Rencontre

« Je veux apporter ma petite pierre à la construction d’une société plus juste, tournée vers la science », déclare l’ingénieur haïtien Rénaldo Sauveur

Renaldo Sauveur est docteur ès sciences de l’ingénieur, spécialiste en géophysique. Né à Petite Rivière de l’Artibonite en 1979, il a fait ses études de génie civil à la Faculté des Sciences de l’Université d’État d’Haïti de 1999 à 2004. Ensuite il a travaillé comme ingénieur civil dans un bureau d’études à Port-au-Prince. En 2008, il décroche une maîtrise en géomatique (section construction et aménagement) à l’École spéciale des travaux publics et du bâtiment (ESTP) à Paris (France) grâce à une bourse du Centre national de l’information géospatiale (CNIGS) d’Haïti. Il travaillera ensuite pendant environ dix ans (2009-2019) au sein de cette institution, d’abord comme consultant en géomatique puis en tant que chef de service en géodésie. À travers le CNIGS et la Faculté des Sciences de l’Université d’État d’Haïti, il collabore avec l’Université du Luxembourg depuis 2016 dans le domaine relatif aux mesures gravimétriques en Haïti. En 2018, il postule pour une position de doctorat en Géophysiques et obtient un contrat de travail en tant que chercheur doctorant à l’Université du Luxembourg. Depuis février 2019, il est au Luxembourg où il vient de soutenir sa thèse de doctorat en Sciences de l’ingénieur. Sauveur compte rentrer dans son pays dès que la situation redeviendra normale afin qu’il puisse « apporter sa petite pierre à la construction d’une société juste pour tous et tournée vers la science ». Surtout qu’en Haïti, comme Rénaldo Sauveur le dira lui-même, les compatriotes ayant fait ces études spécifiques se comptent « sur les doigts d’une main ». Dialogue avec le jeune scientifique.

Le National : Qu’est-ce qui t’a poussé à entreprendre des études d’ingénieur ?

Renaldo Sauveur : Très jeune j’étais attiré par le métier d’ingénieur, car j’ai trouvé que c’est un métier passionnant et pragmatique.

Le National : Haïti est un pays qui manque tant de scientifiques...

Renaldo Sauveur : Justement. Mon but est de contribuer à faire comprendre à la société haïtienne qu’il est temps de prendre le virage de la science comme socle afin de parvenir au développement du pays.

Le National : Notre pays souffre d’un problème d’eau. En tant que spécialiste, comment vois-tu le problème de l’eau en Haïti ?

Renaldo Sauveur : Actuellement en Haïti, le problème de l'eau se pose à plusieurs niveaux. Il manque une vision globale de la quantité et de la disponibilité de l'eau sur le territoire. Les observations de la variation et de la quantification de l'eau à l'échelle nationale sont limitées. Lorsque le problème de la quantité et de la disponibilité de l'eau ne se pose pas, se pose le problème de la qualité qui est crucial. Parfois, le problème est aussi lié aux infrastructures de base nécessaires pour distribuer l'eau à la population, ce qui entraîne un manque d'accès à l'eau que ce soit pour la consommation, l’industrie ou l’agriculture.

Le National : Qu’en est-il de la gestion de l’eau ?

Renaldo Sauveur : Il y a un manque de politique de gestion des ressources en eau. Pour un pays qui se revendique souvent essentiellement agricole, l'eau est un facteur économique clé. La gestion de l’eau demande des méthodes et des outils. On a besoin d’une nouvelle approche capable de fournir une vue holistique de la disponibilité de l’eau, ce que les méthodes hydrologiques traditionnelles ne donnent pas. Dans le cadre de mes études, l’approche montre que le réseau GNSS (Global Navigation Satellite System) peut être utilisé comme outil pour quantifier et monitorer les variations du stockage des eaux terrestres (eau sur le sol, dans le sol et sous le sol) sur l’île, tout en contribuant à combler les manques de données hydrologiques. La thèse de doctorat que je viens de soutenir valorise dans une certaine mesure  l’investissement de l’État haïtien à travers le CNIGS et le Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire (CIAT) qui a mis en place en 2017 un réseau de 16 stations GNSS au pays afin de soutenir la reforme cadastrale.

Ma thèse peut être un exemple pour les jeunes qui veulent faire des études en géosciences axées sur les données géodésiques. Elle fait comprendre que si nous voulons faire de la science dans le pays, il nous faut des données. Nous devons continuer d’installer des instruments de mesure de toutes sortes à travers tout le pays, comme le réseau GNSS du CNIGS, pour mesurer le pouls de notre environnement. Maintenir ces instruments en permanence afin d’avoir des séries longues et continues de données utiles à la science est primordial, sachant que la maintenance est loin d’être notre force.

Le National : Un domaine donc fort utile dans le cadre d’un projet de développement.

Renaldo Sauveur : Absolument ! les agences de gestion des ressources en eau doivent penser à prendre en compte les capacités des nouvelles technologies comme le GNSS pour compléter les méthodes de mesures hydrologiques traditionnelles.

Le National : Parlons de ta thèse maintenant ! C’est quoi l’hydrogéodésie ? Comment le définirais-tu pour nos lecteurs ?

Renaldo Sauveur : C’est un nouveau champ de connaissance des géosciences qui exploite les observations géodésiques pour quantifier la disponibilité, la distribution et le mouvement du stockage des eaux terrestres.

