À quand un plan de carrière effectif dans le secteur de la Formation professionnelle en Haïti ?

Assez souvent en Haïti quand on parle de carrière professionnelle, on ne tient pas forcément compte de son sens propre. De ce fait, on parle du nombre d’années après que la personne fut diplômée de son métier. Et l’intéressé en question peut n’avoir aucune expérience effective dans l’exercice de sa profession. Ce qui nous pousse à poser ces questions à savoir : qu’en est-il du secteur de la Formation professionnelle en Haïti ? Est-ce, le nombre d’années après avoir décroché un diplôme qui prouve qu’on a de l’expérience ? Ou du moins, le nombre d’années de mises en situation ?  

 

En fait, la politique d’emploi telle qu’on la pratique chez nous dans la plupart des institutions ne tient quasiment pas compte de compétence. Au contraire, elle met en exergue un système népotico clanique favorisant : des membres de la famille, des proches, de petits amis et quelquefois certaines recommandations. Ce qui implique que le mot carrière est tout simplement galvaudé dans le secteur de la formation professionnelle du pays.

 

Pour pallier ce problème, nous allons parler en peu de mots du concept carrière, et procéder à une étude comparative d’au moins trois institutions, dont deux banques commerciales et l’Institut National de Formation professionnelle (INFP) en vue de faire jaillir la lumière.

 

 

Un plan de carrière peut se définir comme les étapes clés franchies par un salarié au cours de sa vie professionnelle.  

 

Dans son article, Une carrière bien réussie, publié le 27 juin 2017, Samantha Pirard relate ce qui suit : « Dans le monde professionnel comme dans la vie de tous les jours, nous avons affaire à deux types d'individus. Ceux qui vont jusqu'au bout et ceux qui passent à côté de tout. La clé du succès se trouve dans notre attitude. Et puis la notion de "réussite" est bien différente d'une personne à l'autre. Pour dresser un plan de carrière réaliste : vous désirez obtenir plus de succès dans votre travail? Première règle : dressez un plan de carrière réaliste. Il faut savoir ce que l’on veut. Déclarer “Je veux avoir du succès” est trop vague. Faire le point et se fixer des objectifs est nécessaire pour définir la direction à prendre. Il faut analyser les potentiels obstacles et tirer les leçons des expériences passées pour ne pas les répéter.

Ce travail de préparation vous aidera à avoir une vision claire de la carrière souhaitée ou rêvée. L’évaluation de vos qualités et de vos points faibles (à améliorer) fera aussi partie du processus nécessaire pour atteindre son objectif. Une fois que vous avez une vision claire de la situation, prenez les mesures adéquates. Par exemple, vous désirez travailler au département Communication, mais il faut être parfait bilingue. Pourquoi ne pas suivre une formation en langues? Pour atteindre ses objectifs, il faut sortir de sa zone de confort, s’ouvrir à de nouvelles méthodes de travail, échanger avec les autres collègues. Sans cela, vous ne ferez que stagner et rêver à une carrière idéale. Fin de citation !

 

En ce qui me concerne, l’une des choses que je finis par comprendre dans ma vie professionnelle est que, la manière dont vous débutez votre carrière, déterminera si vous allez avoir ou non un bon plan de carrière. Sur ce, je vais partager avec vous l’une de mes expériences vécues dans la formation professionnelle. En 2014, j’étais Directeur du Centre d’Apprentissage de St-Martin (CASM). Sachant qu’avant d’être nommé Directeur en l’espace de 15 ans, j’avais déjà occupé 4 autres postes : d’abord au CASM : formateur stagiaire, surveillant (voir le profil de Coordonnateur des études), puis au Centre Pilote : Magasinier, formateur. Ces échelons-là m’ont donné de l’équilibre dans ma nouvelle fonction au point que je devais proposer certains techniciens à l’INFP en vue de leur nomination. C’est ainsi que l’un de mes collaborateurs m’a suggéré d’insérer dans la requête un ancien diplômé en Ferronnerie, mais ne pratiquant pas une seule fois le métier qu’il souhaitait enseigner. En découvrant cette anomalie, je l’ai donc proposé à un autre poste ! Autre chose, à cette même époque, plusieurs de mes collègues du Centre voulaient me boycotter en appliquant la politique de la chaise vide. Grâce à  mon passé et à ma connaissance du milieu, j’ai travaillé durement en vue de combler ledit vide.

