Le procès mondialisé du système capitalisme impérial

La mise en accusation de ce système destructeur par le Centre de Recherche et d’Analyse en Histoire contemporaine d’Haïti (CRAHICH) en 217e année de l’indépendance

Partie II

Après vingt-neuf ans de dictature, une démocratie de saupoudrage

D’un autre côté, à partir de 1986 marquant la chute de l’ancien régime, l’Occident nous a flanqués sa démocratie capitaliste ou bourgeoise, taillée sur mesure et basée sur la corruption, la violence et le pouvoir du capital. Ce qui enlève au peuple toute possibilité d’exercice effectif de sa souveraineté populaire, élément nécessaire pour instaurer « sa volonté générale » en instituant une démocratie populaire . La prise et la maintenance du pouvoir deviennent une affaire de capital. Le capitalisme a tout « marchandisé » jusqu’au bulletin de vote des citoyens. Alors que dans le contexte haïtien, non seulement le bulletin de vote est un leurre, mais encore il n’est pas toujours accessible au citoyen delta. Cette dite démocratie qui est censé le masque du capitalisme impérial mondialisé n’est autre chose qu’un leurre. Ceci n’est pas particulier à Haïti, bien au contraire, cela s’inscrit dans l’ADN même de ce système. Par ailleurs, en considérant le taux d’analphabétisme et celui de la pauvreté du pays, vous conviendrez que la marchandisation ou la manipulation de l’expression populaire est beaucoup plus évidente et catastrophique à propos de notre pays, Haïti. Cettedite démocratie ne reconnait au peuple haïtien que le droit d’aller dans les urnes afin de procurer aux choix des pays capitalistes une façade de légitimité soi-disant « populaire ». Alors qu’il est un secret de polichinelle que c’est le capitaliste impérial, l’Occident ou encore, la communauté internationale qui place SES agents-dirigeants à la tête de l’État d’Haïti. Il est un fait incontestable que 35 ans après le renversement de la dictature, le seul pouvoir qui a été choisi par le peuple, c’est celui émané des élections du 16 décembre 1990, où le président Jean-Bertrand Aristide a été élu démocratiquement au suffrage universel direct par une écrasante majorité. C’était quasiment un véritable plébiscite incontestable. Cela ne saurait un fait anodin quand le candidat du FNCD , l’ancien prêtre du mouvement de théologie de libération, a gagné haut la main le scrutin avec un pourcentage de 67.48 % contre 14.22 % de M. Marc Louis Bazin, haut fonctionnaire de la Banque Mondiale et ancien ministre des finances sous la présidence à vie de Jean-Claude Duvalier, du parti MIDH . Étant donné que ce n’était pas le choix des puissances impérialistes, il n’a pas pu exercer son mandat à deux occasions consécutives. Il est un cas unique dans notre histoire : le seul président a subi deux coups d’État. Il n’a jamais pu terminer un mandat parce qu’il n’entendait pas obéir servilement aux volontés impérieuses du capitalisme impérial. En matière d’élection en Haïti, c’est la volonté des puissants qui compte, ce sont les intérêts capitalistes qui déterminent qui doit être proclamé vainqueur ou vaincu. Les Républiques capitalistes se sont érigées en obstacles devant le peuple haïtien dans le combat pour son émergence, son autodétermination et l’implantation d’une démocratie populaire sur la terre conquise par Dessalines le grand, Père fondateur de la première République noire indépendante du monde. Il convient de souligner que le capital a ses limites que les capitalistes eux-mes ignorent. Car, en dépit du fait que la USAID, suivant ce qu’a rapporté Le Monde diplomatique , a financé les élections de Marc Louis Bazin, a plus de 36 000 000 dollars américains, il n’a pu obtenir que seulement 14% du scrutin de vote au cours de ces élections du 16 décembre 1990. Cela puissance d’argent a ses limites.

