Les activités extrascolaires peuvent-elles réduire la violence des adolescents en milieu scolaire dans les pays en développement ?

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J'étudie depuis quelques années les tenants et les aboutissants de la délinquance et de la violence, ainsi que les effets de ces problèmes sur l'accumulation de capital humain et les parades à ces comportements. Il y a trois ans, lors d’un entretien pour le podcast Probable Causation, Jen Doleac me demandait ce qui m'avait amenée à me pencher sur ces questions. Je lui avais répondu que mon intérêt pour ces sujets était né de mon expérience directe dans mon pays natal, El Salvador : j’ai vu des adolescents côtoyer le danger en permanence et pu constater comment cette situation les empêchait d'accumuler du capital humain. De nombreux éléments probants sont venus étayer mes observations personnelles. En effet, quand ces jeunes vulnérables, une fois sortis de l'école, se retrouvent dans la rue, ils ont de fortes chances de se faire recruter par des bandes, perpétuant ainsi le cercle vicieux de la violence et de la mort.

Pour traiter le problème de l'exposition ou de la participation à des comportements violents chez les jeunes, l'une des méthodes appliquées réside dans les programmes d'activités extrascolaires pour adolescents.  Ces actions, qui ont lieu dans les locaux des établissements en dehors des heures de cours, prennent la forme d’enseignements et d’activités de loisirs (sports, disciplines artistiques, encadrement d'autres jeunes, etc.). De façon générale, les études sur les effets de ces programmes font état de données recueillies dans des pays développés (voir par exemple Durlak et al., 2011 [a]). En revanche, les données sont encore rares concernant les pays en développement. En outre, elles portent sur l'amélioration des résultats scolaires plutôt que sur une modification des comportements et des aptitudes socio-affectives, alors même que ces aspects sont tout aussi, voire encore plus, importants pour des élèves vivant dans un environnement fortement marqué par la violence.

Pourquoi des programmes d'activités extrascolaires ? Parce qu'ils assurent au moins trois importantes fonctions.  Tout d'abord, les activités extrascolaires protègent les jeunes en les tenant occupés à des moments où, sans cela, ils seraient livrés à eux-mêmes et donc exposés à des risques extérieurs. Ces actions préviennent donc les agressions dont les jeunes pourraient être victimes et leurs propres comportements délinquants. En outre, lorsque ces programmes comportent un volet destiné à développer les compétences sociales et émotionnelles et à aider les élèves à maîtriser leur impulsivité, ils constituent une source alternative d'apprentissage et de développement socio-affectifs. Enfin, les adultes qui pilotent ces programmes ou qui y contribuent représentent un modèle pour les participants. S'ajoute à cela que les activités extrascolaires permettent une interaction positive entre jeunes ainsi que l'acquisition de nouvelles compétences. 

Le programme que j'ai évalué en premier a été déployé en El Salvador dans le cadre d'un partenariat avec l'ONG Glasswing International (a), principale organisation à proposer ce type d'actions en Amérique centrale. Nous avons conçu une expérience visant à examiner plusieurs questions. Premièrement, quels sont les effets des activités extrascolaires sur les comportements violents des élèves, sur leur attitude vis-à-vis de l'école et de l'instruction, et sur leurs résultats scolaires ? Deuxièmement, quels sont les rouages du contrôle émotionnel (Dinarte-Diaz et Egana del Sol, 2022 [a]) ? Troisièmement, selon un modèle d'intervention et d'expérimentation identique, en quoi la composition d'un groupe peut-elle maximiser l'efficacité du programme sur un même ensemble de résultats (Dinarte-Diaz, 2020 [a]) ? En d'autres termes, lorsque le groupe de participants se caractérise par une composition particulière (quant au degré de propension à la violence), le programme produit-il davantage d'effets ?

Afin de répondre simultanément à ces deux questions, j'ai conçu une expérience de répartition par groupes selon le critère de la violence (comparable à celle menée par Duflo, Dupas et Kremer, 2011 [a]). Dans un premier temps, j'ai classé de manière aléatoire les élèves en trois groupes :

- Groupe A, participation au programme au sein d'un groupe de pairs présentant une propension variable à la violence (groupe hétérogène),
- Groupe B, participation au programme au sein d'un groupe de pairs présentant une propension similaire à la violence (groupe homogène),
- Groupe C, groupe témoin.

