecte plus, mais le contexte du 12 janvier est particulier, cela peut arriver qu’on n’a pas eu de proche victime cependant quand on regarde la quantité de victimes, cette date ne va pas passer sans donner froid dans le dos. De plus, il n’y a eu aucun travail psychologique qui a été effectué. Pour moi, le séisme a laissé de grandes séquelles dans l’esprit des gens, quoi qu’ils essaient de s’en sortir. Mais la majorité de la population ne s’est pas encore remise de la situation ».

Emmanuel Laurent a pour sa part été un peu plus dans les détails. Il se de questionne. « Comment concevons-nous les étapes psychologiques et comportements des gens qui ont perdu des proches, déplacés ou décapitalisés ? Comment voyons-nous ces gens dans notre fréquentation, ceux dont nous avions reçu ou discuté avec. Comme les psychologues le croient, quelqu’un qui vit ces genres d’événements. Après ces genres d’événements, il est possible que les gens manifestent des réactions liées à la situation vécue. Des réactions jugées normales dans un premier temps. Car notre corps ne pouvait ne pas réagir à la situation pour s’adapter. Nous avons constaté immédiatement après l’événement, il y a eu un grand nombre de gens qui ont eu des difficultés qu’on n’ose pas appeler traumatismes comme beaucoup de gens le disent et concluent que telle ou telle personne est traumatisée. Mais ce sont des réactions normales si cela n’était répété après une longue durée. Cependant cela peut arriver que des gens aient des réactions psychologiques plusieurs années après la catastrophe. Nous pouvons constater des personnes qui ont des réactions qui sont liées aux événements du 12 janvier. Par exemple avant 12 janvier, les gens n’accordaient pas trop d’importance au tremblement de terre. Mais aujourd’hui, ils ont un changement de comportement par rapport un bruit ou le tremblement provoqué par une voiture.

Car il se souvient de l’événement traumatisant et des dégâts enregistrés. Pourtant avant, il s’en moquait de ces situations. Il y a d’autres personnes qui manifestent des réactions par rapport à la perte elle-même. Elles n’arrivent pas à faire le deuil de ceux qu’elles ont perdus. Que ce soit des proches ou des biens. Je connais des gens qui pleurent toujours à l’approche du 12 janvier parce qu’ils ressentent un vide par rapport à la perte. Il y en a d’autres qui n’arrivent pas à parler de l’événement. Sur le plan psychologique, si quelqu’un vit un moment traumatisant et qu’il n’arrive pas à parler de la situation qu’elle a vécue après une période de temps donnée. On peut déduire que cette personne est en difficulté et a besoin qu’on l’aide. Ou du moins, on peut rencontrer des gens qui ont une nouvelle conception du point de vue spirituelle après l’événement. Vous pouvez remarquer des gens que vous connaissiez, dix ans après, les évènements ont créé des changements chez la personne par rapport à sa croyance ou peut être devient méfiant. Il y en a qui ont de nouvelles conceptions de Dieu, de l’homme ou de la vie en général. Ils ont, en quelque sorte, changé d’attitude et sa façon de se redéfinir comme personne. »

Dans tous les cas, il y aura toujours des gens qui ne vont pas manifester de troubles psychologiques après des évènements traumatisants. C’est normal, mais il ne faut jamais se fier à l’apparence. Chacun à sa façon de réagir à des situations traumatisantes.

Lesly Succès

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