Haïti dans le collimateur des Suckers : un argument circulaire

Vous dites Sucker? Ça c’est un mot anglais, non? Mais, en tout cas, je ne vais pas me prendre la tête pour cela, parce qu’en tant qu’Haïtien, je m’en fous de l’origine coloniale des mots utilisés pour mieux décrire une situation. Je suis créolophone et non francophone. Pas plus que je ne vais défendre un héritage colonial qui maintient mes frères à genoux, même après soi-disant plus de deux cents ans d’indépendance. Laissons le français aux Français et le conflit linguistique aux colonisés. Passons aux choses sérieuses.

En anglais, le mots sucker dérive du verbe suck, et il est utilisé dans différents contextes pour signifier beaucoup de choses, malgré le fait que le verbe en soi, signifie tout simplement sucer ou aspirer en français. Un sucker est d’abord et avant tout un imbécile. Probablement parce qu’il est un sucker. On conclura peut-être qu’il s’agit d’un argument circulaire, mais c’est la vie. Le mot sucker est très complexe. Le mieux qu’on puisse dire c’est qu’on est sucker parce qu’on est sucker. C’est ce qui fait la beauté du mot.

Un jour, une collègue de travail m’a demandé pourquoi des gens comme moi ne se présentaient pas aux élections présidentielles pour sortir Haïti de la merde. Je lui demande si elle pensait avoir partagé un bureau avec quelqu’un habilité à diriger un pays. Elle m’a dit de ne pas essayer de lui faire croire que les choses étaient plus sérieuses qu’elles ne le sont, puisqu’elle n’était pas une imbécile. Une semaine plus tard, elle est venue me voir avec une vidéo du nouveau « président » haïtien dansant en petite culotte, et elle a ajouté : penses-tu que ce sucker est mieux préparé que toi? J’ai répondu : un sucker? Et, elle m’a répondu : dans tout le sens du mot. Je savais que ma collègue avait raison, mais je ne savais pas encore toute la richesse du mot sucker et comment on pouvait l’utiliser dans le contexte politique haïtien. Quelques semaines plus tard, pendant que je prenais un café avec ma collègue, elle m’a interrogé sur la situation en Haïti, et elle a voulu savoir pourquoi le peuple haïtien finit toujours par choisir le pire. Je lui dis que ce n’est pas le peuple haïtien qui choisit ses dirigeants, et que les élections sont des façades. Une sorte de semblant de démocratie pour tromper les suckers. Elle a poursuivi pour me demander pourquoi on ne met pas en place un conseil électoral crédible pour organiser les élections. Je lui réponds que ce ne sont pas les Haïtiens, non plus, qui mettent en place les conseils électoraux. Et si par hasard quelques membres du conseil échappent au contrôle des « blood suckers » internationaux, ces derniers contesteront les résultats des urnes avant même leur publication. Elle rit avant de dire : « vous êtes soit des complotistes, un de vrais suckers ». Moi, j’ai conclu le chapitre de la conversation pour dire que nous sommes plutôt les derniers. Et nous le sommes chacun « in our own rights ».

En effet, parmi nous, il y a des sangsues, comme les gangs et les « bourgeois » malpropres (une redondance, hein?) qui suçotent quotidiennement le sang des autres pour s’enrichir; il y a les politiciens corrompus qui sucent, comme Monsieur l’ambassadeur Sousepinali, pour répéter le grand conteur Maurice Sixto dans son lodyans intitulé Les ambassadeurs, pour arriver au pouvoir; et tous, ils font cela, parce qu’ils sont de vrais imbéciles. Des suckers. En fait, cela prend des Suckers (avec un grand S) pour détruire son propre pays et divertir ses maîtres coloniaux. Et cela, c’est une affaire de famille, car si l’on regarde en ce moment le sacrifice de sang offert respectivement au Sénégal et en Côte-d’Ivoire par Macky Sall et Alassane Ouattara aux dieux coloniaux pour maintenir l’hégémonie coloniale de la France en Afrique de l’Ouest, on comprend que nous ne sommes pas au bout de nos peines. Là encore, cela prend normalement de suckers, donc des imbéciles, pour croire aux belles leçons de démocratie enseignées dans les salles de cours des « grandes démocraties » du monde qui sont pourtant elles-mêmes en déficience de démocratie. Pendant que la section des droits humains des Nations-Unies ne passent pas une seule semaine sans rédiger de longs rapports bidon pour dénoncer les « violations » des droits des terroristes au Mali et au Burkina Faso, deux pays d’Afrique de l’Ouest qui choisissent l’autodétermination, cette même instance ferme les yeux sur les exactions de Macky Sall qui coûtent la vie à des dizaines de jeunes au Sénégal. Lorsque les dictatures sont au service de leurs intérêts, tout d’un coup ils deviennent sourds. Comme le proposa Manno Charlemagne, ils méritent qu’on envoie un « gwo plòt krache » en leur honneur.

Au cours de son histoire, le peuple haïtien a beaucoup sucké. Comme tout imbécile, il croyait vraiment à une quelconque solidarité internationale, jusqu’à ce qu’il réalise que les gens vendent leurs outils, mais ils n’abandonnent jamais leur profession. En effet, être colon est une façon de penser, d’agir et de voir. C’est un état d’esprit. Et, les colons d’hier ne sont pas prêts à abandonner ce qui fait leur grandeur : le rabaissement des colonisés, sans lequel ils sont tous des peuples rabougris autant sur le plan humain que sur le plan historique et culturel. Mais vue sous cet angle, on réalise que le colon lui aussi est un sucker, car il est parce que les autres ne sont pas. Il est l’esclave du besoin d’être. C’est pour cela qu’il est si méchant. Cynique comme il a toujours été.

L’opération « bwa kale » récemment lancée par le peuple haïtien est une réponse à ce cynisme. Les multiples massacres enregistrés dans les quartiers populaires pour mater la résistance contre le gouvernement bidon de Jovenel Moïse, l’importation sans restriction des armes de guerre des États-Unis par les truands « tèt kale », l’installation d’un gouvernement fantoche par les représentants des puissances néocoloniales pour maintenir la terreur imposée par les gangs armés, sont autant de faits qui ont aidé à ouvrir les yeux du peuple haïtien. Lorsqu’on regarde les nouvelles dans la plupart des médias occidentaux, on comprend toute la panique que ce mouvement sème dans les milieux coloniaux. On entend parler de violations systématiques des droits humains, alors que le peuple vit des cauchemars depuis plus d’une décennie sans que personne n’élève la voix pour dénoncer la situation. Le gouvernement colonial d’Ariel Henry, en plus de se déresponsabiliser dans la gestion de la sécurité, bloque tout initiative de la part de la police nationale pour combattre les gangs armés. Tous, ils misent sur l’échec de l’opération qui, à notre avis, présente des imperfections. En effet, si les chefs de gangs obtiennent des armes pour rançonner et assassiner les citoyens, ils ne sont pas les importateurs de ces armes. Ce qui veut dire que même si on arrivait à les neutraliser, si on ne neutralise pas ceux qui importent ces armes pour maintenir la misère et s’enrichir sur le dos du peuple haïtien, la montagne accouchera d’une souris. Dans ce cas, si le peuple doit se défendre, il faut non seulement éviter de faire des victimes innocentes, mais aussi et surtout, il ne faut pas agir à la manière d’un sucker.

Puisse toutes celles et tous ceux qui veulent en découdre avec l’attitude de sucker trouver l’énergie et le courage d’agir pour le bien du pays.

 

Wilner Predelus, PhD

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