Dans un second temps, j'ai réparti les élèves du groupe B selon leur propension à la violence, en deux groupes homogènes, l'un à violence élevée et l'autre à violence limitée. Afin de répondre à la première question, j'ai comparé les adolescents des groupes A et B au groupe C. Afin de répondre à la seconde question, j'ai comparé le groupe A au groupe B.

Pour conduire cette expérience, il fallait mesurer la violence. Malheureusement, et comme le constatent les chercheurs qui travaillent dans des environnements violents, il est difficile d'y recueillir des données de bonne qualité. En El Salvador, l'un des problèmes posés d'emblée par une collecte d'informations de base sur le niveau de violence résidait dans l'impossibilité de garantir la confidentialité de ces données personnelles (par exemple, au cas où les autorités locales ou les gangs contraindraient les chercheurs ou l'ONG à dévoiler des informations permettant d'identifier les enfants). Pour ne pas compromettre la réalisation de l'intervention, mais aussi et surtout la sécurité des enfants, j'ai fait porter mon estimation sur un modèle prédictif de violence à partir de données existantes et des caractéristiques sociodémographiques des participants.

Dans Dinarte-Diaz et Egana del Sol (2022) (a), nous montrons que le programme a réduit les faits d'indiscipline et autres comportements violents dans le cadre scolaire selon un écart type de 0,22 et de 0,14 respectivement. Le programme a aussi eu pour effet de réduire de 28 % l'absentéisme (ce que l'on peut considérer comme un facteur de protection). Bien que le programme n'ait pas explicitement ciblé l'apprentissage scolaire, l'amélioration de l'environnement scolaire et la réduction de l'absentéisme peuvent aussi avoir eu des effets indirects sur les notes des élèves. Nous avons effectivement découvert que les notes des participants au programme se sont améliorées selon un écart type de 0,15. L'automaticité (c'est-à-dire la probabilité de réagir à une situation de manière automatique, non réfléchie) et la maîtrise des impulsions sont les mécanismes que nous étudions ici. Des enregistrements par électroencéphalogramme sur les élèves ainsi qu'une expérience sur le terrain nous ont permis d'observer que les participants au programme étaient devenus plus calmes et avaient acquis une meilleure maîtrise de leurs émotions et de leurs comportements, par rapport à ceux du groupe témoin.

Concernant les effets sur les pairs, je montre dans Dinarte-Diaz (2020) (a) que le programme a produit de meilleurs résultats sur les adolescents d'un groupe diversifié. Fait intéressant, cela s'est vérifié non seulement pour les participants les moins violents mais aussi pour les plus violents. Ces résultats coïncident avec l'hypothèse selon laquelle les élèves de groupes hétérogènes sont exposés tant à des comportements satisfaisants, qu'ils devraient imiter, qu'à des comportements négatifs, qu'ils devraient rejeter. La possibilité de telles interactions a été moindre pour les élèves du groupe homogène. En concordance avec ces principaux résultats, je constate aussi que les élèves inclus dans des groupes homogènes présentaient un niveau de stress plus élevé que ceux placés dans un environnement hétérogène.

Dans l'ensemble, ces résultats ouvrent des perspectives prometteuses pour les politiques publiques et la recherche de solutions visant à réduire la violence dans les établissements scolaires et, de manière indirecte, à améliorer les performances scolaires.  Ils sont particulièrement utiles pour les systèmes éducatifs des pays en développement qui, s'ils manquent des ressources nécessaires pour offrir une éducation de qualité, pourraient proposer des programmes d'activités extrascolaires peu coûteux.

Bien entendu, la reproduction de ces programmes, éventuellement à plus grande échelle, soulève d'autres questions. Par exemple, quelle est leur fonction la plus importante, entre protection et apprentissage socio-émotionnel ? Quel rôle jouent les personnes qui encadrent les enfants et comment influencent-elles les effets ? Le type de programme suivi importe-t-il ? Quel type de programme est le plus approprié : une intervention légère, axée sur la psychologie, ou plus intensive ? Dans Dinarte-Diaz, Egana del Sol et Martinez (2022) (a), nous évoquons ces questions dans le contexte de l'Amérique centrale. Je communiquerai de nouvelles informations sur les résultats de nos recherches dans de futurs billets.

Ce travail a été enrichi par nos expériences sur le terrain et par l'emploi de nouveaux instruments tels que les encéphalogrammes, les jeux de tâches sur tablette, etc. Je m'étendrai plus longuement prochainement sur la façon dont nous avons développé et mis en œuvre ces éléments. Alors, à la prochaine fois !

 

 BM

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