Autour de l’engagement social de Mizik Mizik !

Dans les couloirs du prochain musée de la Musique haïtienne, il sera possible de découvrir l’une des premières expositions sur l’engagement social dans les registres du Compas direct, à travers les plus importantes formations musicales issues des différentes générations. Mizik Mizik figure parmi les groupes qui proposent une variété de titres, de thématiques et des refrains qui pourraient illustrer bien des concours de textes, de dissertation, et des sciences sociales pour les examens officiels. Quelles seraient les réponses d’un écolier ou d’un universitaire face à ces questions:  « Si la vi a dekouraje w ; Bagay yo vi n di pou ou ;  La fanmi dekouraje ; Lakay pa gen lamanjay, ; Sa pou n fè ? »

 

Danser et chanter ? Crier sur tous les toits, se consoler sur les épaules d’un proche, à défaut de se recueillir devant la dépouille d’un proche victime ! Plus que jamais, il faut de temps en temps revisiter les répertoires des meilleures formations Compas, moins violentes qu’un grand nombre de groupe Rap et plus présentes sur les scènes et les ondes que la musique racine. Ceci, pour trouver la semence nécessaire pour ressusciter l’âme populaire et l’amour fraternel entre les familles haïtiennes. « Pa viv an solo, ni bay kou nan do ! ».  

 

Dans le contexte de déshumanisation accélérée de la vie et du délabrement de la culture et des loisirs en Haïti, en particulier dans la République de Port-au-Prince, qui obligent la majorité des meilleurs talents, des groupes et des formations musicales à se tourner vers d’autres cieux pour survivre, un tel constat nous pousse à inventorier ce qui reste dans le patrimoine musical haïtien, parmi les compositions les plus  consistantes et utiles pouvant éduquer la population autour d’une prise de conscience et de l’engagement social en Haïti. « Lèw konn lista w, sa ka ede w konnen kiyès ou ye, ki kote w soti ? ». 

 

Drame collectif rapporté, renforcé et ruminé par ce peuple piégé par son histoire, le temps, l’action et l’espace représentent les trois principaux champs qui définissent ce cocktail musical engagé, signé Mizik Mizik. Sans s’attarder sur l’ordre chronologique de ces créations, encore moins des albums retenus, je vous invite à découvrir la somme des messages et des engagements traduits dans la sélection des sept titres et refrains suivants: « Yon jou va rive », « Et si enfin », « Sove lakay », « Listwa », « Blakawout », « Mal », « Sa pou’n fè ».

 

Détournées des registres des célèbres chansons à succès comme : “Lè n ap fè lanmou”, Webert », ou les meringues qui portent les marques de la bande de Fabrice Rouzier et de Clément (Keke) Belizaire, ces compositions engagées retenues  rappellent des faits historiques, rapportent des cris de désespoir, réveillent l’intelligence collective et rallument la flamme de la conscience, tout en renforçant l’espoir des jours meilleurs et du vivre ensemble dans les coeurs de tous les Haïtiens. « Eske nou mande, ki sa nou panse... ? ». 

 

Du choix des sujets, des angles, des mots et des styles combinés harmonieusement, pour faire passer ces messages de solidarité et d’éveil populaire pas toujours bien perçus dans les milieux confortables, pourtant profitant si bien de cet enfer haïtien. Avec ces compositions retenues, on pourrait confirmer que le groupe Mizik Mizk s’inscrit parmi quelques autres formations, dans la liste des institutions patrimoniales ou entreprises culturelles, qui confirment leur engagement solidaire envers la population, durant les dernières décennies.      

