Pourquoi les Haïtiens doivent-ils rêver ?

Dormir uniquement pour se reposer ne servirait à rien, s’il s’agissait uniquement pour se reposer. Seuls les paresseux allaient pratiquement en profiter à longueur de journée, après la fatigue des nuits de sommeil.

 

Dommage pour les paresseux. Dommage surtout, pour les hommes et les femmes, les familles et les leaders qui persistent à réduire les frontières ou la fabrication du rêve à travers uniquement le sommeil. Si seulement on apprenait aux Haïtiens en particulier, que les meilleurs  et les plus  grands rêves se dessinent autant et surtout les yeux grands ouverts, en dehors du sommeil ou par les Lwa qui viennent nous les enseigner.  

 

Dans l’obligation physique et mentale de fermer les yeux, la nuit ou pendant la journée, il nous faut toujours nous préparer pour accueillir des occasions uniques et inoubliables que seuls les revers peuvent offrir, sous forme de communication intergénérationnelle et intercivilisationnelle. Pourquoi et comment, ce sont ses connaissances, ces compétences, ces savoirs et ces secrets que chaque parent, chaque jeune, ou chaque esprit averti devraient rechercher en permanence ?

 

Dans toutes les cultures du monde, y compris les traditions africaines, amérindiennes et plus particulièrement dans le Vodou, le rêve à une place importante et capitale dans la vie des individus et des institutions. Il combine à la fois le passé, le présent et le futur, comme un véritable musée, pour nous faire découvrir certaines vérités cachées ou pas assez dévoilées.À travers le langage des rêves, même en plein sommeil, certaines personnes vont se faire initier, des femmes vont tomber enceintes et d’autres vont avorter, des malades seront guéris, et des postes, privilèges et pouvoirs seront accordés. Ce n’est pas la chanteuse, initiée et écrivaine Mimerose Beaubrun qui dira le contraire dans “Nan dòmi”.  

 

Dans l’ensemble des plantations, les habitations et les résidences des propriétaires d’esclaves, c’est à travers la somme des rêves de liberté et de dignité pour une vie meilleure, et  du rêve de vengeance des hommes et des femmes qui, pendant plusieurs siècles, avaient été  réduits à l'état de choses, que ces derniers allaient finir par se réveiller dans les jours qui suivaient la cérémonie du 14 aout 1791, pour s’offrir une nouvelle réalité le 1er janvier 1804, avec le droit de rêver, d’exister et de changer le cours de l’histoire universelle.

 

Dans la matérialisation du rêve abominable, destructeur et déshumanisant de se venger des revers de la Première Guerre mondiale, Adolf Hitler, ses alliés et ses adversaires ont depuis leurs noms inscrits sur la mort de plusieurs milliers et millions de soldats et de familles civiles, des victimes innocentes notamment des Juifs,  durant la Seconde Guerre mondiale. Un passage obligé que les artisans qui rêvent du nouvel ordre mondial multipolaire tentent de nous réapprendre...

 

Dans le rêve américain qui se manifeste visiblement de la vie de  millions de familles , et visible à travers les médias, entre les success-stories, et les millions de migrants qui veulent à tout prix goûter cette pomme, il y a surtout le prix payé à l’origine par les pères fondateurs de cette nation qui avaient choisi de prioriser avant toute chose l'intérêt suprême de la nation. Ce que d’autres pauvres et petits rêveurs orphelins refusent de comprendre ou d'entendre.  

 

Derrière la matérialisation du rêve d’une vie meilleure des milliers de migrants et des familles d’origine haïtienne établies loin de leur terre natale, dans plusieurs grandes villes et des régions très éloignées dans le monde, en Amérique du Nord et du Sud, l’Europe, les Caraïbes, l’Afrique et l’Asie,  il y a également et surtout le rêve orphelin, solidaire et solitaire de ces derniers, qui ne pourront malheureusement déplacer tous leurs proches parents et amis vers d’autres cieux. Entre les revers que les familles subissent en Haïti et le rêve de réussite de la diaspora, il y a le rêve de bâtir son pays d’origine à construire !

 

Dans cette guerre des rêves qui se manifeste sur tous les plans et dans tous les domaines, pour s'institutionnaliser comme un véritable système d’exploitation et de domination, que les élites en République dominicaine maîtrisent si bien et matérialisent à la lettre, il serait préférable que les Haïtiens arrêtent de critiquer ou de se plaindre face au sort de leurs frères et soeurs, pour commencer par se réconcilier avec le rêve des Pères fondateurs, pour pouvoir mieux réinventer le rêve haïtien afin de rattraper le rêve légitime en marche des Dominicains.    

