Qui sont les nouveaux pauvres en Haïti ?

Dans chaque famille pratiquement, s’ajoute un nouveau pauvre au fil des mois qui passent dans l'ère post-Moïse. Ces membres, tout en continuant à assurer la résistance sociale et à protéger leur apparence au sein de leur communauté, ne disposent pratiquement plus des mêmes marges d’intervention pour satisfaire leurs besoins personnels, et pour aider régulièrement ou se solidariser par occasion avec d’autres proches en difficultés. D'autres membres de cette communauté des nouveaux pauvres finissent par s’effacer au fil des jours sur les réseaux sociaux par peur de se faire démasquer par des amis ou parents. Le silence s’impose comme un véritable parapluie. Des dollars et des gourdes venant de la diaspora ne pleuvent plus avec le ciel des familles qui vivent en Haïti, en dépit du fait que le ciel apparaît grisaille. “Piyay la fini”, avec la crise intense des deux années de Covid-19 qui vient de bousculer presque tous les agendas économiques et les calendriers financiers des individus et des institutions. D’ici septembre à décembre 2022, si pratiquement rien n’est fait au plus haut niveau pour rétablir l’ordre sécuritaire et social indispensable pour le relèvement de l'économie nationale, il sera possible de voir au grand jour la manifestation des nouveaux pauvres dans toutes les formes d’expressions frustrantes et de pressions sociales. Des parents endettés et incapables d’envoyer leurs enfants à l’école, en raison de la cherté de la vie, et l’impossibilité de trouver un emploi encore moins pour investir dans des activités rentables. D’autres familles décapitalisées par le paiement de rançon pour sauver un proche enlevé et déshumanisé finissent par plier bagage et fermer boutique, si elles disposent de plus de chance, contrairement aux familles des bidonvilles ensoleillées, pour fuir la terreur ou la misère. Dans l'indifférence suicidaire et le silence complice, des individus et leurs familles s’ajoutent à chaque fin de semaine et au début de chaque nouveau mois, dans la liste des acteurs économiques les plus vulnérables. Des indicateurs économiques cités dans la presse et sur les réseaux sociaux confirment régulièrement la situation catastrophique dans laquelle plonge le pays en dehors, comme la République de Port-au-Prince. Dans la fabrication des nouveaux riches en Haïti, qui sont pour la plupart les enfants des anciens pauvres, les nouveaux pauvres sont parallèlement, dans la plupart des cas, les anciens enfants des anciens riches qui n'ont pas su se faire prévenir par leurs parents des engrenages de la lutte des classes dans le pays, ou qui n'ont pas vu venir les nouvelles de l'économie de la violence, pour reprendre le titre de l'ouvrage de l'ancien gouverneur Fritz Jean. Dans la fabrication des nouveaux pauvres en Haïti, on peut facilement décrire la machine et ses intrants, à travers les éléments tels le chômage, l’absence de production nationale, d’attraction des touristes étrangers, et des investissements de nouveaux capitaux, l’isolement des villes et régions à cause de l'insécurité galopante et sans oublier les crises institutionnelles et sociopolitiques, en dehors des crimes financiers et de sangs, les enlèvements contre rançon, et le déplacement des dizaines, centaines et milliers de familles qui viennent perdre tous leurs avoirs, leurs investissements et leurs foyers après plusieurs années de sacrifice. Des enquêtes sur le terrain et des études sociologiques devraient être lancées afin d'établir de manière scientifique le tableau sociologique et économique de la réalité haïtienne, en passant par l’identification de nouveaux acteurs et des institutions, sur des bases qualitatives et quantitatives. Découvrir le profil des nouveaux pauvres en Haïti en 2022 est plus qu’une obligation politique, économique, mais surtout scientifique et stratégique, pour pouvoir planifier l’avenir du pays pour les prochaines années et prévenir le pire dans le présent continu et lamentable que connaît la population haïtienne. De nouveaux riches, on les connaît pratiquement tous ou presque. Ils sont présents et visibles, vivants et violents dans beaucoup de cas, par l’obligation qu’ils ont pour protéger leurs acquis et leurs actifs. Ces nouveaux riches sont présents dans l’espace-temps, entre leurs investissements et leurs transactions, leurs déplacements et leur positionnement social, leurs nouvelles fréquentations ou leurs prises de positions ou propositions qui se confondent entre l'indifférence suicidaire et le silence complice. Dynamique sociopolitique, économique et environnementale à la fois inclusive et marginale, les nouveaux riches se fondent pratiquement dans la foule, jusqu'à se confondre avec l’ombre des pauvres d’hier, d’aujourd’hui et de demain qui vont continuer certainement à patauger ensemble. Dans les premiers cours d’histoire suivis à l'école primaire, la phrase: “En cas de révolution, la classe esclavagiste n’avait pratiquement rien à perdre et tout à gagner”, a toujours été l’une des leçons qui interpellent le plus la conscience politique et l’intelligence économique. Des décennies après, et même plus de deux siècles déjà, entre la rotation des masses et l’alternance des anciens et de nouveaux pauvres en Haïti, qui ne représentent certainement pas la classe des blancs ou celle des affranchis, ce chapitre important dans l’histoire d'Haïti qui fait état des balbutiements et des mouvements de protestations qui ont précédé la rencontre du 14 août 1791, invite autant les nouveaux pauvres, mais surtout les anciens et nouveaux riches à un éveil collectif et une prise de conscience citoyenne plus responsable, respectueuse, réciproque et réfléchie. Dans le rétroviseur de l’histoire d'Haïti, les images des moments phares qui s’associent aux dates telles le 22 août 1971, le 18 novembre 1803, et plus proches de nous le 7 février 1986, continuent de s’accrocher aux milliers de kilomètres déjà traversés sur l’autoroute de l'indépendance acquise et de l’avenue de la démocratie importée, accueillant des vagues d’anciens et de nouveaux pauvres Haïtiens orphelins de la paix sociale, de la stabilité institutionnelle et d’une vie meilleure pour leurs enfants et leurs familles. Des questions des plus sensées pour des personnes sensibles à la cause humaine et aux valeurs sociales mériteraient bien des réponses en toute urgence. Qui sont les nouveaux pauvres en Haïti et comment leur venir en aide, avant qu'ils ne deviennent nos futurs bourreaux ? Comment sensibiliser surtout les anciens riches, témoins de la vague des nouveaux riches, sur l'obligation de s'engager autour d'un pacte social, d'un agenda national pour accompagner les nouveaux pauvres, et mieux éviter le chaos social ? Ici et maintenant, pendant qu'il est encore temps ! Dominique Domerçant

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES