8 mars: Dr Jutile Loiseau, une femme engagée entre la médecine et le social !

De la province vers la capitale haïtienne, en passant par la République dominicaine, pour servir des communautés en Afrique, et parmi les plus importantes institutions internationales qui interviennent dans le secteur de la santé, le Dr Jutile Loiseau figure parmi ces femmes professionnelles haïtiennes qui osent réaliser leur rêve, tout en continuant à servir un grand nombre de communautés, et à s’imposer comme de véritables modèles pour les jeunes filles et les femmes d’ici et d’ailleurs. Pour marquer la traditionnelle journée du 8 mars 2022, dédiée aux luttes et à la promotion des droits des femmes en Haïti et dans le monde, nous vous invitons  à apprécier le parcours, la vision et l’engagement du Dr Jutile Loiseau, dans cet entretien exclusif.   

   

Le National: Que signifie pour toi la journée du 8 mars ?

JL: La journée du 8 mars, est pour moi une journée qui marque la lutte pour le respect des droits de la femme dans le monde et particulièrement en Haïti où il y a encore beaucoup d’efforts à faire pour encourager l’émancipation des femmes, leur engagement dans la vie sociale, politique, professionnelle, etc.

C’est une journée qui nous permet d’apprécier les femmes qui ont lutté pour les droits des femmes en Haïti. C’est aussi une journée qui nous rappelle que nous avons un devoir envers les femmes et les filles qui ignorent  jusqu’à date qu’elles ont des droits dans la société tels que : le Droit au travail ; le Droit à un revenu égal ; le Droit de vote ; le Droit de propriété et autres droits fonciers ; le Droit à la liberté de mouvement ; le Droit à l'éducation ; le Droit à la sécurité entre autres…

Cette journée doit interpeller notre société en générale (hommes et femmes) à faire de grands efforts pour rejoindre l’ordre mondial dans l’intégration des femmes surtout dans les décisions pour le pays et dans l’équilibre de la classe politique.

 

LN: Quels sont les nouveaux défis pour les femmes selon toi dans le contexte actuel en Haïti ?

JL: En Haïti, les défis sont nombreux. Je peux dire que l’accès à l’éducation pour les filles a été amélioré dans les derniers 20 ans, disons, grâce à l’engagement de l’État, des organisations de femmes, du soutien des partenaires clés. Le grand défi maintenant, c’est d’assurer que les filles complètent au moins l’éducation primaire. Les filles qui ont accès  à l’école quittent trop tôt soit pour servir aux tâches domestiques, soit pour mener un commerce ou à cause d’une grossesse précoce.

Sur le plan santé, les jeunes filles éduquées repoussent généralement la grossesse à un âge plus avancé, ce qui entraîne une baisse des taux de mortalité infantile et maternelle en ces sens les parents doivent être sensibilisés, certaines femmes modèles pourront aussi prêcher par l’exemple ; l’éducation sexuelle des filles doit être aussi réalisée assez tôt.  L’éducation des filles est l’un des investissements les plus importants d’un pays, en raison des bénéfices sociaux et économiques considérables qu’elle implique.

Autres défis à relever, c’est l’intégration des femmes dans le monde professionnel. Trop nombreuses sont des femmes professionnelles qui ne peuvent pas décrocher un emploi ni entamer des activités d'entrepreneuriat à cause de leur limitation économique. Et si jamais elles décrochent un emploi, il y a une inégalité criante dans le salaire d’une femme et d’un homme pour le même poste et la même profession.

Autre point important à souligner, je pense que le gouvernement doit faire de son mieux pour faciliter l’intégration des femmes « intellectuelles » dans la vie politique et sociale du pays. On comprendra que la majorité des entreprises privées qui font du succès embauchent des femmes compétentes dans leur direction. Mais au niveau de l’État, on ne trouve que des échantillons. Le quota de 30% est loin d’être atteint.

 

LN: Quels sont tes apports, implications ou contributions dans la promotion des droits des femmes au cours des dix dernières années au moins ?

JL: Ben, j’ai eu plusieurs expériences que je peux partager avec vous. Depuis 2005, pendant que j’étais à l’université, j’ai été engagée dans les activités sociales inspirantes pour les femmes telles que : les modèles des Nations unies ou j’ai formé et inspiré des ambassadeurs et ambassadrices en herbe en République dominicaine et en Haïti. J’ai été engagé dans plusieurs associations de base. 

En Haïti, j’ai travaillé surtout avec les mères dans les communautés, les mères leaders, j’ai développé des curriculums de formation, j’ai réalisé des formations de formateurs, et des engagements directs au niveau du terrain sur 7 départements du pays. J’ai aussi engagé les pères dans le bien-être de la famille et dans le changement de comportement des parents envers les filles quant aux tâches domestiques versus les garçons.

J’ai réalisé ce même travail dans le nord du Ghana, où j'ai piloté cette approche pour les pères, j’ai développé les matériels et mené la mise en application des bons principes. J’ai travaillé avec le groupe des mères dans les communautés de la région nord du Ghana.

Autre contribution, j’ai animé des conférences et séminaires pour certains membres de la société civile et d’autres personnes vivant avec le VIH pour rehausser leur estime et combattre l’auto stigmatisation.