 

Notant qu’en termes d’avantages, quand on a l’opportunité de suivre un plan de carrière bien défini, on a de l’équilibre dans tout ce qu’on entreprend comme tâches.

 

C’est juste pour dire que si quelqu’un veut faire une carrière dans une discipline quelconque, il doit bien la pratiquer pour avoir une bonne maitrise. Car on ne peut donner que ce qu’on a. En effectuant d’autres recherches, nous sommes arrivés à cette conclusion à savoir : Pour beaucoup d'entre nous, réussir sa carrière professionnelle est un objectif de vie, s’articulant autour de sept (7) points : 1- Apprendre un métier, 2- Penser et agir avec une attitude positive: Être optimiste! 3- Avoir des idées claires et bien définies pour savoir où aller! 4- Rester motivé! 5- Maximiser sa confiance: Croire en soi ! 6- Gérer ses émotions. 7- Développer ses qualités et compétences.

 

Poursuivre un plan de carrière suscite un grand respect envers les bureaux. En ce sens, notre fameux Professeur de Droit administratif à l’École de Droit et des Sciences économiques des Gonaïves (EDSEG) Dieuseul Dieufort Placide dit Titch relate ce qui suit à propos de l’écrivain Alain Tunier : « Nos maitres ce sont les bureaux » ce qui revient à dire que l’Administration est un vaste champ de connaissances. Peu importe votre degré de qualification sur le plan intellectuel, quand on intègre une Administration on trouvera toujours quelque chose à apprendre de ses collègues de bureaux, surtout les anciens et ce, quelle que soit leur fonction. Ce qui peut vouloir dire que la sagesse, voire le bon sens vous permettra de marier votre compétence propre d’avec celle que vous acquérez aux bureaux ! En résumé, l’arrogance intellectuelle ne nous mènera nulle part !

 

 

Chers amis lecteurs, pour vous permettre de bien comprendre le bien fondé de ma démarche, j’ai mené une enquête auprès de deux banques commerciales : la SOGEBANK et la Banque Nationale de Crédit (BNC) et une autre institution qu’est l’Institut National de Formation professionnelle (INFP). Au terme des entretiens avec plusieurs membres de leur personnel, je vous présente la synthèse de leurs déclarations:

 

De façon globale quand quelqu’un intègre le système bancaire en Haïti, pour parvenir à un sommet quelconque, il a deux itinéraires à suivre, soit le service à la clientèle soit la caisse.    

 

Tout d’abord, on rentre à la banque par voie de concours. Une fois que vous avez réussi, on vous donne rendez-vous pour la signature de votre contrat. Le choix de la caisse ou du service à la clientèle est fonction du savoir, savoir-faire et de l’aptitude du postulant (e) en question !

Dépendamment du nombre de recrues, les responsables peuvent procéder à une séance de formation bien avant de démarrer leur période de stage qui a une durée d’environ 3 mois. Assez souvent les uniformes des recrues sont différents de ceux des employés. Toutefois, le respect du protocole, l’élégance, les bonnes manières sont de rigueur.

 

On peut intégrer le Service à la clientèle en tant que simple employé et en gravissant les échelons on pourra parvenir jusqu’au de Chef` de Service ou même Directeur de Ressources humaines. Tandis que dans le second cheminement on peut commencer à la caisse en tant que simple employé pour devenir par la suite : Chef de caisse ou Superviseur, Assistant Directeur, Directeur de succursale, Directeur Régional et enfin Membre de Conseil…

Ainsi, pour l’octroi d’une promotion, on se base sur l’ancienneté, la compétence et le dynamisme de la personne. Dans la majeure partie des cas, les deux dernières qualités l’emportent sur la première.

 

 

En dépit de tout ce qu’on pourrait reprocher au système bancaire en Haïti, ses responsables établissent un plan de carrière à nul autre pareil. La preuve, même quand le premier citoyen de la République recommanderait quelqu’un pour occuper la fonction de Directeur d’une succursale de banque, même s’il s’agissait d’une banque commerciale publique comme la BNC par exemple, le Conseil exécutif va dire à cette autorité-là : ce n’est pas possible parce qu’on ne procède pas ainsi dans ce dit système ! Car cette personne-là doit débuter à la base pour gravir tous les échelons. 

