Médias en ligne et littérature en Haïti: rôle croissant et limites

(Le sujet ou le présent article constitue une démarche exploratrice du rôle des Médias en ligne dans le culturel en Haïti, et poursuit sur un angle nouveau un article de Pradel Henriquez ( Médias et littérature en Haïti¹) paru Notre Librairie No 133 / janvier-avril 1998).

Les médias en Haïti dans leur rôle historique se sont toujours occupés de politique- en témoigne jusqu'à aujourd'hui le poids des émissions de libre tribune et de débats où citoyens, politiciens et animateurs se transforment tous en de curieux analystes de la conjoncture politique nationale. Une attitude compréhensible en raison d'une part, de la lutte menée par les médias contre la dictature des Duvalier et leur rôle de gardien ou de guide de la longue transition démocratique en Haïti, d'autre part, de leur rôle accru de tribune populaire où les citoyens viennent de se plaindre / dénoncer autorités ou autres citoyens violant d'une manière péremptoire leurs droits. 

 

 

Genèse du compagnonnage: médias et littérature en Haïti

 

Il est une constante depuis de la fin des années 80 que les médias se sont multipliés à un rythme effréné dans la capitale d'Haïti, Port-au-Prince et au début du 21e siècle à l'échelle du pays. Radios, télés, journaux, Magazines et Revues paraissent, mais seules les deux premières perdurent tandis que ceux qui sont du domaine de l'écrit disparaissent. Une situation qui s'explique d'une part, par l'échec du projet de scolarisation nationale qui devait former les apprenants d'une manière compétente, d'autre part, de la dimension encore orale de l'haïtien qui s'attache mieux à l'oral et dans une certaine mesure au visuel.

 

Pradel Henriquez affirme dans son article dans "Notre Librairie"² qu'au crépuscule de la dictature duvalierienne, il existait à la Télévision nationale d'Haïti (T.N.H) une émission culturelle "Autour du livre" (1985-1986), mais celle-ci s'occupait mieux de la littérature étrangère. Comprenons mieux la parole critique à l'époque n'était pas encore libérée. Idem au début des années 1990 à Radio Haïti Inter où Yanick Lahens, J.J Dominique, Monique Lafontant animaient “ Entre nous”, une émission autour du livre et du cinéma. Plus tard, une émission tous les dimanches à la Radio nationale d'Haïti (RNH) avec les poètes Marc Exavier et Gary Augustin. Il souligne par ailleurs les feuilletons radiophoniques "Roye les voilà” de Mona Guérin et la série d'Albert Buron de Gary Victor. Rodney Saint-Éloi qui a ouvert les colonnes du Nouvelliste à l'œuvre des écrivains connus et d'autres jeunes, notamment. La place des Vendredis littéraires de Lyonel Trouillot ³... J'ajouterai les émissions Pluriculture sur Vision 2000, "Woule m woule m Rakonte m" de Billy Elucien sur Espace FM, de "Caraïbes Culture" avec Jacques Adler Jean-Pierre, "Pawòl Kreyòl"⁴ avec Jean-Baptiste Anivince sur Signal FM...

 

Médias en ligne en Haïti: un rôle grandissant

 

L'entrée fracassante des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) dans le paysage socio-culturel haïtien à partir de la deuxième moitié des années 2000 va bouleverser la situation sociale malgré que les médias haïtiens traditionnels ont continué à jouer leur rôle historique tout en délaissant une part minime à la culture, à la littérature. À partir des années 1998, on a fait le constat d'une certaine migration de certains médias vers la toile, se dotant d'un site d'Internet et permettant aux gens à l'extérieur du pays d'écouter les émissions diffusées. Il en sera ainsi de quelques journaux ( Le Matin -aujourd'hui disparu du paysage médiatique haïtien-  et Le Nouvelliste et Le National, aujourd'hui). L'invention des réseaux sociaux ( Facebook, WhatsApp, Twitter parmi les plus populaires) et l'irruption renforcée de ceux-ci sur la scène haïtienne vont rendre nécessaire le désir de créer de nouveaux médias. La toile sera utilisée comme espace de projection et de promotion de ces médias nouveaux. La création de ces médias en ligne a montré nécessairement les limites des Médias traditionnels et la soif d'une libération de la parole à nouveau, engoncée dans les traitements de l'actualité politique encore très dominante dans les médias traditionnels. Il est un fait que ces médias se sont adaptés d'une certaine manière en gardant un œil ouvert sur les nouvelles technologies, ce qui les éviterait de connaître le désintérêt contenu d'une frange de la population.

