Surmonter les craintes et se donner l'opportunité de mettre l’IA au service de l’éducation

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En tant qu’experts de l’éducation à la Banque mondiale et, surtout, en tant que parents, nous comprenons parfaitement l’appréhension que suscite l'arrivée de l’intelligence artificielle (IA) dans les salles de classe. Ces peurs ne sont pas abstraites, elles nous touchent personnellement. Comme beaucoup de parents et d’éducateurs, nous nous interrogeons sur l’impact qu’auront ces technologies sur l’expérience d’apprentissage de la prochaine génération. Ces peurs ne sont pas non plus sans fondement : nous assistons à ce qui constitue pour certains la révolution technologique la plus importante de tous les temps, ou à tout le moins de même ampleur que celle de la machine à vapeur ou de l’électricité. Et il s’agit probablement de la plus grande transformation qu’ait connue l’éducation depuis l’avènement de l’imprimerie. Les détracteurs de l’IA soulèvent des préoccupations légitimes quant à ses effets sur l’équité, l’efficacité et la nature même de l’apprentissage. Le fait est que l’IA a déjà investi notre quotidien. Et c’est précisément la raison pour laquelle nous devons nous attaquer de front à ce sujet difficile.

Nous abordons ici quatre questions fondamentales que nous adressent régulièrement les éducateurs, les parents et les décideurs politiques d’Amérique latine :

1. N’est-il pas irresponsable de promouvoir l’IA alors que de nombreuses écoles ne disposent pas des conditions minimales pour fonctionner ?

C’est un faux dilemme. Oui, de nombreuses écoles manquent encore d’infrastructures essentielles et d’enseignants qualifiés. Mais la technologie, si elle est correctement déployée, peut contribuer à combler ces besoins plus rapidement. Elle peut permettre de mieux former les enseignants, doter les zones reculées de matériel pédagogique et apporter plus efficacement un soutien supplémentaire aux élèves qui en ont besoin.

Il y a déjà des résultats prometteurs dans ce domaine : en Équateur (a), un programme de tutorat fondé sur l’IA a permis d’améliorer considérablement les compétences en mathématiques, pour un coût de 18 dollars seulement par élève. Se priver de ces possibilités ne ferait que creuser davantage les disparités existantes.

2. Comment s’assurer que l’IA sert nos communautés et qu'elle ne dessert pas au contraire nos intérêts ?

Le souci de la souveraineté technologique est légitime. Les systèmes d’IA étant principalement développés dans les pays du Nord global, on risque de passer à côté de besoins locaux cruciaux, tels que la disponibilité de contenus en langue maternelle ou l’utilisation d’approches pédagogiques culturellement adaptées. Mais la solution n’est pas le rejet de l’IA, elle réside dans une action stratégique.

Il faut prendre des mesures concrètes :

  • développer un vivier local d'experts en IA grâce à des bourses d’études et des formations ciblées ;
  • créer des partenariats pour le développement de contenus en langue locale ;
  • établir des cadres réglementaires clairs qui protègent la souveraineté des données ;
  • renforcer les compétences numériques des enseignants grâce à des programmes de formation complets.

Là encore, l’Uruguay nous fournit un exemple (a) de ce qu’il est possible de faire : le pays a élaboré des directives pour l’usage de l’IA qui respectent les méthodes d’enseignement locales tout en tirant parti des progrès technologiques. Ce cadre garantit que la technologie sert les objectifs éducatifs nationaux, et non l’inverse.

3. Ne risque-t-on pas de voir les élèves se servir de l’IA uniquement pour ne plus apprendre ?

C’est l’une des préoccupations les plus aiguës dont nous font part les enseignants et les parents. Ils expriment la crainte légitime que des outils comme ChatGPT deviennent une béquille (a) qui favorise la paresse intellectuelle et des apprentissages superficiels. Le feu peut chauffer votre maison, mais il peut aussi la brûler, tout dépend de la façon dont on s’en sert. Il en va de même pour l’utilisation de la technologie dans l’éducation.

Soyons honnêtes, les élèves n’ont pas commencé à copier avec l'arrivée de l’IA. Il en est ainsi depuis l’invention de l’écriture ! De la dissertation sous-traitée à une grande sœur ou un grand frère aux échanges de réponses pour les devoirs à la maison, la « triche » a toujours existé. Ce qui est différent aujourd’hui, ce n’est pas le comportement des élèves, mais la sophistication des outils. Et il faut y voir l’occasion de repenser fondamentalement la façon dont nous enseignons et évaluons les acquis.

La technologie peut aider à se concentrer sur ce qui compte vraiment, à savoir développer chez les élèves des compétences intellectuelles plus complexes, la créativité et l’analyse critique. Nos programmes pilotes au Nigéria (a) montrent à cet égard de premiers résultats tout à fait intéressants : à condition d’être bien guidés, les élèves qui apprennent à se servir des outils d’IA de manière réfléchie font preuve de plus de profondeur dans leur travail. Au lieu de demander aux élèves de résumer des textes (ce qu’un chatbot peut faire instantanément), les enseignants peuvent les guider pour les amener à mettre en question les analyses générées par l’IA, à comparer ses diverses interprétations ou à l’utiliser comme un « partenaire de brainstorming » qui leur permettra d’élaborer leurs propres idées.

IA ou pas, un bon enseignant est capable d’encourager l’esprit critique grâce à des discussions posées. Les parents savent bien à quel point il est difficile d'inculquer à leurs adolescents une pensée critique. Alors on peut imaginer la gageure que cela représente pour les enseignants, qui doivent gérer 30 élèves en même temps ! Désormais, avec l’aide de l’IA, il leur sera plus aisé de préparer des plans de cours et des activités mieux adaptés au développement de compétences particulièrement difficiles à enseigner.

4. Comment garantir une intégration responsable de l’IA à l’école ?

L’éducation est un domaine qui manque encore cruellement de données scientifiques pour savoir ce qui marche ou pas. Cela peut surprendre : si la recherche médicale se traduit rapidement par des changements dans les cabinets des praticiens, la recherche en éducation peine souvent à se transformer en applications pratiques dans les classes. Mais grâce à l’IA, on peut y remédier.

Il faudrait pour cela adopter la même approche que celle utilisée en médecine, dans l’industrie pharmaceutique ou dans la sûreté alimentaire, à savoir une démarche fondée sur des données probantes, qui permette d’avancer en connaissance de cause, sans se laisser paralyser par la peur de l’innovation. Tout comme l’introduction d’un nouveau protocole médical ou d’un nouvel additif alimentaire fait l’objet de toute une batterie de tests, nous avons besoin d’une approche systématique pour l'intégration de l’IA dans l’éducation, avec :

  • des cadres réglementaires clairs ;
  • des processus d’évaluation rigoureux avant un déploiement à grande échelle, suivis d’ajustements itératifs continus ;
  • la participation active de la communauté éducative à ces processus d’évaluation et d’ajustement dans un souci d'efficacité concrète.

La voie à suivre

L’avenir de l’éducation sera inévitablement affecté par les mutations technologiques. En faisant preuve de clairvoyance et de créativité, nous pouvons exploiter ces outils pour aider les écoles, les enseignants et les élèves qui ont le plus besoin de soutien. Notre succès dépendra de notre capacité à investir intelligemment, avec au cœur, l’humain.

Il ne faut pas oublier que l’éducation relève intrinsèquement de l’interaction humaine. L’IA devrait rendre cette interaction plus efficace et plaisante ; elle ne le remplacera pas. Si nous nous attachons à ce principe, nous veillerons à ce que la technologie soit au service de nos valeurs éducatives, et non l’inverse.

 BM

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