De la voix du célèbre chanteur et interprète Emmanuel Obas, nous puisons ces paroles accompagnées d’une émotion profonde pour nous rappeler: « Yon jou va rive ».  C’est bel et bien une chanson qui invite à la raison, la solidarité, au respect, à la patience, et à l’anticipation de l’incontournable retour ou du renouvellement du cycle de vie.  « Pa farouche ti Paul, se sel sipò sosyete genyen pou'l avanse ! »,  « Pa krabinen doudou, pa chire po tanbou m. Yon vandredi 7 fevriye, sonje jan yo chante », sont des paroles qui resteront gravées dans la mémoire des survivants de la génération 86. Le chanteur persiste et signe: « Menm lèw trete l de kominis, Meriken pa ba w plis…! ». Plus qu’une simple chanson-témoin, cette composition engagée, la première du genre pour le groupe, rapporte de sombres  faits tout en renouvelant la flamme de l’espoir un jour. 

 

Dans l’album « De Gèr/ De Guerre », on retrouve cette balade aux couleurs aussi bien romantiques que patriotiques, portée par un duo interprétant qui invite  les mélomanes particulièrement issus des élites, sachant que la chanson est en français, à s’investir dans la culture du vivre ensemble. « Et si enfin », on apprenait à vivre ensemble ! » N’est-ce pas le grand défi des Haïtiens ? Le grand fardeau difficile à soulever depuis plusieurs générations. « Et si enfin, on conjuguait le verbe aimer, tout simplement au temps présent, sans imparfait. Pour se comprendre, mieux se donner… ! »

 

« Divizyon pa jan’m bay, se plis mizè l pote ». Dans son sommeil éternel depuis quelques années, la voix du chanteur Eric Charles reste bien vivante dans la plupart des pièces  sélectionnées dans cette recherche. Avec le titre « Sove lakay », une chanson à la fois très inspirante, entrainante et dansante, l’artiste décrit les origines du malheur du malheur des Haïtiens tout en proposant la lumière, l’unité, et un retour au pays pour le reconstruire parmi les pistes de solutions. « Lakay: se peyi manman’n, Lakay: se peyi papa’n, si’n kraze’l, kote nou prale ? Amerika p ap janm resevwa n, Lewòp ap toujou imilye n, rappellent l’artiste engagé. Si seulement les compositeurs et arrangeurs de ce morceau savaient que quelques années plus tard qu’une telle invitation, pour un nombre important des Haïtiens, aurait été suicidaire ?

 

Dans une sorte d’avertissement sur fond historique, civique, pédagogique ou même karmique, la chanson “Listwa”, répond à pratiquement cinq grands objectifs en explorant soigneusement cette pièce artistique, poétique et musicale. Elle interpelle, elle éduque, elle conscientise, elle rend hommage aux plus célèbres des historiens haïtiens disparus, dont Thomas Madiou, Roger Gaillard et Jean Claude Dorsainvil, et sans oublier, elle fait aussi bien danser paradoxalement. Comme un cri de coeur, porté par le choeur dans la mélodie qui illustre cette chanson, on sent une élévation et une profondeur dans la qualité du sujet: “Ou gen lè panse w ap viv pou toutan”… »Si wap kraze dvize pou w rejne”, “On pèp inosan ki de bra pandye, sonje gen yon je kap gade’w”. « Kisa’w ap fè pou jijman dènye ? “, ‘Listwa va jije'n !’. ‘Pa pale nan zafè moun yo...!’, tout en rappelant: ‘Nou tout ki la, gon misyon pou ranpli, fòw fèl pou listwa pa jije !’. 

 

Dans ce désespoir persistant, teinté du noir qui nous habite en dehors de la pleine lune, de passage dans grand nombre de quartiers et des villes du pays, depuis plusieurs décennies, et qui offre malgré tout, toutes les opportunités possibles et inimaginables, la chanson  ‘Blakawout’, expose tout la culture développée autour de ce phénomène multidimensionnel. ‘San kem pa nan politik, mwen kwè'm gen dwa pou’m pale.’. ‘Gen yon seri de bagay, kape fèn pase yon, se pou'm di laverite, paskem gen dwa pou’m egziste.’.  Du début jusqu’à la fin, cette pièce majeure, très métaphorique et engagée des années 2000, châtie les moeurs en riant, en chantant, en dansant au rythme du troubadour.

