Dictionnaire des manifestations populaires en Haïti

Dans un pays où l'instabilité est devenue la norme, les manifestations populaires deviennent pratiquement l’un des moyens de communication les plus efficaces que les masses disposent pour faire entendre leurs voix aux autorités en place, aux forces en présence, ou pour faire du surplace, et prendre place dans l'actualité politique.

 

Dans les rassemblements des leaders communautaires, des chefs de partis politiques ou des syndicats, des victimes, des membres de la société civile ou d'anciens dirigeants qui veulent reconquérir le pouvoir, on en trouve pratiquement tous les visages, qui portent tous les noms, et parfois on observe les mêmes visages qui manifestent pour faire entendre leurs voix.

 

D’hier à aujourd’hui, pratiquement de 1986 à nos jours, s’il n’existe aucune chaire universitaire en Haïti, ou un centre de recherche et de documentation pour étudier, évaluer, analyser et enseigner l’histoire, la géographie, l’alchimie et la physique des manifestations en Haïti, cela n'empêche pas devant l’absence d’un musée des manifestations en Haïti, pour proposer la publication du premier dictionnaire des manifestations en Haïti.

De A à Z, il sera possible d’avoir une idée générale sur les principaux concepts qui définissent ce modèle d’institution sociale, à la fois formelle et informelle, conjoncturelle ou imprévisible, qui assurent en permanence le duel entre les dirigeants et la population, le pouvoir et l’opposition, des franges de la population et l’internationale, la population et la police, les manifestants et des groupes opposants,  les victimes et les bourreaux, les bourreaux entre eux, les victimes entre elles également ou parallèlement.

Dans le prochain dictionnaire des manifestations populaires en Haïti, c’est un univers à la fois littéraire, culturel, politique, symbolique, ésotérique, poétique, historique et géopolitique qui sera proposé aux lecteurs, à travers les multiples formes d’expressions, de communications, de slogans, de démonstrations et des illustrations qui donnent corps et formes, vie et couleurs aux manifestations observées tant dans la capitale, dans les villes de province et dans la diaspora.   

Dans la lettre «A», on retrouvera certainement le mot «Aba» en premier lieu. Il occupe pratiquement la première place sur les murs, les clôtures, et d’autres biens fixes ou mobiles qui se trouvent sur le parcours des manifestants qui rejettent ou réclament de meilleures conditions de vie, ou la libération d’un proche. «Atache», Abi, Aristide, Ambago, Aristig, Avyon, Assassin», «Ave Maria» parfois déformé, entre autres.

 

Dans l’enceinte même des manifestants, un autre mot commençant par la lettre «A», comme «Abolotcho», permet de rares fois de dévoiler ou de démasquer certains parmi les membres les plus excités, les plus engagés qui disposent d’autres agendas cachés ou des centres d'intérêt masqué dans la lutte.      

Découvrons quelques mots en «B», comme : Boujwa (élites économiques et classe sociale), Blan (international), Bâton (forces de l’ordre), Biznis (entreprise ciblée),  parmi d’autres expressions comme «Bouda», comme pour faire référence aux manifestations populaires en 2004, sur fond de «Grenn Nan Bouda» (GNB). Au cours de l’été 2022, un nouveau slogan a vu le jour dans le pays autour de «Bwa kale».

Dans la lettre «C», qui n’est pas toujours présente dans le langage populaire des masses de 1986 à nos jours, on retient des noms d’institutions et des personnalités dans ce registre, comme :«CEP» (Conseil Électoral provisoire ou permanent), CNE, CAS, «CNG», «CIRH» ou  «Clinton», en se référant aux manifestations et communications qui interpellaient le Conseil National de gouvernement, la Commission intérimaire de reconstruction après le séisme du 12 janvier 2010, et son coprésident de l'époque, l’ancien président des États-Unis, Bill Clinton.  

 

Dessalines, Démocratie, Dictature, Dominicain, «Dechoukay, Divèsyon, Drijan, Debakman, Dola, Dette, Diri a chou, Depa,  Droits civils et politiques» en dehors du déplacement et de la destination des manifestations, ou des discours portés parmi les chefs de file et les leaders, sont autant de mots et de maux qui maquillent les manifestations en Haïti.

«Eleksyon, Etranje, Etat de droit, Ewo, Ed imanitè, Entèvansyon, Entèpelasyon,  Envestisè,  Embargo, Etazini, Ennemi»,  sont parmi les mots commençants par la lettre E, qui vont compléter l’alphabet. Fòs, Front, Federasyon, Fowòm, Finans, Frontyè, Fyète,  ou Fantom 509» , alimentent ainsi les frontières entre les slogans et les fissures persistantes entre les familles politiques, des institutions publiques et de la société en général.

Des mots comme: «Gouvernement, Gaz dans toutes les formes de représentations possibles, GNB, GNbiste, Grannèg, Gang, G9, Galil, participent dans cette géographie politique, qui prend forme à travers l’expansion permanente des lignes et des luttes de classes, et entre les acteurs du pouvoir de génération en génération.

Dans l’histoire d'Haïti, si la lettre «H» se perd dans la langue créole, dans l’écriture des mots comme : «Istwa» et «Ewo», c’est à travers les prénoms comme «Henry» que des manifestants s’accrochent pour ressusciter cette lettre en grande partie, en explorant les règnes des différents «Henry» qui se sont succédé dans l’histoire d’Haïti, particulièrement de 1986 à nos jours.

Des insultes de toutes sortes, lancées contre les dirigeants, des personnalités, des institutions ou des pays ciblés lors des manifestations en Haïti s’accrochent à toutes les lettres qui tombent entre les lèvres de l'être haïtien, frustré, révolté, manipulé, marchandise ou manifestant sur pratiquement tous les terrains. «Imitem pa iritem, Izmery, Inite, Imanitè, Inondasyon, Im nasyonal ou Iminite», sont parmi ces mots qui enrichissent le vocabulaire des manifestations dans les temps de catastrophes politiques, humanitaires ou naturelles.

Dans la conjugaison des mots commençant par la lettre «J», Jovenel (Moise), Jean-Claude (Duvalier), ou Jean-Bertrand (Aristide), occupent bien la tête du peloton, même si l’ancien Premier ministre Joseph Jouthe a été épargné grâce à son langage assez particulier, qui lui avait enlevé sur la trajectoire de bon nombre de manifestants durant son règne.  «Je kale, Jijman, Jean Jacques  Dessalines», complètent ainsi la liste.

De «Kamoken», en Koken», en passant par : «Kokayin, kaleje, Klas mwayèn, Kleren, Kanno,  Kazèn, Kanpe lwen, Kolòn, Kiben, Kalewès, KEP, Kapwa lamò»,  sont nombreux parmi ces termes qui, depuis plusieurs décennies, illustrent si bien  les mutations politiques et les manifestations qui continuent enfanter le chaos haïtien.

 

À suivre…

Dominique Domerçant

 

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