Le National : Dans ton étude, tu évoques la déformation de la croûte terrestre due à la surcharge hydrologique sur l'île d'Haïti. Parle-nous-en de manière plus concrète !

Renaldo Sauveur : La surface de la Terre bouge en permanence par exemple à cause du mouvement des plaques tectoniques. La surface de la Terre monte et descend en permanence aussi à cause de la variation de la masse d’eau à sa surface liée au changement de saison. Vous pouvez imaginer la terre comme un matelas. C’est élastique, c’est-à-dire quand une masse est appliquée, elle descend et quand cette masse est enlevée elle remonte. La déformation verticale de la croûte terrestre de l’île due à la surcharge hydrologique est de l’ordre millimétrique. Dans le cadre de ma thèse, j’ai démontré que ces déformations sont mesurables par les stations GNSS qui sont installées sur l’île. J’ai utilisé ces déformations observées par les stations GNSS pour montrer que l’on peut les exploiter pour estimer les variations du stockage des eaux terrestres de l’île.

Le National : En quoi consiste la collocation des moindres carrés comme moyen naturel, dis-tu, pour « stabiliser un problème inverse mal posé » ? Que veux-tu dire très concrètement ?

Rénaldo Sauveur : C’est purement mathématique ! On peut dire que la collocation des moindres carrés est une méthode statistique basée sur la notion de covariance qui peut être utilisée afin de résoudre un problème inverse mal posé. Un problème inverse mal posé, c’est un problème dont les seules observations ne suffisent pas à déterminer parfaitement tous les paramètres du modèle. Il est donc nécessaire d’ajouter des contraintes qui permettent de réduire l’espace des possibilités de façon à aboutir à une solution unique.

Le National : Tu as aussi montré que « pour l'île d'Haïti, le champ proche peut s'étendre jusqu'à 24° autour d'une station GNSS ». Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour nous, les profanes ?

Rénaldo Sauveur : Une station GNSS observe la somme des déplacements induits par les masses appliquées sur toute la terre. Les masses qui agissent dans un rayon proche de la station induit plus de déplacements que les masses lointaines, au point que l’on peut considérer comme négligeable la contribution des masses lointaines. L’idée ici est de trouver l’étendue de ce rayon proche autour d’une station GNSS qui a une contribution substantielle dans le déplacement vertical de la station. C’est ainsi que j’arrive à montrer que cette zone s’étend à environ 24° autour d’une station GNSS dans le cas d’une masse due à l’hydrologie. Concrètement cela veut dire que quand il pleut à Cuba, Porto Rico, Jamaïque ou en Floride, cela peut faire bouger verticalement une station GNSS sur l’île d’Haïti.

Le National : L’effet papillon en quelque sorte... Deuxièmement, tu as aussi prouvé que « le signal hydrologique fait partie du déplacement vertical observé par les stations GNSS de l'île ». Là aussi c’est du jargon. Peux-tu être plus clair sans dénaturer ton propos ?

Renaldo Sauveur : Quand une station GNSS sur l’île se déplace verticalement, il y a plusieurs raisons qui peuvent expliquer ce déplacement, par exemple le mouvement des plaques tectoniques ou les tremblements de terre. Mais dans le cadre de ma thèse, j’ai démontré que la variation du stockage des eaux terrestres causent aussi ces déplacements verticaux.

Le National Enfin, tu as démontré que « la méthode de collocation des moindres carrés peut être utilisée comme méthode pour estimer les variations de stockage des eaux terrestres dans une zone où existe un réseau de stations GNSS dense ». Qu’entends-tu par-là ? Haïti dans tout ça ?

Renaldo Sauveur : Le problème du besoin en eau n’est pas un problème spécifique à Haïti. Après l’or et le pétrole, l’eau appelée l’or bleu est la ressource la plus convoitée de la planète. Connaître les variations du stockage des eaux terrestres afin de répondre aux besoins en eau est commun à tous les pays du monde. Le but ce n’est pas de résoudre à priori un problème haïtien, mais à une question scientifique que plusieurs centres de recherche à travers le monde se posent. Comme Haïti est mon pays, j’ai utilisé Haïti comme cas d’étude, mais la méthode a été étudiée afin qu’elle soit applicable à n’importe quelle région du monde où un réseau de stations GNSS dense existe.

Le National : Maintenant, un sujet qui n’a peut-être rien à voir avec ton domaine. On parle beaucoup des énormes richesses de notre sous-sol. Qu’en sais-tu ? Mythe ou réalité ?

Renaldo Sauveur : Je ne suis pas un spécialiste des ressources minières. Je ne sais pas si c’est un mythe ou une réalité. Mais au XXIe siècle, pour répondre à ces questions, on doit laisser de côté les vacarmes de suppositions et laisser parler les données. Seules des prospections sérieuses pourraient confirmer ou infirmer tout ce qui se dit dans les médias. À noter qu’on peut toujours avoir des richesses dans le sous-sol sans être capables de les exploiter, ce qui arrive quand la quantité existante ne peut couvrir les coûts d’exploitation. Sans oublier les éventuels dommages collatéraux sur les humains et l’environnement de ces exploitations.

Le National :  Si jamais tu dois rentrer en Haïti, dans quel domaine vas-tu travailler ?

Renaldo Sauveur :  Je vais, bien sûr, poursuivre ma collaboration avec le CNIGS et l’Université d’État d’Haïti en matière de recherche en géosciences.

Le National : Merci Rénaldo Sauveur pour cet entretien et bonne chance !

 

Propos recueillis par Huguette Hérard

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