Le Sport pour les personnes en situation de handicap en Haïti : une pratique pour déconstruire les préjugés et promouvoir la participation sociale ?

Introduction

La participation de l’équipe haïtienne à la coupe du monde de football amputée en Turquie (2022) a suscité une fierté nationale. Les différentes victoires enregistrées dans le palmarès de l’équipe durant cette compétition internationale ont soudainement attiré l’admiration particulièrement des Haïtiens sur les réseaux sociaux pour les joueurs vivant avec une déficience, une catégorie généralement très peu valorisée. Ces victoires  ont permis aux Grenadiers d’occuper la 4e place dans cette compétition et apparaissaient  comme de petites lumières qui pointent à l’horizon dans un pays qui traverse actuellement une crise sociopolitique insoutenable.   

Le sport, dans son acception commune, défini comme une activité sociale compétitive ou non compétitive met en jeu la motricité et la corporéité de l’individu et mobilise la force physique (Roy Compte, 2010). Il est aussi l’activité humaine qui porte en elle-même des valeurs morales de justice et d’égalité puisqu’il est censé, dans son organisation et dans sa pratique, considérer le pratiquant hors de toute appartenance socioculturelle ou politique, de différenciation physique et laisser à chacun, selon ses capacités, sa chance de vaincre et de s’affirmer.

Pourtant dans l’imaginaire collectif haïtien, le corps de la personne handicapée a été  toujours perçu comme l’être faible, fainéant succombant facilement à l’épreuve. Brusquement, on constate durant cette compétition internationale que les propos discriminants et dégradants généralement utilisés dans la société haïtienne pour étiqueter les personnes handicapées feints de donner place à ceux qui font l’éloge de la performance, de l’endurance, du culte de l’effort, caractéristiques du jeu sportif.  Alors que le handicap renvoie, généralement, à la représentation d’un corps déstructuré, maladroit, disharmonieux (Roy, 2010). Autrement dit, les représentations sociales jouent un rôle essentiel dans la manière dont chacun appréhende la réalité du sport pour les personnes en situation de handicap aujourd’hui.

 Un tel constat pousse à interroger sur  l’importance du sport, particulièrement dans sa fonction sociale, pour contribuer dans la lutte contre les discriminations basées sur le handicap. Comment le sport peut servir comme médiateur pour favoriser la participation sociale et contribuer à bâtir des relations sociales indifférenciées (valide/handicapé) dans la société  haïtienne? Peut-il aussi servir comme un levier pour restructurer le lien social haïtien ? Pour adresser de telles interrogations, nous retraçons dans un premier temps, l’apparition et le contexte historique du sport pour les personnes handicapées ; dans un second temps, avec l’aide des approches de certains sociologues du sport évidemment intéressés par la question du handicap, nous analysons des éléments qui peuvent contribuer au renversement du stigmate sur les personnes handicapées en utilisant le sport comme médiateur ; enfin, nous verrons si ce médiateur à lui seul, peut favoriser une participation sociale de cette catégorie.

 

Le sport pour personne en situation de handicap une pratique institutionnalisée récente avec un idéal d’égalité

 

Le sport pour les personnes handicapées comme pratique socialement signifiante est une activité historiquement récente qui débute dans la moitié du 20e siècle. Son institutionnalisation va débuter en France avec notamment, la création en 1964 de la Fédération des sports pour les handicapés physiques et en 1971 de la Fédération française du sport adapté. Ces deux dispositifs institutionnels se sont structurés distinctement en fonction des types de déficiences, s’alignant sur des valeurs de droits et d’égalité formelle (Roy, 2010). La pratique du sport pour les personnes handicapées s’est vu conférer originellement une fonction sociale et semble être utilisée comme un vecteur d’intégration sociale où l’égalité comme valeur inaliénable de la société républicaine française  joue un rôle prépondérant.

En Haïti, le sport pour personnes handicapées, particulièrement dans la discipline de Foot a été l’instigation du Dr Fred Sorells au cours de son deuxième voyage dans le pays après  le séisme dévastateur du 12 janvier 2010 (Saint-Pré 2018, In Le Nouvelliste).C’est aussi sur l’impulsion de ce dernier que l’équipe du Football amputé haïtien a participé pour la première fois à la coupe du monde de cette discipline en octobre 2010 en Argentine.

Faut-il aussi le préciser, qu’il n’existe pas encore une fédération sportive haïtienne qui assure la promotion et la pratique des disciplines sportives destinées aux différents types de déficiences (Physiques, mentales, sensorielles). Le football comme sport roi en Haïti, est la seule version handisport en pratique dans le pays pour les personnes handicapées physiques avec jusqu’ici l’engagement et les efforts déployés par l’Association haïtienne de Football amputé (AHFA), supportée ponctuellement par l’État haïtien lors des grands événements sportifs. Cette structure a été créée après le séisme du 12 janvier qui a occasionné, entre autres, plus de 4000 amputés dans l’objectif de motiver et redonner l’espoir à beaucoup de ces jeunes devenus unijambistes. L’AHFA depuis sa création s’approprie d’une fonction sociale, élucidée à travers sa mission qui vise l’inclusion et la réhabilitation des personnes handicapées par le jeu sportif, particulièrement par le football (voir la page Facebook AHFA).