Pour finir, depuis tantôt 2016, je conduis des conférences pour le bénéfice des étudiants et étudiantes au préfac, ou je les oriente beaucoup à rentrer dans le monde universitaire ; à faire des choix stratégiques en fonction de leurs préférences et moyens, et d’affronter les échecs aussi. Je les encourage à créer « le soi » qu’ils/qu’elles rêvent et à grandir dans la société. J’ai déjà touché directement environ 1000 jeunes en ce sens, environ 70% sont des filles. 

 À partir de 2019, j’ai entamé formellement une carrière de professeur à l’université. J’enseigne le « Développement professionnel » pour les infirmières finissantes. C’est une formation qui vise à orienter les infirmières vers la formation continue, à armer les infirmières d’une haute estime pour les permettre de s’affirmer dans le monde professionnel et aussi pour les aider à monter des plans de réussite à chaque étape de leur vie. J’ai déjà touché plus de 500 jeunes femmes en ce sens.

 

LN: Comment les jeunes filles haïtiennes pourraient-elles s'inspirer de ton parcours professionnel à travers tes expériences en Haïti, en Afrique, entre autres ?

JL: J’ai un parcours assez bizarre comme ça…(rire).  Je suis une combattante, née dans une province, je suis arrivée à Port-au-Prince à mes 12 ans. Je suis devenue orpheline de mère à mes 14 ans, vous comprendrez le reste… Dès ce moment, j’ai compris que j’avais du boulot. J’ai fait beaucoup de confiance à Dieu, et j’avance à pas ferme, la prière a toujours été ma boussole. Ma première stratégie, j'avais toujours un petit commerce en cours depuis l’école. Je n’ai pas réussi mon concours à la faculté de médecine d’État en Haïti et delà mon grand frère m’a orienté vers la République dominicaine et avec le support des parents, familles, et amis/es et bienfaiteurs ; j’ai bouclé des études en médecine. Durant cette période, j’étais très engagée et surtout comme bénévole dans les activités sociales, culturelles et éducatives ; c’est ainsi que j’ai décroché une bourse pour ma maîtrise en Haute Administration publique. 

En travaillant en Haïti, j’ai compris qu’il me manquait quelque chose, puisque je n’ai pas fait mon cycle d’études professionnel en Haïti ; ainsi donc en 2015, j’ai opté pour un DESS en Management et Gestion des Services de santé.  Ce fut exactement ce qui me manquait pour bien s'insérer dans le monde professionnel en Haïti.

Professionnellement, je suis très responsable, engagée et toujours en quête de connaissances. Je suis de nature flexible et surtout prête à aider.  Je suis très orienté vers les résultats et je suis toujours disponible pour les autres, et ceci c’est vraiment de gaieté de cœur.  Ce profil professionnel m’a conduit au Ghana.  Certaines personnes avec qui j’ai travaillé ont apprécié le fait que je pouvais donner des résultats rapides dans des conditions difficiles, ça m’a valu des recommandations pour m’investir dans l’humanitaire en Afrique à mon très jeune âge.

 

LN: Quels sont les parents ou personnalités qui ont inspiré ton parcours en tant que médecin, professeure d'université et femme engagée socialement ?

JL: J’ai plusieurs modèles que j’ai utilisés au besoin. Comme femme battante dans la vie, je me suis inspirée de ma cousine Josephe Dufresne Pierre-Jérôme. En tant que médecin c’était par une professeure, tutrice de ma thèse en Médecine, Dre Soler Evangelina ; et en tant que femme engagée socialement, c’est surtout Michaelle Jean qui a fièrement représenté les Haïtiens au Canada, et qui a eu une enfance pas tout à fait facile. Sans oublier Viviane Gauthier qui a tenu le flambeau du folklore en Haïti en formant et inspirant des générations dans le pays. 


LN: Quels sont tes conseils aux hommes et aux femmes pour marquer le 8 Mars, et au-delà de cette journée de commémoration de la lutte pour les droits des femmes dans le monde ?

JL: Je pense que la journée de commémoration est un rappel, et à chaque rappel les citoyens et citoyennes de mon pays devront dire au monde, voici les progrès que nous avons faits en Haïti durant cette année et je ne sais pas si ça existe, un plan stratégique sur 10 ans ou plus qui devra adresser les défis sur le moyen et le long terme et offrir une autre classe de citoyens et citoyennes… Peut-être dans les prochaines 25 années…

 

LN:  Quels sont les autres points que tu voudrais aborder dans l'intérêt de la collectivité ?

JL:  Je crois que vos questions ont été assez pertinentes, et on a pratiquement tout couvert. 

Un dernier point, ce serait un appel à la collaboration des différentes organisations de femmes sous le leadership du Ministère à la Condition féminine, en vue de converger leurs actions vers un agenda national, qui toucherait les grands besoins et les grands défis. Il y a un besoin d’offrir une autre classe de femmes à notre société. 

Pour finir, je reprends le thème de cette journée : « "L'égalité aujourd'hui pour un avenir durable".  Je vous remercie.

 

Propos recueillis par Dominique Domerçant

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