La démocratie occidentale est une vraie pièce de théâtre joué constamment en Haïti

L’analyse de ces faits nous porte à comprendre et à soutenir avec le philosophe Alain Badiou que de notre point de vue de peuple opprimé, cette dite démocratie institutionnalisée, étatique, régulière, normée par l’occident est donc une pièce de théâtre que le capitalisme contemporain est en train de jouer, dont le titre est, suivant les propos d’Alain Badiou, « La démocratie imaginaire ». Le capitalisme joue si bien cette pièce en Haïti au point que nous n’avions jusqu’ici qu’une seule occasion d’élire véritablement un président à la têt L’État haïtien, pourtant on persiste à nous faire croire que nous sommes en démocratie et que nous avons le droit d’élire nos dirigeants à la tête de cet État néolibéral qui opère en Haïti sous l’auspice du groupe des pays capitalistes les plus développés, en l’occurrence le G8. Notre pays agit pour leur compte. Tout se fait par et pour le compte de ces donneurs d’ordre, etc. Pourtant, ils parlent éhontément de « démocratie » en Haïti ; sans aucune gêne, l’occident claironne sans arrêt ces slogans fantaisistes, à savoir : d’élections démocratiques, équitables, libres, honnêtes, transparentes et inclusives. Alors qu’il est intrinsèquement impossible qu’il y ait de telles élections dans un pays opprimé fonctionnant sous la houlette d’un État néolibéral. Parce que, comme l’a si bien dit David Harvey, les chiens de garde du néolibéralisme nourrissent une profonde méfiance par rapport à la démocratie. Tout « gouvernement de la majorité est perçu comme une menace potentielle pour les droits individuels et les libertés constitutionnelles » par le néolibéralisme, a écrit David Harvey, dans sa brève histoire du néolibéralisme. Pour camper ce qu’est le néolibéralisme, l’auteur a écrit ce qui suit :

Les théoriciens néolibéraux nourrissent cependant une profonde méfiance à l’égard de la démocratie. Le gouvernement de la majorité est perçu comme une menace potentielle pour les droits individuels et les libertés constitutionnelles. La démocratie apparaît comme un luxe, possible seulement dans un pays où la prospérité serait à peu près générale et la classe moyenne suffisamment puissante pour que soit assurée la stabilité politique. Les néolibéraux ont tendance à privilégier un gouvernement où siègeraient des experts et des élites. Ils ont une préférence marquée pour un gouvernement par décrets et par décisions de justice, plutôt que pour les processus décisionnels démocratiques et parlementaires. Les néolibéraux préfèrent tenir les institutions clés, comme les banques centrales, à l’abri d’éventuelles pressions démocratiques. Étant donné que la théorie néolibérale accorde une place centrale au droit et à une stricte interprétation de la constitutionnalité, il s’ensuit que les conflits et les oppositions doivent être tranchés par les tribunaux. C’est dans le système juridique que les individus doivent chercher la solution et le remède à tous les problèmes qu’ils rencontrent.

Ceci dit, les crises politiques, l’instabilité politique, la précarité de la classe moyenne, la pauvreté, la misère, les pouvoirs de facto, les pouvoirs impopulaires, incompétents et corrompus sont intrinsèquement liés à ce système. N’est-ce pas dans ce registre qu’il faut interpréter le support inconditionnel du Core-Group au président, hors-la-loi, corrompu, sanguinaire et, de surcroit illégitime et illégal d’Haïti, en l’occurrence, Jovenel Moise dont son mandat constitutionnel arrive à terme depuis le 7 février 2021 ? Ne devrait-on pas chercher à bien comprendre le sens des manœuvres des puissances impérialistes durant ces vingt dernières années sur le pouvoir en Haïti, à travers ces lunettes-là que nous propose David Harvey en prenant comme cas d’espèce l’ex-président de la République, Jean-Bertrand Aristide, victime de coup d’État en deux occasions après l’avoir combattu avec acharnement aux élections de 1990 ?

Le président Jean-Bertrand Aristide, un cas d’espèce dans l’histoire contemporaine d’Haïti