C’est bien dans ce sens, certains auteurs ne voient pas seulement dans les activités sportives pour les personnes handicapées qu’un simple jeu. Pour Compte Roy, « de par son organisation sociale de sa pratique et son approche politique, le sport peut être alors considéré comme un révélateur aussi bien symbolique que sociologique de l’importance du sujet handicapé dans le corps social. De même, dans sa confrontation au sport, le handicap agit comme un analyseur des pratiques et peut en révéler un idéal d’éthique non affirmé parce que non pensé et qui peut être aussi facteur de lien social ». En ce sens, il évoque aussi le rôle que peut investir le sport dans la  lutte contre les mécanismes d’exclusion de cette catégorie dans toute société organisée.

Le sport pour lutter contre  des systèmes d’exclusion et de stigmatisation contre les personnes handicapées et favoriser sa participation sociale

Nous savons bien dans la réalité quotidienne des personnes handicapées, elles sont victimes de stigmatisation et d’exclusion qui peuvent compromettre leur participation sociale à toutes activités au niveau du corps social haïtien. Ces systèmes de stigmatisation et d’exclusion sont constitués, entre autres, des comportements et attitudes discriminatoires sur le handicap, mais aussi et surtout par des manques en infrastructures physiques et sociales inclusives pour assurer à la personne handicapée une inclusion sociale en fonction des besoins spécifiques que peut générer sa déficience.

Pour contribuer au renversement de  ces systèmes d’exclusion et de stigmatisation, le sport peut servir comme  médiateur pour permettre à la personne handicapée de projeter une image beaucoup plus positive d’elle. En effet, le sport représente comme le lieu de réalisation éphémère, mais effective de l’invisibilité du handicap pour les autres, et le projet de ‘’paraitre comme tout le monde’’ trouve paradoxalement dans la pratique sportive, qui sollicite le corps, un aboutissement concret inattendu (Marcellini et De Léséleuc, 2012) Prenons par exemple le cas de l’athlète  sud-africain,  Oscar Pistorius né sans péroné et amputé sous les genoux.  Cet athlète amputé court les 400 m avec des prothèses et a fini par se faire accepter  aux épreuves phares d’athlétisme aux côtés des valides. Ses activités sportives lui ont permis d’avoir une reconnaissance sociale et de rendre invisible son handicap. Ses réalisations n’ont pas été jugées à l’aune de son handicap, mais de préférence à cause de ses performances dans le sport. C’est cette même perception qui semblait influencer les spectateurs haïtiens (particulièrement sur les réseaux sociaux) lors du mondial du football pour amputés. Les joueurs n’étaient pas perçus au filtre du handicap, mais plutôt appréciés pour leurs performances dans le jeu et momentanément  leurs déficiences deviennent presque invisibles dans la représentation commune.

Toutefois cette vision idyllique du sport pour le handicap, ne saurait masquer d’autres obstacles liés à l’environnement socio-environnemental et aux conditions de vie des personnes handicapées en Haïti (faible accès à l’éducation et emploi, inaccessibilité au cadre bâti et services, etc.) qui représentent des freins à sa participation sociale. Il faut prendre en compte les différents obstacles auxquels elles sont confrontées pour arriver effectivement  à une pleine participation sociale. Comme le définit le projet de classification internationale des handicaps de l’OMS(2001), le handicap est une restriction à la participation sociale. Donc il peut être compensé par des politiques sociales centrées sur la réalisation des droits de l’homme, où prévalent la responsabilisation de l’individu, le respect de ses besoins et de ses particularités.

Améliorer la participation sociale nécessite aussi d’adopter une vision positive sur les personnes en situation de handicap en valorisant leurs potentialités ( Castelein, 2001) elles doivent avoir  un rôle social et ne pas être définies seulement comme des objets de soin ou d’action caritative. Il faudra aussi, établir un échange réciproque entre l’individu et l’environnement dans lequel il évolue en mettant en places infrastructures accessibles dans les domaines physiques, communicationnels, informationnels et faciliter un accès égal aux services sociaux de base. Ces conditions contribueront à la participation sociale en donnant à la personne handicapée  la possibilité de réaliser pleinement ses habitudes de vie (Fougeyrollas, 1994).

 Dans cette perspective,   la participation sociale est de finie comme « l’ensemble des activités réalisées dans les environnements sociaux fréquentés par la personne et comportant des interactions avec les acteurs propres à chacun de ces environnements (Castelein P. 2015 :8). Fougeyrollas (1994), présente la participation sociale comme  étant la possibilité pour la personne handicapée de réaliser pleinement ses habitudes de vie. Le sport certes, peut servir comme un médiateur important pour faire évoluer les mentalités sur le handicap positivement, mais ne peut à lui seul favoriser la participation sociale effective, encore moins son inclusion, dans la société dans laquelle elle évolue. D’autres déterminants sociaux doivent être mobilisés dans cette quête pour arriver à la participation sociale des personnes handicapées en Haïti.

 

Carl-Henry SAINT-PIERRE,  Travailleur Social.

Spécialiste du Handicap et des Pratiques Inclusives.

Téléphones : (509) 3354-8862/ 3996-3380

E-mail : carlhenry1985@yahoo.fr

 

 

Références

Marcellini Anne, De leseleuc Eric, Gleyse Jacques. L’intégration sociale par le sport des personnes handicapées, logiques d’assimilation, conflits de représentations et effets pervers.Equipe « Corps et Culture », UFR STAPS,Universite Montpellier 1, France.

ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE(OMS). Classification Internationale du Fonctionnement (CIF), 2001.

Jean Pierre Michel. « En Haïti, le foot pour amputés est source de fierté », Challenge, 2018

Pierre Castelein, «  La Participation Sociale : un enjeu interdisciplinaire pour nos institutions » p1 http://www.gravir.be/IMG/pdf/ARTICLE_CASTELEIN_PARTICIPATION_ver2.pdf

 

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