Autour de la mémoire du secteur médical en Haïti

Des quartiers de Bel-Air à Martissant, en passant Croix-des-Bouquets, parmi plusieurs dizaines d’autres  villes du pays ne disposent que les souvenirs de quelques lieux de naissance. Chancerelles, Clinique Bon Secours, parmi d'autres adresses figurent parmi ces carrefours qui portent les traces et la mémoire de toute une génération. C’est le moment, pourquoi pas, d’organiser une journée sur les réseaux sociaux pour collecter ou actualiser  les archives de toutes sortes, les images et les fragments des souvenirs des familles et professionnels survivants haïtiens. Coup d'oeil autour de la mémoire du secteur médical haïtien, qui dispose pratiquement d’une part importante de la mémoire collective tangible, matérielle et immatérielle, comme un véritable témoin dans l'évolution et le renouvellement des familles haïtiennes.

Dans le secteur médical en particulier, à l’approche de la journée mondiale de la santé, le 7 avril 2023, c’est l’occasion idéale, dans le contexte actuel de crises multiformes  de soulever les débats sur la place de la mémoire et du patrimoine dans le secteur médical haïtien. Quelle politique publique abordant ces angles aussi importants parmi toutes les urgences et les priorités que nous connaissons tous dans le système sanitaire dans le pays ? Quels sont les documents, les archives, les souvenirs et les matériels les plus anciens racontant l’histoire de la médecine en Haïti, qu’il faudrait sauver, conserver, protéger, exposer ?  

Dans chaque branche ou spécialité de la médecine en Haïti, comme partout dans le monde, les professionnels dans toutes les catégories scientifiques, techniques, administratives, logistiques, recherches et pratiques, disposent d’un ensemble de dossiers, de documents, des images sous forme imprimée et/ou numérique qu’ils produisent ou collectent au quotidien. À la fin de chaque semaine, du mois et au fil des ans, il faudrait les classer, déclasser ou détruire certaines de ces pièces. Comment éviter certaines propagations de maladies et d'autres dangers sanitaires avec le nombre croissant de personnes qui vont recueillir toutes sortes de choses dans les déchèteries qui contiennent dans beaucoup de cas des déchets venant des laboratoires et des centres hospitaliers ? 

Derrière la mémoire administrative aussi importante et stratégique pour la sécurité de la population,  en passant par la mémoire culturelle et  institutionnelle, il manque terriblement dans les espaces publics de la majorité de nos centres hospitaliers ou des cliniques en Haïti des symboles culturels, des dates, des noms et des faits  associés à l’histoire et à l'évolution de ces institutions. Devant une plaque inscrivant l'année de création, de l’inauguration ou de réaménagement du bâtiment il serait possible d'offrir certains repères  à chaque génération !

De nombreux médecins, des infirmières et d’autres professionnels qui fréquentent en permanence des institutions sanitaires ne disposent pas toujours de souvenirs de ces espaces de travail. En Floride, l'une des plus importantes institutions médicales établies dans la ville de Boynton, (Bethesda), dispose d'un coin spécial pour informer et honorer la mémoire des fondateurs, contributeurs et collaborateurs de ce grand complexe médical. Ces informations et images placées à l'accueil offrent la possibilité de rendre hommage à ces personnes, tout en découvrant la diversité des métiers, des professionnels, des personnalités et des institutions inscrits dans ce grand projet.  

Depuis les bancs de la faculté de médecine, en passant par les années de service et de spécialisation, nombreuses sont les générations de médecins et d’autres professionnels de la santé qui se croisent, sans jamais laisser de véritables souvenirs dans la mémoire collective. Comment faire pour aménager un coin de la mémoire dans ces hauts lieux de savoir qui devraient inscrire la reconnaissance dans la liste des valeurs à cultiver ? Combien de médecins haïtiens, héritiers de leurs parents ou grands-parents médecins disposent d'un arbre généalogique ou des souvenirs publics pour affirmer cette tradition de leur famille dans leur espace de travail ?  

Difficile de parler finalement de mémoire, de patrimoine ou des archives dans le secteur médical haïtien, dans ce carrefour de la migration forcée, des contraintes professionnelles d'ordre économique et sécuritaire, et de toutes les transformations sociales et sanitaires en cours, sans prendre le temps de se référer aux modèles des musées de la Santé ou du musée de la Médecine qui existent dans plusieurs autres pays, mais pas encore en Haïti. Pourquoi  et comment parler de musée de la Santé et de la médecine dans le contexte imprévisible haïtien ?

D'abord, entendons-nous sur le principe du musée de la Médecine, qui est beaucoup plus tourné vers la représentation des expositions et des animations autour de l’histoire des institutions, des inventions, des interventions, des installations, des innovations et des interactions scientifiques, cliniques, pratiques entre autres. Ces musées présentent surtout les relations entre les professionnels de la santé et les patients lors des interventions, les maladies et les réponses apportées au fil des ans ou des siècles, tout en utilisant l’espace-temps d’un pays, les régions du monde, une époque particulière liée à l'évolution de la médecine comme repère.