S’agissant de ces élections élisant M. Jean-Bertrand Aristide, le 16 décembre 1990, il conviendra de reconnaitre que ce cas particulier a quasiment été échappé du contrôle du capitalisme, en n’arrivant pas à imposer leur agent bien argenté et bien outillé, en l’occurrence, M. Marc Louis Bazin, au timon des affaires après la chute de l’ancien régime. Ce faisant, 7 mois après il a été renversé du pouvoir par un putsch militaire supporté par les « États démocratiques » de l’occident via notamment la CIA . Chassé et exilé, il a dû passer pas moins de 3 ans en exile chez l’Oncle Sam. Il a été retourné au « bercail », sous les conditions imposées par le « capitalisme impérial contemporain » après un long processus de chantage et de formatage d’esprit, de vision et de projet de société. Tout a été revu et corrigé par cette coalition des puissances capitalistes qui s’est nommé encore : l’Occident, monde démocratique, communauté internationale, Pays d’État de droit, etc. Par ce coup d’État, l’occident parvint à enlever la légitimité populaire du président démocratiquement élu en lui réhabilitant au timon des affaires en coupes réglées. Toutes ses décisions devaient être nécessairement entérinées par la Maison Blanche avant d’être officialisées. Car, avec ce retour contrasté on lui rend redevable à l’égard du capitalisme impérial imposant ses lois comme il l’entend. Cette redevabilité doit se traduire dans l’application servile des politiques néolibérales. Depuis lors, tout se fait en Haïti par et pour le capitalisme via ces mécanismes néolibéraux mis en place. Cela entraine, ipso facto, que le pouvoir d’Aristide va devoir changer de cap pour se conformer sur le plan du groupe des pays capitalistes-oppresseurs.

Une « restauration de la démocratie » par une force d’occupation militaire en 1994

À partir de ce coup de force de l’impérialisme (Nord-Américain en particulier), c’est-à-dire, le renversement et le retour d’Aristide d’exil le 15 octobre 1994, après 3 ans de pirouettes, de dilatoires et de manigances, en collaboration avec les alliés putschistes des Forces Armées d’Haïti, instituées par l’armée américaine avant leur départ du pays en 1934, la matérialisation du plan néolibéral entre d’emblée en exécution en faisant un bond remarquable. À cette occasion, le capitalisme a fait des bouchées doubles pour instituer ses volontés les plus capitalistiques. Tandis que les USA se chargeaient « de restaurer la démocratie » via une flotte militaro-civile composée notamment de 22 000 marines et les IFI , de leur part, prétendaient apporter la stabilité financière et du développement à travers un plan dit : « plan d’ajustement structurel », ( PAS); à partir de ce moment, il est clair que la souveraineté, à la fois politique, économique et financière du pays se trouve hypothéquée entre les mains de ses créanciers, aux grandes puissances et au « dieu du marché international » pour parodier Sophie Porchellet dans son article intitulé : construire ou reconstruire Haïti. Et, l’imposition du plan d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale impliquant une campagne de privatisation des principales institutions Étatiques sous le couvert de cette rhétorique vide que : l’État est failli, il est trop faible, il est corrompu, il est donc inapte pour gérer. Il doit les privatiser en les liquidant aux puissances capitalistes qui peuvent mieux les gérer profitablement dans l’objectif de la réduction de la pauvreté et d’augmenter le rendement de la productivité tout en assurant le bien-être de tous et de toutes. Cela implique que l’État doit volontairement abdiquer sa souveraineté sur les mouvements de biens et de capitaux au profit du marché mondial. La privatisation peut être absorbée par la bourgeoisie compradore qui opère dans le pays tout comme cela peut être fait avec des entreprises multinationales ou étrangères. C’est donc la « liberté de marché » et « le libre-échange » qui s’impose. Par exemple notre système de télécommunication sera acquis par une compagnie du Vietnam, le vietel à 60%. À partir de cette privatisation, la communication en Haïti est devenue un véritable luxe pour les couches sociales défavorisées. Il faut noter qu’en abdiquant sa souveraineté l’État renonce à la fois à sa propriété et aussi à son droit de régulation. Aristide aura tenté de contourner les exigences qui lui ont été faites. Il a résisté un petit peu, mais il n’a pas pu tenir tête jusqu’à remporter la victoire. Pour cette raison au cours de son deuxième mandat (2001-2006), il sera victime d’un nouveau coup d’État punitif qui l’obligeait à passer pas moins de sept ans d’exil en Afrique du Sud, où il a été catapulté par le trio : USA-Canada-France. Un seul président, deux coups d’État en moins que trois quinquennats. Cela ne saurait être un fait anodin. De retour d’exil pour la deuxième fois en mars 2011, il sera contraint de rester en retrait de la politique active. Toutefois, il est censé rester assez populaire et plus populaire que quiconque au moment où nous écrivons cet « acte d’accusation ». Certaines personnes peuvent aller jusqu’à dire qu’il reste incontestablement un leader d’une certaine « popularité imbattable » et « politiquement redoutable ». Toutefois c’est un avis qui mérite de réserves.

