« La reconstruction post-catastrophe de Port-au-Prince a amplifié les vulnérabilités et a accentué les inégalités sociospatiales », défend Jean Odile Étienne dans sa thèse de doctorat

En prélude à la commémoration des 10 ans du séisme de 2010 qui a fait plus de 200 000 morts en Haïti, ce texte revient sur les résultats de la thèse de doctorat de l’actuel recteur de l’Université publique de l’Artibonite aux Gonaïves (UPAG), Jean Odile Étienne. « Vulnérabilités en tant que dimension de fragilité et de précarité sociospatiales et des stratégies élaborées dans l’objectif de « faire face » dans le cadre de la reconstruction post-catastrophique de Port-au-Prince a été au centre de la thèse de doctorat soutenu par l’actuel recteur de l’UPAG, Jean Odile Étienne, en France en janvier 2018. Par l’analyse approfondie, des stratégies et des logiques d’action des acteurs, la thèse a mis au jour le processus de relégation, de marginalisation, de fragmentation aboutissant à des inégalités sociospatiales et à des disparités territoriales dans la reconstruction de Port-au-Prince. À ce titre, elle fournit une grille de lecture de l’espace de la capitale haïtienne au plus proche des réalités et constitue une aide à des décisions pour une reconstruction durable.

Autour du sujet « Stratégies d’acteurs et logiques d’action dans la reconstruction post-catastrophe de Port-au-Prince : Approche par les vulnérabilités post-catastrophes », cette thèse de doctorat codirigé par Bezunesh Tamru et Jean-Marie Theodat, souligne la situation de fragilité et de précarité émergeant et se projetant dans les territoires de la région métropolitaine de Port-au-Prince pendant la période de reconstruction post-séisme et en développant la notion de vulnérabilité post-catastrophe. Trois quartiers de la commune de Port-au-Prince sont étudiés : le Centre-Ville historique, Turgeau et Carrefour-Feuilles.

Cette thèse, qui a été le fruit d’un travail de longue haleine, s’articulait autour de quatre parties : la première partie est consacrée à l’instauration du cadre théorique et conceptuel de la recherche en axant les propos sur les notions de « reconstruction, de relèvement, de post-catastrophe et de la vulnérabilité ». La deuxième partie vise à analyser la notion de reconstruction post-catastrophe dans le contexte haïtien et port-au-princien en passant en revue les catastrophes passées (1751, 1770, 1842) et récentes des décennies 2000. « La reconstruction post-catastrophe pose des questions de gouvernance majeures. Une multitude d’acteurs est susceptible d’intervenir dans ce processus à différents moments, sur différentes échelles spatiales et temporelles et suivant différentes modalités ». Ainsi, la troisième partie présente les stratégies des acteurs et les logiques d’action dans la reconstruction post-séisme de Port-au-Prince. La quatrième partie présente les vulnérabilités post-catastrophes en analysant la division sociospatiale de la ville dans le contexte de reconstruction post-séisme en démontrant le processus de relégation, de marginalisation, de fragmentation, les inégalités sociales issues des pratiques spatiales et stratégies des acteurs.

Les notions reconstructions post-catastrophes et la vulnérabilité sont au centre de cette recherche doctorale qui a été réalisée par le docteur Jean Odile Étienne. Pour ne pas prêter à équivoque, l’actuel recteur de l’UPAG a défini la notion de reconstruction post-catastrophe, comme l’ensemble des mesures permettant un retour au fonctionnement acceptable du territoire. La vulnérabilité, concept largement discuté, essaie, selon lui, de rendre compte de tout ce qui peut constituer la fragilité d’une société, d’un territoire, d’une population, des objets du monde social ou naturel.

Questionné sur l’importance d’un tel travail, Jean Odile Étienne précise que cette recherche interroge les liens entre les stratégies et pratiques spatiales des acteurs et la production de nouvelles formes de vulnérabilité dans le contexte de la reconstruction post-catastrophe de Port-au-Prince. « À cet effet, la question principale de recherche est de savoir en quoi la période post-catastrophe peut être productrice de nouvelles formes de vulnérabilités », a-t-il expliqué pour réhabiliter l’importance de son étude.

Ainsi, a-t-il défendu la thèse que « les stratégies mises en place par les acteurs de la reconstruction sont des facteurs clés de la vulnérabilité post-catastrophe. La reconstruction post-catastrophe de Port-au-Prince a amplifié les vulnérabilités et a accentué les inégalités sociospatiales ».

Pour appuyer sa démonstration sur les inégalités sociospatiales dans la ville de Port-au-Prince, tout au long de ce travail de 11 chapitres, Jean Odile Étienne a expliqué que les autorités étatiques qui avaient la lourde mission de reconstruire le pays ravagé par le séisme du 12 janvier 2010 avaient surtout concentré leurs opérations de reconstruction dans le centre historique et les quartiers coutumiers des actions humanitaires, et souvent très médiatisés. « Ainsi, la reconstruction est inégalement répartie dans l’espace métropolitain de Port-au-Prince, qui délaisse des quartiers entiers pour être concentrée dans les espaces visibles. Ces choix, plus ou moins délibérés, ont, dit-il, non seulement accentué les inégalités sociospatiales dans la ville, mais ont eu même tendance à laisser émerger de nouvelles vulnérabilités post-catastrophe dans les quartiers délaissés de la petite classe moyenne ».

Par l’analyse approfondie, des stratégies et des logiques d’action des acteurs, la thèse a mis au jour le processus de relégation, de marginalisation, de fragmentation aboutissant à des inégalités sociospatiales et à des disparités territoriales dans la reconstruction de Port-au-Prince. À ce titre, elle fournit une grille de lecture de l’espace de la capitale haïtienne au plus proche des réalités et constitue une aide à des décisions pour une reconstruction durable.

De ce fait, l’accent est mis sur le poids explicatif des logiques d’action et des stratégies d’acteurs en matière de production d’espaces de vulnérabilités dans un contexte de reconstruction post-catastrophe. Ainsi, cette thèse s’inscrit dans la lignée de la géographie sociale française en mettant en lumière les inégalités sociospatiales, le processus de relégation et de marginalisation qui ont tendance à se creuser tout au long des opérations de reconstruction post-catastrophe de Port-au-Prince.

La question foncière occupait une place importante dans ses recherches doctorales. Le séisme du 12 janvier 2010 n’a fait que mettre en lumière un problème de longue date, celui des droits fonciers mal définis en Haïti, à la suite d’un système judiciaire inefficace des années d’instabilité politique et un pouvoir faible incapable de faire respecter et de protéger les titres de propriété. Selon lui, l’absence de cadastre en Haïti a mené à de nombreux litiges fonciers, affectant la reconstruction. « La difficulté d’identifier les propriétaires du foncier constitue une source de retard dans l’évolution du processus de reconstruction », a-t-il argué en ce sens.

Si le tremblement de terre de 2010 révèle une nouvelle fois la faiblesse du foncier en Haïti, le travail du docteur Étienne souligne que le gouvernement pouvait profiter de la construction de la ville de Port-au-Prince comme une – opportunité - de développement. « La reconstruction du tissu urbain dévasté constitue l’occasion de mettre à jour les droits de propriété en milieu urbain qui, autrement, pourraient être une source continuelle de conflits autant au plan civil que commercial.
C’est donc là un pré requis pour stimuler les investissements en Haïti ».

Jocelyn Belfort

Doctorant en communication et information

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