 

Chers amis lecteurs, nous venons de voir que le système bancaire haïtien est plus technique que politique ! Mais qu’en est-il du secteur de la Formation professionnelle ?

 

En 2003, les dirigeants de l’INFP ont procédé à la rédaction d’un document qui a pour titre : Manuel de procédure pour le recrutement des Agents des Centres de formation. Bien qu’en 2007, ce document ait été révisé, il ne répond pas aux besoins réels du système en matière de recrutement. La faiblesse de ce petit document, c’est qu’il ne tient pas compte d’une carrière pour les employés. Dans la majorité des cas, lors des recrutements 80 à 90% des recrutés ne sont pas issus du système de formation professionnelle. Le pire, tout fonctionne à l’image du pays, de la même manière qu’on procède dans la grande majorité des institutions haïtiennes, l’interview n’est qu’une farce, et le nombre de postulants en question importe peu, puisque l’occupant est déjà connu quelles que soient les circonstances!

 

Il faut noter que cet article n’a pas été écrit dans l’objectif de nuire à qui que ce soit, mais de préférence de réfléchir sur le tort que peut causer le système clanique ou du moins celui du népotisme dans la fonction publique. Car il est inconcevable pour une autorité de nommer sa progéniture dans la même institution qu’elle prétend diriger. Le pire, sans formation adéquate et en dehors de toute norme procédurale.

 

Compatriotes haïtiens, dites-moi de quel plan de carrière peut-on parler quand la grande majorité de nos dirigeants se laissent naïvement bernés par le système clanique ?

Aucun, sinon, on entonne à chaque heure nos mêmes refrains sans tenir compte de ses conséquences néfastes sur l’avenir de notre pays.

 

Pouvez-vous imaginer le gaspillage des valeurs au sein de la formation professionnelle ? Et nombreux sont les professionnels qualifiés qui ont dû laisser le pays pour aller vers d’autres cieux plus cléments ; leur seul péché, ils ne font pas partie du clan qui est  au sommet !

Lire l’article : À la recherche des valeurs délaissées en Haïti

 

En rédigeant cet article, nous avons l’ultime assurance qu’un plan de carrière effectif dans la formation professionnelle sera immanquablement une solution palliative au système de parrainage et d’accointance politique qui gangrène l’Administration publique en générale. À titre d’exemple, une Dame travaille au bureau central de l’INFP en tant que Responsable de Section depuis dix-huit (18) ans. En dépit de toutes ses qualifications techniques et universitaires, elle n’a jamais eu de promotion.

Un autre employé faisant partie du Personnel de soutien acquiert une expérience de vingt-cinq (25) ans sans avoir gravi un autre échelon dans l’organigramme de l’institution.

Un dernier exemple concerne un employé, l’un des fils authentiques du système, diplômé à JB Damier, Formateur stagiaire au Centre pilote, nommé en 1983, Formateur puis Chef des travaux au Centre Polyvalent, par la suite Chef des travaux à JB Damier. Vu ses expériences et son savoir-faire en 2007, on l’a transféré au Bureau central de l’INFP. Et maintenant il a plus de 12 ans dans une seule fonction qu’est Responsable de Section sans pouvoir bénéficier de promotion. Mon Dieu, Quelle aberration !

 

Ainsi donc, par rapport à tous ces cas, vous imaginez s’il y a un plan de carrière bien défini avec des profils d’entrée (voir des prérequis) dans le secteur de la Formation professionnelle à l’instar du système bancaire haïtien, nous ne serions pas là où nous sommes aujourd’hui !

 

  • Mais qu’est-ce qu’on doit faire pour réduire à sa plus simple expression le système clanique qui ruine la formation professionnelle depuis de nombreuses années ?
  • Qu’est-ce qui nous empêche d’établir et d’implémenter un plan de carrière bien défini dans la Formation professionnelle ?
  • Cet état de cause ne serait-il pas lié à un manque de volonté de la part de nos dirigeants ?
  • Est-ce par amour pour le statu quo ou du moins par laxisme que l’Institut National de Formation professionnelle n’établisse pas une fois pour toutes, un plan de carrière bien défini ?

 

Voilà autant de questions qui nous préoccupent au jour le jour. Souhaitons que les responsables finissent par entendre un jour la voix des sans voix du secteur de la Formation professionnelle en Haïti !

 

 

 

Ruben Sanon, Ing. Avocat

sanonruben@yahoo.com

 

 

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