Son excellence monsieur le pompiste !

Derrière les chauffeurs de taxi-motos qui sont devenus au fil des ans, les dieux de la circulation en Haïti, qu’aucun automobiliste n’osera affronter pour ne pas tomber dans le piège de la solidarité malfaisante, vous voila, son excellence monsieur le pompiste occuper le devant de la scène, sans peine, à chaque saison de « Gallon jaune », qui porte les marques de la rareté de carburant provoquée, planifiée et imposée par vos pairs et patrons.

Dans l’Haïti qui conjugue du soir au matin les crises à tous les temps, point besoin de rappeler derrière les longues files d’attente qui entourent la plupart des stations d’essence, il existe certainement la présence de son excellence monsieur le pompiste, qui, selon son humeur et sa pitié, viendra nous sauver de quelques gallons de gazoline pour faire bouger nos véhicules et faire marcher nos génératrices au temps du blackawout.  

Devant son excellence et tout autour, des dizaines, de centaines et milliers d’hommes et de femmes, tous affamés d’essence que seule son excellence dispose le robinet pour combler nos soifs, pendant que chacun tente de justifier une urgence autour du réservoir à sec.

Dans cette foule pas toujours conquise, quand le débordement s’accompagne de colère, de frustration, d’indignation et de violence, on retrouve surtout de paisibles citoyens qui assistent pitoyablement au délabrement des institutions du pays, quand ils ne sont pas les auteurs ou complices de ce chaos programmé.

De longues files d’attente s'entremêlent entre les véhicules, les piétons et les motocyclettes pour se converger vers son excellence monsieur le pompiste, dont le pouvoir se mesure à fermer boutique à la moindre occasion, face à l’impatience et l’indignation de certains clients, et la colère des autres qui ne souhaitent pas voir leurs droits encore plus violés, en constatant que certains proches et émissaires du patron de son excellence monsieur le pompiste, soient servis rapidement pendant que des dizaines et centaines d’autres clients attendent depuis plusieurs heures.

Depuis toujours on connaît la formule « Menm nan lanfè gen moun pa », et de nos jours renforcée avec « Se kolòn ki bat ». Et pire cela devient, lorsque son excellence monsieur le pompiste, avec ou sans uniforme dispose de son réseau de marchands d’essence (de la gazoline dans la plupart des cas) dans les rues, à proximité de la station, pour revendre à prix fort le produit difficilement accessible ou disponible de façon régulière à la station.

Dommage pour les automobilistes souvent contraints de se tourner vers ces marchands d’essence dans les rues, qui proposent souvent des produits pétroliers trafiqués, de la gazoline mélangée avec d’autres produits incompatibles aux moteurs de nos véhicules et génératrices, avec toutes les conséquences possibles et destructrices de nos biens acquis après tant de sacrifices.

Dieu merci, son excellence monsieur le pompiste était là, pour nous sauver dans cette galère. Il donne ainsi rendez-vous dans les premières heures de la journée, entre trois et cinq heures du matin pour faire la queue. Sans une organisation pas toujours planifiée de la sécurité de la station d’essence, la distribution finit souvent en queue de poisson, avec l’accompagnement des agents de sécurité privée, et surtout avec l'arrivée des policiers nationaux devenant à la fois juges et partis. Dans l’attente de la création d’une unité spécialisée de la PNH pour accompagner nos excellences les pompistes dans la distribution d’essence au temps des « Gallons jaunes », l’arrivée des policiers dans les stations d’essence ne facilite pas toujours une ambiance empreinte d’ordre et de discipline lors de la distribution d’essence, à force que la plupart d’entre eux en uniforme ou en civil, se livrent à corps perdu dans certaines des opérations pour protéger et servir leurs « Galons jaunes ».

Dommage pour le pays, dommage pour certains de nos excellents pompistes qui finissent par perdre le contrôle de la situation avec de telles dérives, lorsque la police des pompistes ne fait pas bon ménage, même sous le regard de l’administrateur, des superviseurs ou du directeur de la station, en dehors du propriétaire.

Dans certains pays pourtant, depuis plusieurs années dans de grandes villes en Amérique du Nord, d’Europe, d’Asie entre autres, le métier de pompiste est pratiquement en voie de disparition avec le développement des transactions électroniques et l'accès aux technologies de contrôle et de gestion à distance des stations d’essence. On prend place devant l’un des terminaux numérotés de la station d’essence, sous l’observation de la caméra de contrôle, en toute autonomie on choisi le produit et on paie à partir d’une carte bancaire pour faire directement le plein, ou on va payer le service sur le comptoir à l'intérieur en identifiant le numéro du terminal, et le service est ainsi programmé de façon qualitative et quantitative.

Deux mondes totalement différents et opposés, entre ces avancées technologiques pour améliorer la qualité des services à la clientèle, dans un secteur aussi important pour l'économie d’un pays, par rapport à ce qui se fait en Haïti de nos jours. À défaut d’offrir le mieux, nous nous amusons à transformer les pompistes en de petits dieux.

Dommage que le pays, à force de patauger dans cette incapacité primaire à gérer l’approvisionnement et la distribution de l’essence à la population, ne dispose pas véritablement des ressources mobilisées et du temps utile pour commencer et poursuivre les réflexions sur l’adaptation en Haïti, des véhicules hybrides, qui seront suivis par les prochaines générations des voitures électroniques, qui doivent obligatoirement occuper les routes haïtiennes dans un proche avenir.

Dans leur trône inflammable, ils font tout parfois pour ne pas faciliter l’ordre lors de la distribution, pour mieux faire augmenter les enchères sans savoir tôt ou tard que la population risquera un jour de se mettre également en colère. Nos seigneurs de l’essence ne se contentent surtout pas de distribuer la manne au compte-goutte, tout en facilitant l'accès à ces revendeurs affiliés, ils en profitent également pour rappeler certaines clientes les plus élégantes comme les plus vulnérables à qui ils souhaitent offrir la faveur de faire le plein, même avec l’argent en main.

Devenu dieu pour nous sauver de cette soif d’essence saisonnière que connait le pays depuis plusieurs années, notre excellence monsieur le pompiste ne manquera certainement pas d’informer madame ou mademoiselle sur le jour et l’heure de la distribution, pour passer même déposer ses « Gallons jaunes » et l’argent à l’avance. N’est-ce pas gentil de la part de notre excellence monsieur le pompiste si généreux, pour trouver assez de temps pour renouveler la liste de ses clients les plus select ?

Dans les longues files d’attente, sous un soleil de plomb, les automobilistes, les clients à motos, les revendeurs d’essence et les clients avec des gallons vont mobiliser une bonne partie de leur journée pour tenter de trouver en vain quelques litres d’essence pour leurs besoins quotidiens comme pour des urgences. Pour le meilleur de nos malheurs et surtout pour le prix à payer, en choisissant de rester vivre en Haïti.

De son excellence monsieur le pompiste, on ne manquera pas de dire merci pour tous ces va-et-vient, ces scènes de colère et de violences verbales et physiques qui transforment les stations d’essence en de véritables champs de bataille pour faire le plein.

Dominique Domerçant

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

1 COMMENTAIRES