 

Duel perpétuel entre les vivants et les morts, c’est pratiquement ce qui définit le sens et l’essence de l’existence humaine. Dans la dualité entre le bien et le mal, le rêve prend pratiquement sa place dans l’ensemble des actions et des situations de collaboration et de  confrontation entre les individus, les familles, les groupes, les communautés, les institutions, les régions et les États. Chacun cherche pratiquement à définir, à défendre ou à rétablir les frontières de son rêve dans chaque domaine d'activité humaine.

 

Dommage pour ceux et celles, qui ne peuvent pas voir ou comprendre que le droit de rêver n’est à personne. Pour survivre, chacun n’a d’autre choix que de se battre corps et âme, du bec et des ongles,  jour et nuit, entre le bien et le mal, pour constituer, consolider, consacrer et faire croitre chacun de ses rêves, son rêve particulier, son rêve le plus entier.

 

Dans une famille, il faut travailler et s’investir dans la matérialisation du rêve de voir grandir ses enfants en santé, afin d’assurer la relève et le prolongement de l’arbre généalogique, pendant que les enfants parallèlement vont choisir de suivre le rêve de leurs parents, s’aligner, s’adapter, se désorienter, se dévier ou se construire de nouveaux rêves dans leur génération respective.

 

Dans une entreprise, tous les employés travaillent pour matérialiser le rêve du patron, de la société, du secteur d'activité et de l’État en général, par la rentabilité financière et la responsabilité sociale, le rayonnement sectoriel et le réseautage stratégique.  

Dans la politique pratiquement, tous les leaders s’alignent sur le discours de Martin Luther King, en affirmant qu’ils ont tous un rêve. À chaque étape, entre la conquête et l'accès au pouvoir, le rêve finit par s’affirmer, s’adapter et s’aligner dans différents agendas et des trajectoires des dirigeants actuels ou issus d’autres temps. 

Dans une célèbre chanson et animation du groupe musical Tabou Combo, on retient cette phrase: "Yè swa'm reve fatra...". Pour rappeler à qui veut l'entendre, que nos rêves sont le résultat de nos visions, nos valeurs, nos volontés, sous l'influence de nos consommations, de nos communications,  de nos fréquentations et de notre environnement. Sur le plan personnel, familial, institutionnel, collectif ou même politique, cette thèse se justifie par le rêve américain, qui s'est inspiré par les grandes puissances (africaines/pyramide, asiatique/commerciale et européenne/expansionniste) qui ont dominé l'histoire de l'humanité avant 1776.  

 

Depuis la petite enfance, en passant par les cycles intermédiaires, l’école professionnelle et les universités, au-delà des recettes de la comptabilité et des salaires du personnel et des professeurs, ce sont les élites qui s’organisent à travers les investissements consentis dans une éducation de qualité, comme un passage obligé pour ainsi manifester leur rêve d’une société meilleure, plus juste et profitable à tous et à toutes.

Dans le cas contraire, c’est pratiquement les rêves de toutes les couches de la population, les rêves de  tous les éléments et institutions qui composent la collectivité, les rêves de chaque famille et des individus qui ne trouveront plus de terres fertiles pour germer.

 

Dans le but d'éviter à ce que tout le monde crève, par manque de sommeil individuel ou  à cause d’une société qui sommeille pendant trop longtemps, il parait urgent pour certains esprits éveillés, d’investir dans l’agenda du système éducatif ou dans la programmation des médias ou sur les réseaux sociaux, en proposant au moins une journée ou une semaine d’information, de sensibilisation, de fabrication ou même de réinvention et de réanimation du rêve collectif et authentique du peuple haïtien.

 

Devant la liste de centaines de corps allongés à six pieds  sous terre qui augmente chaque jour, en présence des milliers de personnes à genoux, sous le poids de la misère, suppliant les dieux et les lwa au secours, ou se détachant de tout orgueil pour solliciter des miettes ou du pain, dans l'incapacité de solliciter des autres de l’aide avec la tête haute, tout en restant debout, on finit par comprendre que le sort actuel du peuple haïtien est la conséquence de l’avortement du rêve des Ancêtres depuis plus de deux siècles. Pour sortir dans ce labyrinthe, il nous faudra inscrire le droit de rêver grand, comme un devoir existentiel pour chaque Haïtien.   

 

Dans le cas contraire, nous allons continuer à construire le rêve des autres nations de nous avoir à leurs pieds comme esclave, ou de rêver dans le seul but de tenter de gagner aux jeux de hasard, à défaut de retrouver des trésors cachés et gardés par nos ancêtres sur lesquels un grand nombre d'Haïtiens continuent de cracher sur leur mémoire. Seuls les esprits éveillés peuvent pratiquement rêver. Seuls les esprits réveillés peuvent matérialiser leurs rêves. Et seuls les vrais esprits révolutionnaires finissent par s'inscrire dans le temps et l'histoire de l'humanité, par leur capacité à façonner l'avenir de plusieurs générations. 

 

Dominique Domerçant

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