Les acteurs de l’industrie de l’insécurité en Haïti

Tout particulièrement depuis 2018, le peuple haïtien fait face à une crise sécuritaire dramatique marquée quotidiennement par de nombreux cas de kidnapping, l’emprise spectaculaire des gangs armés, le massacre des populations civiles, le viol et l'accaparement du pouvoir politique par des nonchalants inimaginables.

Chaque jour, nous constatons avec indignation comment des gangs très armés partagent le pays entre eux au détriment de notre vie et sans la moindre crainte. Ils tuent des policiers, assassinent des civils sans défense et prennent les principales zones économiques du pays en otage. Le charbon ardent des multiples détonations d’armes automatiques de ces criminels dévore nos chairs. Le sang coule à flots en Haïti et le quotidien de chaque Haïtienne et Haïtien est fait de souffrance, de peur et de traumatisme. Vivre devient un fardeau et la vie tout court est déprimante dans le pays. Mais, quels sont les acteurs qui parviennent à activer, mobiliser et entretenir cette hécatombe ? Quelles sont leurs principales caractéristiques et les relations qui existent entre eux ?

L'industrie de l’insécurité en Haïti compte quatre (4) types d’acteurs : les monstres comportementalisés, les bâtisseurs de cimetière social, les mastodontes cadavériques et les hypocrites racistes et haineux.

Les tueurs à gages, les violeurs sans scrupule et les kidnappeurs sans foi ni loi qui prennent le pays en otage ne sont ni des sauvages ni des animaux. Ce sont des monstres auxquels deux principaux comportements ont été injectés : la vie facile et la convoitise démesurée. D'où le terme de monstre comportementalisé. La majorité de ces nuisibles semblent âgés de moins de 35 ans. La plupart d'entre eux sont très friands du désir de paraître et de montrer qu’ils sont puissants. C’est d’ailleurs pour combler cette avidité qu’ils exhibent constamment sur les réseaux sociaux leur arsenal effrayant constitué notamment d’armes de gros calibre. Une frange de l’opinion publique évoque assez souvent la misère et l’injustice sociale qui sévissent dans le pays comme principale cause de la prolifération de ces inhumains. Pour nous autres, cet argument ne tient pas debout. Car, si tel était le cas, personne ne pourrait se rendre dans les campagnes haïtiennes où vivent des millions de laissés pour contre qui, pourtant, placent l’existence de l’autre au centre de leurs différentes actions.

Ces monstres sont fabriqués et comportementalisés pour faire les plus sales boulots de l'économie criminelle : assassiner les compétiteurs économiques et les adversaires politiques, brûler les entreprises concurrentes et massacrer les contestataires. Toutefois, la puissance dont ils font montre ces derniers temps indique, selon toute vraisemblance, qu’ils arrivent à transcender les acteurs qui les ont façonnés. Il est clair qu’ils parviennent à se débarrasser de la dépendance exclusive de ces derniers pour leurs approvisionnements en matériel létal. Les millions qu’ils tirent du kidnapping, du vol et de l’extorsion leur garantissent une large autonomie financière. Ces crapules arrivent ainsi à développer des circuits alternatifs qui les approvisionnent abondamment en armes et en munitions.

Les bâtisseurs de cimetière social regroupent les trafiquants et distributeurs d’armes et de munitions, les entrepreneurs du chaos, les cadavres politiques, les fonctionnaires corrompus et les intellectuels lèche-culs et dépourvus d'intégrité. Ce sont des acteurs très dangereux. La plupart d’entre eux cherchent toujours à imposer des idées malsaines pour servir de principe à l’ordre social. Par exemple, barikad se avni w ; diplom pa itil peyi a anyen ; etc. Certains de ces acteurs sont issus de la matrice des classes opprimées et dépossédantes. Cela les avantage parfois et ils recourent souvent à des discours démagogiques et fondés sur la haine pour séduire et attirer l’attention.

Ces acteurs sont le fer de lance de l’instauration du banditisme dans le pays. On les retrouve dans tous les secteurs de la vie nationale : l'administration publique, les églises, les organisations humanitaires et d’aide au développement, les organisations politiques, etc. Ils sont les chiens de garde de l’économie criminelle. Ils tirent leurs ressources de la dilapidation des caisses de l’État, du trafic de passeports, de visas, d’armes et de munitions ainsi que de plusieurs autres activités illicites, comme la marchandisation de la justice, les pots-de-vin et la surfacturation. Certains d’entre eux sont des experts incontestables dans l’art de se donner bonne conscience.

