Dimanche 18 mai 2025, symboliquement les drapeaux sont mis en berne dans ce qui reste du temple de Mariani, dans certaines facultés de l'université d'Etat, dans plusieurs hauts lieux patrimoniaux de l'architecture haïtienne, sur les toits de plusieurs organisations syndicales, d'autres espaces socioculturels et professionnels, pour saluer la traversée de Didier Dominique vers l'autre monde.
Dans ce sommeil éternel, il va certainement rejoindre son âme sœur, sa collaboratrice et complice d'écriture partie plus tôt, Rachel Beauvoir Dominique. Je garde encore les souvenirs de notre repas partagé lors des rencontres de KOSANBA, dans un modeste restaurant à la Nouvelle Orléans en 2017.
Comme nos nombreuses rencontres et échanges au Péristyle de Mariani dans le temps, les croisements à la Faculté d'Ethnologie, sur la cour de l'École nationale des Arts (ENARTS), lors des rencontres de planification dans les locaux de radio Kiskeya pour le dixième anniversaire du séisme du 12 janvier 2010, et d'autres espaces partagés oubliés, en dehors du ministère de la Culture, du Bureau national d'Ethnologie, de l'ISPAN, de "Kay Sonson Mathurin", de Palto Vanyan, entre autres.
Didier Dominique était l'homme des quatre saisons, qui incarnait l'alchimie de l'intelligence transversale à travers la terre (architecte-bâtisseur), l'air (l'écrivain-penseur), l'eau (le Vodou-le sacré), le feu (l'engagement social-solidaire). Une vie très modeste, mais bien remplie. Un parcours qui n'est pas sans tâche, ni sans tacle, sachant qu'il figurait parmi la génération des architectes qui ont hérité de l'aura de l'architecte Albert Mangonès, entre la fin des années 70, 80 et 90. Parmi les noms de ses anciens confrères ou camarades, collaborateurs ou collègues, qui influencent cette génération on peut citer : Daniel Elie, Patrick Delatour, quelques temps plus tard, Olsen Jean-Julien, et sans oublier Lesly Voltaire, actuel membre du Conseil présidentiel de transition, parmi d'autres noms.
Diagnostiqué deux semaines plus tôt d'un cancer de pancréas, suite à son hospitalisation, Didier n'a pas su tenir le drapeau de la résistance après plusieurs années de combat, de déception, d'indignation, de confusion et de contributions pour la promotion d'une nouvelle société plus juste et équitable, pas assez reconnues et valorisées par ses pairs.
Didier a marqué son temps, en inscrivant son nom sur de nombreuses pierres encore attachées à ce qui reste des fondations de la dignité pour cette génération. Comme architecte, créateur, professeur, écrivain, militant, gardien de l'un des plus prestigieux temples mystiques du pays, acteur social, personnage réservé et respecté, tant dans les milieux populaires (syndical et Vodou), que dans les milieux scientifiques entre autres.
Dans des livres et des publications sur le patrimoine haïtien j'ai fait mes premiers contacts avec le personnage multidimensionnel Didier Dominique, avant de partager avec ce dernier plusieurs espaces et des champs d'interventions multiples. Tout commence à la fin des années 90, avec l'acquisition de l'ouvrage autour de l'ancienne cathédrale et du texte Savalou-E, qui portent les signatures du couple Didier Dominique et de Rachel Beauvoir Dominique. Et plusieurs autres textes et rapports suivront en dehors des communiqués qui portent sa signature.
Dans la journée du 22 mars 2021, je retrouve l'un de ses messages qui m'invite à consulter sa communication à travers le documentaire autour de l'un des plus grands révolutionnaires de la terre d'Haïti et de la Caraïbe. "Makandal, lidè liberasyon mas yo".
De nombreux autres messages précèdent et suivent ce partage, dans le cadre de l'initiative "AMOUNI La Renaissance", "AMOUNI, semans limyè", pour marquer le dixième anniversaire du séisme du 12 janvier 2010, en 2020. L'artiste peintre plasticien Etzer Pierre et d'autres anciens de l'ENARTS alimentaient les débats lors de ces rencontres.
Dirigeant de l'organisation syndicale "Batay Ouvriye", Didier Dominique s'est investi durant plusieurs années, avant de s'éteindre à l'âge de 73 ans, dans la militance active en faveur des droits des travailleurs et travailleuses, des droits et de la dignité des ouvriers et toutes les classes défavorisées dans le pays.
Dans une publication d'Ariel Dominique en guise d'hommage à son fier et feu père, j'allais finalement confirmer cette triste nouvelle, qu'une nouvelle étoile venait de s'éteindre dans le ciel pour s'ouvrir vers d'autres univers. Sur les traces de Jean Gerin Alexandre, de Frankétienne, d'Anthony Phelps, Serge Villedrouin, Joe Jack..., il manquait pratiquement à ces derniers un architecte, pour réfléchir autour du plan et des symboles à ajouter au futur temple de la renaissance de notre nation.
Dans nos échanges de messages, je garde les souvenirs de ces mots : "Batay la fenk kòmanse !".
De cette phrase, on retiendra toute l'énergie qui dégageait dans ta voix et l'image affirmative et agissante de ton regard, en choisissant le camp de la majorité et la cause des plus vulnérables. Bonne traversée à toi mon ancien voisin et ami, merci d'avoir inspiré cette génération par tes nombreuses œuvres individuelles et collectives, en dehors des multiples contributions socioprofessionnelles et solidaires.
Dominique Domerçant
