De la responsabilité des enseignants dans l'avenir d'Haïti

Demain le jour se lèvera certainement, et les enfants reprendront la route de l'école pour recevoir le pain de l’instruction. Tous les acteurs du système éducatif sortiront tous et toutes gagnants. Et le travail des enseignants sera certainement justifié et mesuré à travers les modèles de familles, des entreprises et des institutions que nous disposerons dans la société.

Derrière les sacrifices des élèves et de leurs parents, de lourds investissements consentis par le  ministère et de la population en général, on ne manquera jamais de rappeler la place incontournable et même irremplaçable du professeur dans la salle de classe. Souvent seuls face aux élèves et leurs parents indirectement, seuls parfois face aux responsables des établissements quand ils n'intègrent pas des syndicats, et certainement seuls face à la population quand il faudra faire la grève pour faire entendre leur voix.  Pratiquement tout le monde attend beaucoup des enseignants, des éducateurs et des professeurs, sur les dos desquels se repose l’avenir des familles, de la nation et des générations futures.

Dur dur d'être professeur dans un pays comme Haïti, avec tout ce que cela implique comme défi pour exercer cette fonction au quotidien de manière professionnelle et responsable,  avec éthique et intelligence, visionnaire et proactive. Une situation qui n’est pas totalement différente dans une grande majorité des pays dans le monde, parmi ceux qu’on ne penserait même pas !

Derrière toutes ces exigences d’ordre multiple,  pour continuer à assumer de manière verticale et valorisante le  statut d’enseignant au pays de l’adage : “Gran mèsi chen se kout baton”, la réalité sociopolitique, économique et sécuritaire aussi critique et déshumanisante  qu’elle soit, exige plus que jamais de nouvelles formes d’engagement et de responsabilité de la part des enseignants conscients de leur véritable rôle en tant qu’acteur de changement.

Dans chaque salle de classe et  dans tous les établissements scolaires, techniques ou universitaires, aucun professeur rationnel ne devrait pas uniquement se contenter de vendre des heures avec ou sans augmentation ou des avantages sociaux obtenus ou acquis par les nombreuses luttes engagées dans le système. L’Haïti d’aujourd’hui va plus que jamais exiger plus de nos enseignants. Surtout avec la démission des familles et l'incapacité des institutions du pays  à encourager les modèles et à sanctionner les déviants.

De la logique  enseignée dans les différents cours de mathématiques, en passant par la compréhension des plus importants faits de l’histoire, la créativité que les cours artistiques doivent insuffler, la culture de la richesse à partager dans l’enseignement de l'économie,  la bonne santé du corps que le cours de culture physique doit encourager, et la compréhension du monde par géographie sont autant d’intelligences pratiques et utiles qu’il faudra enseigner aux jeunes du pays qui résistent encore face à l’attraction de la drogue, des gangs, de la corruption et d’autres dérives institutionnalisées depuis quelque temps.    

D'une pierre plusieurs coups, les enseignants haïtiens dans pratiquement toutes les maillons de la chaîne et les strates du système devraient s'efforcer, dans un esprit de dépassement citoyen et d’engagement solidaire envers les familles et la société en général, prendre une partie de leur temps alloué et disponible suivant la loi de la rue, pour non seulement enseigner leur matière respective, mais également et surtout pour se mettre à l'écoute des élèves, qui dans la grande majorité sont aussi éveillés et traumatisés, marginalisés et étrangers dans la société, à force de s’accrocher à un seul et principal objectif qui n’est autre que partir, pour ne pas mourir.

De cette écoute partagée et  attentive, l’enseignant finira, quelque soit l’approche pédagogique utilisée et les modèles d’évaluation appliqués, par faire passer l’essentiel de son message, tout en gardant à bord, l’ensemble des membres de l’équipage. Car, plus que jamais, chaque salle de classe des écoles en Haïti est avant tout des navires qui voyagent en haute mer. Au moindre désordre à bord, tous les passagers risquent certainement le naufrage.  

De la responsabilité des enseignants pour  tenter de justifier par tous les moyens l’utilité et l’importance du cours enseigné, particulièrement dans le contexte haïtien actuel. Comment ce cours pourra-t-il permettre à l’élève de surmonter des problèmes reels dans la vie courante, de développer des connaissances et des compétences dans l’un des corps de métiers valorisants actuellement dans le monde, ou de réaliser un  de ses objectifs importants ou un projet collectif d’avenir ?

De la responsabilité de chaque enseignant haïtien de convaincre leurs élèves,  les jeunes en particulier, et les parents en général, que l’ignorance, la corruption, la violence aveugle, la jalousie, le “Dechoukay”,  ou la malfaisance  ne sont pas les seuls leviers pouvant ouvrir les portes du succès et de la réussite sociale dans le pays. Et que dans chaque choix fait dans la vie, il y a un prix à payer à la fois sur le plan individuel, familial et parfois même sur plusieurs générations.  

De la responsabilité du professeur, de chaque enseignant d’inscrire régulièrement sur le tableau et d’illustrer les devoirs en salle ou à la  maison, avec des thèmes, les concepts ou valeurs comme: les différentes formes d’intelligence (émotionnelle, culturelle, économique, collective, politique, artificielle, entre autres ). Les stratégies d’apprentissage doivent obligatoirement se partager entre l’éducation formelle via l’application des contenus du curriculum et l’école de la vie, de la vraie vie dans le pays qui nous entoure et nous habite.

D’autres thèmes aussi importants qu’inspirants doivent avoir une place de choix dans les débats à initier régulièrement dans chaque salle de classe. On peut citer: le vivre ensemble, la famille, l’avenir, le respect, la citoyenneté,   la responsabilité partagée, l’éthique, la santé, l’empathie, le sens de la mémoire, la créativité, la compétitivité,  l’esprit d’initiative, le devoir de résultat, la vision d’excellence et de grandeur,  la création de richesses, le travail, la négociation,  la croissance économique,  le sens du bien commun, le dialogue,  la diversité, le sentiment d’appartenance, l’ouverture sur le monde, et le développement durable, sont parmi ces thèmes qui doivent conscientiser et responsabiliser tous les apprenants dans la nouvelle école haïtienne à inventer.

De la responsabilité de tous les professeurs de proposer les meilleurs des enseignements utiles, pratiques, adaptés à la réalité des familles haïtiennes et prenant en compte les défis et opportunités de la société actuelle. À défaut de proposer de nouvelles formes de savoirs pratiques,  et de planter les meilleurs grains dans l’esprit des apprenants d’aujourd’hui, les enseignants haïtiens risqueront une nouvelle fois de récolter le pire au sein de la génération actuelle ou future.

Dominique Domerçant

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