Agriculture et gangs armés : Cris de détresse de la vallée de l’Artibonite

Déjà exposée aux effets des changements climatiques, aujourd’hui l’agriculture dans la vallée de l’Artibonite se trouve piégée par l’action des groupes armés occupant cette région. La prolifération des gangs armés est un facteur limitant, même critique, qui empêche toute croissance et tout investissement dans le secteur agricole. À titre de rappel, l’agriculture dans la vallée de l’Artibonite est caractérisée déjà par une multitude de facteurs contraignants favorisant ainsi une exploitation non raisonnée de la potentialité agricole de cette région. Avec autant de défis, la principale zone rizicole haïtienne est à sa décrépitude et les pertes d’emploi et de revenu à la base de ce constat sont en constante augmentation. Il en résulte alors une aggravation de l'insécurité alimentaire déjà chronique dans la région. Dans ce contexte, l’agriculture haïtienne déjà incapable de répondre aux besoins alimentaires de base de la population [seulement 45% environ des produits alimentaires de consommation du pays sont produits sur place alors que 55% environ de l’essentiel de l’alimentation nationale est donc assurée par des produits étrangers importés (FAO, 2020)] sera encore plus vulnérable.

La vallée de l’Artibonite, avec ses 28 000 ha irrigués, représente la plus grande zone rizicole d’Haïti, pour une production potentielle de 100 000 TM ce qui ne représente que 20% de la consommation locale (500 000 TM). De plus, la production agricole de la vallée de l’Artibonite est très diversifiée avec la culture des légumes comme le kalalou (gombo), la tomate, le poivron, le poireau et l’oignon durant la saison sèche et qui sont des cultures de rentes pour les agriculteurs de la vallée. Tout ceci explique le poids économique et nutritionnel de la vallée de l’Artibonite pour les agriculteurs et pour tout le pays. La vulnérabilité de cette région est devenue de plus en plus importante avec la diminution du débit des rivières et la récurrence des périodes de sécheresse prolongées dues aux changements climatiques, la non-réhabilitation des canaux d’irrigation, mais aussi le fléau des gangs armés qui ont le contrôle absolu de l’eau d’irrigation et qui négocient le droit de l’arrosage avec les agriculteurs et aussi le partage des produits récoltés.

La vallée de l’Artibonite a aussi une portée électorale considérable. Avec ses 9 communes (Saint Marc, Dessalines, Desdunes, Grande Saline, Petite Rivière de l’Artibonite, l’Estère, la Chapelle, Verrettes et Liancourt), en 2015, elle représente 57 % de l’électorat du département ce qui fait d’elle un atout stratégique pour tout candidat voulant remporter les élections au niveau départemental. En ce sens, l’utilisation des hommes armés est l’un des moyens pour s’approprier de cet électorat au détriment du bien-être de la population, mais aussi pour maintenir leur force politique dans la région. Ainsi, ces hommes armés sont devenus de plus en plus gourmands ne cessent pas de s’approprier de territoires où ils violent, brûlent et tuent les membres de la population en toute impunité. Avec autant d’indifférence de l’état central, les conditions de vie et de mobilité des gens dans la vallée sont devenues de plus en plus pénibles. Tous, on se demande pourquoi cet abandon ? À qui est profitable cette situation ?

Les conséquences directes de l’augmentation incessante de l’insécurité ne se font plus attendre. Déjà exposées à l’insécurité alimentaire, les crises de carburants et les activités importantes des gangs armés dans la vallée de l’Artibonite ne font qu’accélérer le déclin des conditions d’existences des habitants. Selon le dernier rapport de février 2023 de la Coordination nationale de la Sécurité alimentaire (CNSA), 50% des ménages haïtiens ont besoin d’une assistance alimentaire urgente, car le taux d’insécurité alimentaire (IPC phase 3 et plus) est passé de 44% en 2022 à 48% au début de l’année 2023. Avec autant de contraintes et l’abandon des commissariats par les policiers en service dans la vallée de l’Artibonite, la fascination des agriculteurs pour l’abandon de l’agriculture en faveur de la migration vers d’autres pays se fait de plus en plus sentir. Ces conditions atroces ne favorisent pas de maintenir ou d’augmenter les maigres investissements dans le secteur agricole, mais au contraire elles encouragent les principaux acteurs du secteur agricole à fuir la vallée. En ce sens, les conditions de vie des ménages de la vallée de l’Artibonite sont en chute libre et cela risque d’être plus contraignant si aucune décision drastique n’est prise pour changer cette tendance.

 

Evens JOSEPH Ing.-Agr

(e.joseph@uniq.edu)

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