 

Du mal beaucoup moins récent et plus choquant, que la dernière alerte émotionnelle en date, le ‘Mal’ signé par le groupe Mizik Mizik s’impose comme l’un des plus grands cris lancés par ces musiciens sensibilisés par ce traumatisme devenu un terrorisme national. ‘Yo ban mwen kou a fè mwen mal !’, ou la douleur persistante, plus de dix ans après, dans la vie de nombreuses communautés, incluants les proches des musiciens victimes des industries de la déshumanisation et de la décapitalisation des familles dans le pays. Une chanson et une vidéo qui parlent, pour rendre  hommage aux victimes et leurs proches, face à la criminalité, au  banditisme et aux enlèvements en Haïti, tout en invitant à la réplique pour renverser la peur. “Lòw fini tiye, fòw prepare’w, pou wou kriye”, “La loi de la nature, zanmi…(Pause) !”.

 

Détresse totale, désespoir familial, désarroi social,  désastre naturel, tels sont les scènes qui animent le sombre décor, de la septième pièce retenue autour de l’engagement du groupe Mizik Mizik, titrée: ”Sa pou n fè? ». Une bonne occasion pour saluer les principaux compositeurs, arrangeurs et musiciens du groupe, et surtout ces mains invisibles qui collectent assez de mots pour traduire les maux séculaires de tout un peuple.  Entre les constats et le questionnement, la voix grave du chanteur principal feu Eric Charles, a bien été complétée dans cette composition interpellatrice, par celles de Fabrice Rouzier et Clément (Keke) Bélizaire, pour porter les cris désespérés  du peuple, interpellant presque toute les forces invisibles.

 

Dieu et les Lwa Vodou, parmi les seuls recours de l’Haïtienordinaire, les compositeurs de la célèbre chanson titrée « Ayizan », ne sont pas à leurs premiers coups. Nombreuses sont les créations de Mizik Mizik qui mettent en valeur les  traditions ancestrales et les couleurs du syncrétisme chez le peuple d’Haïti. « Simbi nan dlo kote ou ye ? Banm fòs pou’m naje : Jigoro kano kote ou ye ? Vin mare senti mwen ; Sen Michel akanj kote ou ye ? Bann zèl pou’m vole, Papa bondye kote ou ye ?

 

Derrière les activités philanthropiques, humanitaires ou communautaires au sein desquelles, les artistes et musiciens pourraient s’inscrire à titre individuel et collectif, jusqu’à participer à des activités de collecte ou de levée de fonds, en dehors des prestations lors des manifestations caritatives, de sensibilisation, en l’honneur à des personnalités, des institutions, ou en hommage à des victimes des catastrophes naturelles et humaines, comme dans le cas actuel en Haïti, il faudra toujours prendre le temps de mesurer à l’aune de la solidarité affirmative et de la fraternité sincère,  la portée de la contribution  de certaines compositions musicales engagées, inédites et intemporelles.

 

Défendre les droits à la vie, au respect  et au bien-être du plus grand nombre, tout en figurant parmi les catégories sociales privilégiées du pays, est un acte courageux à saluer chez les rares artistes et musiciens qui disposent encore d’un coeur et d’une certaine empathie dans le pays, qui laissent souvent plus de place à la facilité et au piétinement des valeurs civiques, citoyennes et solidaires. En sachant que la grande majorité de la population ne s’accroche pas aux livres, aux pièces de théâtre, ou du cinéma local qui n’existe presque plus, pour se former, la musique demeure pratiquement l’unique outil et l’un des derniers culturels instruments pour éduquer et sensibiliser les masses, pour réveiller et responsabiliser les élites, face à leur engagement social et politique  envers l’avenir et l’histoire.   

 

 Dominique Domercant

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