Martissant : une année après !

Depuis le 1er juin 2021, un conflit mettant en prise les gangs armés opérant au niveau de la troisième circonscription de Port-au-Prince, pour un contrôle de territoire, a pratiquement coupé le tronçon, qui traverse Martissant, donnant accès à une bonne partie du département de l’Ouest, aux départements du Sud, du Sud-Est, des Nippes et de la Grand-Anse. La violence exercée par ces hommes armés a obligé plusieurs centaines de familles à abandonner leurs domiciles pour se réfugier chez des proches ou dans des espaces publics.

1er juin 2021 – 1er juin 2022, déjà un an depuis que les bandits armés de Village-de-Dieu et de Grand-Ravine se sont alliés pour affronter celui de Tibwa. Cette « guerre » a transformé Martissant, qui constitue la porte d’entrée et de sortie sud de la capitale pour une bonne partie du pays, en une véritable zone de conflit, provoquant la fermeture des centres commerciaux, des succursales bancaires, des boutiques.  Les églises se sont également vidées, tout comme l’hôpital de Médecins sans frontières, relocalisé près du centre-ville de Port-au-Prince. Les écoles ont déménagé ou fermé leurs portes. 

Et encore sans parler des centaines de familles déplacées laissant leurs maisons, leurs objets de valeurs, leurs avoirs, sans solution de rechange. Une bonne partie, pas moins de 302 ménages soit 1089 personnes, dont 446 enfants et 582 femmes et filles ont trouvé dans refuge dans un centre sportif plus au sud, précisément à Carrefour. Aujourd’hui, un an après, quelques personnes se trouvent encore dans cet espace public sans aucun espoir de regagner un jour leurs domiciles, car jusqu’à présent le contrôle des bandits sur cette zone est total, même la Police nationale a abandonné le poste de Martissant et ne patrouille plus qu’en véhicules blindés.

Un quartier d’ailleurs que les autorités étatiques, notamment les autorités policières, semblent éviter à tout prix, depuis l’échec cuisant de l’opération policière du 11 mars 2021, qui avait coûté la vie à plusieurs policiers de l’unité SWAT team. Jusqu’à présent, les proches de ces agents de l’ordre attendent encore que l’État honore sa promesse relative à la récupération des cadavres. Toutefois, quelques jours après le drame, un blindé, que les bandits avaient saisi, a été repris et présenté à la population dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. Digne d’un film d’Hollywood. 

Alors que les responsables se complaisent dans un mutisme à la limite complice, cette situation de tension, selon les données non exhaustives avancées par Duclos Bénissoit, responsable du Mouvement unifié des transporteurs haïtiens, a déjà fait au moins 25 morts. 102 autres personnes sont blessées et 300 autobus ont été détournés sur la route de Martissant en l’espace d’une année.  Et le dernier cas en date est cette attaque sur un bus de la compagnie de transport «La voix des anges» qui assure le trajet Cayes–Port-au-Prince. Ce qui a coûté la vie à une personne. Deux autres sont sortis blessés. Traverser cette artère équivaut à jouer aux dés avec sa vie.

Par mesure de précaution, pour vaquer à leurs activités, les résidents du grand sud empruntent d’autres voies, en passant par les mornes. Malheureusement, ces chemins sont pour la majorité en terre battue et très étroits. Praticables seulement à moto ou à pied, ces chemins sont un véritable calvaire pour les usagers en saison pluvieuse. Une autre l’alternative est d’emprunter la voie maritime, mais tout le monde n’a pas les moyens de se payer ce transport relativement cher. 

Si les dirigeants gardent un profil bas devant ces malfrats, des notables de la région ont pris leur courage à deux mains et ont mis sur pied, en août 2021, un comité qui a pour mission de négocier une paix. Ce comité y était parvenu, mais la trêve entre les bandes armées a été de courte durée.

L’ex-maire de la commune de Carrefour et ancien membre de cette commission refuse aujourd’hui d’évoquer le mot échec en ce qui concerne cette démarche entreprise par les citoyens, mais a indexé toutefois ce qu’il appelle les mains cachées dans la rupture de l’entente retrouvée à l’époque, entre les différents gangs. Il s’insurge face au silence des autorités de l’État, de la classe économique et de la communauté internationale par rapport à la dégradation constante du climat sécuritaire à Martissant. 

Ces seigneurs de guerre commettent leurs exactions sur la population avec une grande facilité sans crainte de représailles des forces de l’ordre, étonnement absentes. Ces bandits sont tellement à l’aise qu’ils se livrent également à d’autres activités. Maintenant, le dénommé « Ti Lapli » de « Gran ravin » se présente comme un grand philanthrope. Il a entamé, depuis plusieurs mois, la construction de son propre centre hospitalier. « Izo », le chef du gang « 5 secondes » accusé dans de nombreux cas de kidnapping perpétrés dans la région métropolitaine, est à présent un « artiste ».

 

Esdra Jeudy

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