Durant les derniers voyages et visites de musées de la Médecine explorés en Europe, en particulier à Paris et Bruxelles, ces recherches m'ont offert l’occasion de mesurer les dimensions techniques, scientifiques, culturelles et esthétiques de la médecine. De manière objective et pédagogique, la mémoire des maladies qui se sont succédé dans les pays, autant que la présentation des interventions, des équipements ou des symptômes sont autant de sujets qui permettent de comprendre l'évolution de ce champ. Le musée nous laisse voir des représentations presque réelles des corps écorchés, des membres découpés...pour mieux apprécier l'évolution des métiers et des spécialisations.

D'autres espaces de mémoire dans le secteur médical, en dehors des musées, ou des monuments, et sans oublier les tableaux et les sculptures  placés dans les jardins ou à l’entrée des centres hospitaliers participent de façon active dans ce mariage réussi entre l’art et la santé. Quelle place occupent les œuvres d’art dans l'aménagement des bâtiments destinés à fournir des services et des soins médicaux aux Haïtiens entre autres ? Combien de monuments sont déjà érigés en l’honneur des plus célèbres médecins haïtiens comme les victimes et les martyrs du système sanitaire haïtien ? Quelles sont les principales représentations esthétiques dans l’art haïtien que l’on retrouve dans les chambres des hôpitaux, qui accueillent les malades ?  

Différent d’un musée de la Médecine, le musée de la Santé est beaucoup plus destiné vers l'éducation de la famille, des populations, des visiteurs, des publics entre autres. Les expositions ne racontent pas l’histoire et l'évolution des activités scientifiques. Elles invitent surtout les visiteurs, notamment les enfants, les jeunes, les adolescents, les parents et d’autres personnes à une meilleure connaissance sur les caractéristiques et la prévention d’un ensemble de maladies. Beaucoup plus pédagogique, avec un vocabulaire plus accessible au plus grand nombre et des images moins choquantes, mais plus inspirantes invitant à pratiquer et à reproduire les meilleurs comportements responsables pour se protéger, le musée de la Santé informe, éduque, sensibilise, responsabilise et socialise le public.

Dans le cas d'Haïti, dans ce contexte de l'année du Patrimoine en 2023, la poursuite de la promotion des monuments et des musées, en partant du format virtuel, pour une gestion plus intelligente et valorisante de la mémoire institutionnelle a toute sa raison d'être. En particulier dans le cas du  secteur de la Médecine et de la Santé, l'aménagement des espaces de mémoire, de mémorial ou de galerie des souvenirs déjà existants est un grand pas franchi dans le bon sens, en matière de chantiers culturels dans le secteur médical. 

D'autres activités innovantes, culturelles et durables pour sauvegarder la mémoire institutionnelle du secteur médical haïtien,  au niveau de la constitution d'une première collection d'objets pour illustrer l'histoire et l'évolution du secteur médical en Haïti devraient prendre forme dans un proche avenir.  Il nous faut organiser des journées de sensibilisation tant des professionnelles que des familles sur la gestion responsable des archives médicales. En attendant d'exposer certains des plus anciens équipements, matériels, etc., que n'utilisent presque plus les nouvelles générations de médecins évoluant en Haïti. 

Dans cette culture de la mémoire qu'il faudrait ajouter dans l'agenda des médecins en Haïti, la valorisation des ressources humaines devra passer en premier lieu. Il nous faut un monument, un symbole, un mémorial pour honorer les professionnels victimes des violences de toutes sortes, assassinés, disparus et oubliés dans ce c pays de plus en plus impossible. Face à la migration vers d'autres terres d'accueil, et la reconversion professionnelle d'un grand nombre de professionnels de la santé, formé en majorité dans les facultés de médecine et de pharmacie, et les écoles d'infirmières en Haïti, même après des années de services fournis à la population, aux familles et à certaines communautés vulnérables, la promotion de la culture de la mémoire dans ce secteur représente l'unique ticket de reconnaissance après tant de sacrifices durant toute une vie, et face au vide d'espoir autour.   

Défendre la mémoire du secteur médical haïtien, c’est aussi inscrire dans les futures pages qui seront écrites sur l’histoire de la santé en Haïti, la présence active des médecins cubains en Haïti, en dehors des autres professionnels originaires d’autres pays, qui contribuent au développement du secteur de la santé  et à l’amélioration du bien-être de la population en Haïti. Comment ne pas citer le nom de feu Dr Paul Farmer ?  Celui qui a grandement marqué et influencé l’histoire de la santé en Haïti au cours des trois dernières décennies au moins. Quels sont les autres noms des acteurs du secteur médical haïtien qu’il faudrait ajouter dans la galerie d’honneur des grandes figures immortelle de la médecine dans ce prochain musée de la Médecine ?    

Discuter autour de la mémoire des institutions  sanitaires et des activités médicales en Haïti offre l'occasion d'ouvrir  une fenêtre, qui permettrait ainsi le rapprochement entre des acteurs et des institutions du système sanitaire  avec des professionnels de la culture, du patrimoine, de la conservation, de la muséologie  et des arts. Ces derniers, à travers leurs talents et leurs spécialisations, se confirment parmi les métiers indispensables et incontournables dans la gestion des collections, dans la préparation des expositions, dans la conception, la communication valorisante des différents aspects et objets qui composent  la mémoire des activités et des institutions relatives au secteur de la santé, dans le domaine de la médecine scientifique et traditionnelle en Haïti. 

 

Dominique Domerçant  

LAISSEZ UN COMMENTAIRE

0 COMMENTAIRES