Les mastodontes cadavériques constituent le cœur du réacteur de l’industrie de l’insécurité en Haïti. Ce groupe comprend essentiellement les grands manitous de l’économie criminelle. Ils sont dépourvus de conscience humaine. Ces acteurs sont des oppresseurs très violents et cruels. La prolifération des gangs et les graves violences qui anéantissent le pays ne sont que l’expression de leur cynisme.

Les mastodontes cadavériques sont l’instaurateur de l’État arbitraire en Haïti. En matière de gains illicites, ces acteurs sont très voraces. Ils font régner le chaos et l'anarchie dans le pays à chaque fois qu’ils veulent s’engraisser davantage dans les contrats de gré à gré avec l’État, les franchises douanières et les exonérations fiscales. Ils développent une conception strictement répressive vis-à-vis de la transparence et la redevabilité. Leurs richesses proviennent essentiellement de la contrebande, du vol, de l’extorsion et de la violence.

Quant aux hypocrites racistes et haineux, ce groupe comprend les grands conspirateurs des eaux sales. Ces acteurs poursuivent l’exécution d’un agenda d’oppression mis en branle contre Haïti depuis 1804 pour avoir défié l’ordre mondial de l’époque fondé sur l’esclavage et le colonialisme. Qualifiée tantôt d’anomalie, tantôt de menace et tantôt de défi, la révolution haïtienne ayant abouti à l’indépendance d'Haïti en 1804 est l’une des plus grandes révolutions de l’humanité. Ensuite, 81 années plus tard, soit en 1885, Joseph Auguste Anténor Firmin allait ébranler l’idéologie raciale très en vogue au XIXe siècle. Avec « De l'égalité des races humaines. Anthropologie positive », ce grand haïtien poursuit le travail de la réhabilitation de la race noire en démolissant le pouvoir épistémique de l’Europe bien établi au niveau mondial. Anténor Firmin est ainsi le plus grand intellectuel du XIXe et l’un des plus grands penseurs de l’humanité.

De ce fait, aux yeux des puissances impérialistes et racistes, Haïti est considéré comme étant un petit coin de terre habité par des femmes et des hommes noirs « insolents » qui prennent le malin plaisir à vouloir remodeler l’ordre mondial établi en déconstruisant les idéologies stériles, en renversant les rapports matériels de domination et en décentrant les valeurs. Nous représentons ainsi une véritable menace pour ces puissances qui sont en butte aux luttes insistantes des peuples autochtones pour l’autodétermination. Savez-vous par exemple que le Canada est un pays colonial ? Haïti dérange ! Face à cela, les racistes et haineux estiment qu’il y a « urgence d’agir » et le 32e président des États-Unis, Franklin Delano Roosevelt, a formulé la prescription suivante : « Il faut constamment soulever les va-nu-pieds contre les gens à chaussures et mettre les gens à chaussures en état de s'entre-déchirer les uns les autres, c'est la seule façon pour nous d'avoir une prédominance continue sur ce pays de nègres qui a conquis son indépendance par les armes. Ce qui est un mauvais exemple pour les 28 millions de Noirs d'Amérique. »

La descente aux enfers que nous vivons actuellement en Haïti n’est pas le fruit du hasard ni d’une quelconque fatalité. Elle est l'œuvre minutieusement planifiée et soigneusement coordonnée de ces quatre types d’acteurs. À cet effet, la question de ramener la paix en Haïti ne doit pas se limiter à l’élimination des monstres comportementalisés et à provoquer, à l’aide de quelques sanctions superficielles, de très légères fièvres chez celles et ceux les ayant créés, nourris, soutenus et protégés. Pour vraiment débarrasser le pays des gangs, on doit aller à la source. Les criminels à cravate doivent répondre correctement de leurs actes et il faut changer le logiciel économique et politique qu'ils ont installé depuis des décennies. Le système économique et politique instauré dans le pays est fondé sur le vol, l’extorsion, la violence et l’impunité. Il est de fait l’instance constitutive de ce cataclysme qui nous étrangle aujourd’hui.

 

Emmanuel MARION

Doctorant en sciences sociales appliquées

Mail : marionemmanuel32@yahoo.com

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