 

Cet effort prodigieux dans la création des nouveaux Médias, du coup, s'est accéléré à la suite du tremblement de terre du 12 janvier 2010, qui a frappé le pays et a laissé environ 300000 morts sur le paquet. Il témoigne un fait que ces nouveaux médias occupent une place prépondérante dans le social et partent à la quête d'un public large, divers et de différents lieux à la fois qu'un simple clic peut mettre en contact. On recense sur la toile, le magazine littéraire et social, " Île en île", "Le Temps littéraire", "Fleurs et Poèmes", "Alterpresse" , "Plimay", "Rezonòdwès", " Zaboka", "Ayibopost", "Haïtilibre", “ SibelleHaïti”, les sites des Stations de radiodiffusion du pays, les sites des journaux Le National et Le Nouvelliste, "Potomitan" " Balistrad"5 etc.

 

Dans diverses rubriques, ces médias en ligne partagent des articles, des poèmes, des critiques d'oeuvres littéraires ou artistiques, cinématographiques. Ils réalisent en outre des interviews avec des écrivains confirmés ou qui viennent de se lancer dans la carrière de l'écriture. Ils partagent des audio de textes littéraires, de musiques traditionnelles et haïtiennes. De plus, ils promeuvent l'œuvre des écrivains, informent sur les calendriers de réalisation des ateliers de lecture, d'échanges, et d'écriture, sur les causeries et cafés (Café Philo etc), sur les prix littéraires. Ces médias partagent des courtes vidéos où des auteurs disent et partagent leurs textes ou ceux d'autrui notamment.

 

 

Médias en lignes en Haïti: les limites

 

Au risque d'être mal compris et interprété mon propos, il est un fait que les médias en ligne sont une évidence et jouent un rôle important dans la sphère socioculturelle haïtienne. Leur potentiel va sans doute croissant avec le renforcement dont nous sommes témoins dans le paysage culturel et politique en général et au rythme que marchent les progrès technologiques. Ce potentiel et ce progrès ne révèlent pas que le niveau éducatif haïtien est ipso facto amélioré, au contraire on devrait questionner les fondements. En dépit de tous les utilisateurs des nouvelles technologies dans le pays, ils sont très peu ceux qui s'intéressent vraiment ou consultent ces médias en ligne afin de prendre langue aux choses littéraires.

 

 

Le faible débit du data, les faiblesses du niveau académique en Haïti qui se renforcent d'année en année, les difficultés de pénétration des nouvelles technologies dans les milieux ruraux et peri-urbains, les préjugés et les idées erronées concernant les nouveaux outils de communication, constituent un frein, montrent et dessinent les limites de ces nouveaux médias. Ils permettent le partage entre divers internautes et les aident à garder un contact à la littérature en général dans un pays où l'oral est roi et la culture est le souci cadet des patrons des Médias traditionnels et nouveaux, des politiques en autres. Les difficultés sociales de tout bord soulignent l'étranglement dont peuvent souffrir les médias en ligne.

 

 

Ils ont façonné à leur manière le paysage médiatique en Haïti. À travers le culturel, ils ont porté un intérêt certain à la littérature dans les partages. Ils ont joué le rôle de passerelle de la culture. Ils l'ont aidée à vivre au risque et à ses dépens. Au menu d'un désintérêt croissant dans les médias traditionnels pour la littérature, ils ont apporté le désir d'être passeur de vie, de rythme, de hantise même dans ses limites. Évidemment, il n'y a pas à sortir de là.

 

 

 

James Stanley Jean-Simon

Poète, Nouvelliste, et écrivain.

E-mail: jeansimonjames@gmail.com

 

Notes: 

 

¹)Henriquez, Pradel: Médias et littérature en Haïti: écrire envers et contre tout, Notre Librairie, N° 133/ janvier-avril 1998

 

²) Notre Librairie, Littérature Haïtienne: 1960 à nos jours, N°133, janvier-avril 1998

 

³) Henriquez, Pradel, Ibidem, p.178-181

 

⁴) Diverses émissions culturelles réalisées dans les deux langues nationales du pays aujourd'hui dans les Radios à Port-au-Prince

 

5) Quelques médias en ligne en Haïti: des sites, des blogs, des pages Facebook, ou WhatsApp, des radios et télés en ligne, Quotidiens en ligne...

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