L’omniprésence de la corruption dans le fonctionnement du système capitaliste

À partir du moment qu’on commence à exercer des pressions sur Aristide, au début de son deuxième mandat, pour l’accomplissement de ses promesses, la situation commence à se dégénérer jusqu’à ce qu’Aristide perde la pédale. Il a durci sa position en renforçant sa base sociale. Il a armé quelques milliers d’OP pour la défense de son pouvoir menacé. Pour entrainer ces bases armées et ses partisans pacifiques des quartiers défavorisés, dans les ghettos, il a surplombé les institutions comme la douane et la Téléco, par exemple. La gabegie s’installe. La corruption va commencer à gangrener nos institutions de manière effrayante en partant du plus haut niveau de l’État jusqu’au simple subalterne. Une telle situation a entrainé la faillite effective de certaines institutions étatiques. Car, il a fallu de toute façon, pousser Aristide à la faute par tous les moyens pour pouvoir le discréditer ensuite tout en lui faisant perdre de sa popularité incontestablement acquise. Cela va de soi en sachant que la corruption est l’essence même de ce système ou pour mieux dire, c’est la norme fondamentale du monde capitaliste, comme l’a écrit si joliment, le philosophe Alain Badiou en définissant la corruption comme étant la loi du monde . « L’omniprésence de la corruption » est la loi du monde, écrit-il dans son essai : à la recherche du temps perdu. La corruption est là, partout et toujours. Mais, surtout, dans des pays comme Haïti si appauvri par les causes que nous avons déjà évoquées plus haut, si misérable, en conséquence, vous pouvez supposer combien la corruption peut emporter, en un clin d’œil, les maigres ressources dont dispose le pays, tout en pervertissant quasiment tout le monde. Ce qui provoquera, pour les couches défavorisées : la misère abjecte, le chômage, la privation de services sociaux basics et la faim endémique. Le clan des puissances capitalistes développées a miné le pouvoir entre les mains d’Aristide jusqu’à l’éjecter de sa fonction, une deuxième fois, sur la troisième année de son mandat. Puis, ils installent un pouvoir technocratique sous l’égide d’un haut fonctionnaire de la Banque mondiale, du nom de Gérard Latortue pour mettre en œuvre le chantier qu’Aristide a hésité de démarrer hâtivement et servilement.

Une occasion opportune pour donner le dernier coup de marteau…

La gouvernance de Latortue a été une occasion très propice pour l’implémentation du programme de privatisation et le durcissement des mesures de restructuration politiques et économiques de l’État néolibéral d’Haïti. En conséquence, la vie des masses devient plus misérable. La classe moyenne décapitalisée avec une quantité importante de travailleurs, cadres et agents de la fonction publique qui se trouvent en chômage tout bonnement à cause de la privatisation de la majorité des institutions publiques qui a provoqué cette vague de licenciement entre 2007 et 2008. La plupart de ces employés révoqués vont se réfugier en terre étrangère, (en Rep. Dominicaine en particulier) ; d’autres dans les usines de sous-traitance de l’aire métropolitaine. D’autres, au contraire, se sont dirigés dans le transport : conducteur de motocyclette, chauffeur de camionnette, de mini-bus, ou encore, certains vont intégrer ou réintégrer le mouvement des gangs armés. Et, les dés sont jetés. La néolibéralisation triomphe et l’État devient un pot de chagrin. Un État paria, dépendant totalement de l’extérieur. Ce qui pousse plus d’un à parler d’un État fictif au sujet d’Haïti.
Une nouvelle phase dans la néolibéralisation d’Haïti avec la nomination de M. René Préval

Ce plan d’ajustement structurel qui commençait à être matérialisé depuis vers les années 1980 a été systématisé à travers un nouveau document portant le nom de : « Document de Stratégie nationale pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté (DSNCRP), élaboré vers les années de 2007 avec l’installation du président René Garcia Préval. En fait, M. Préval a été clairement « nommé » de force par les puissances impérialistes en vue d’accomplir entre autres, ces tâches. Son accession à la présidence pour un second mandat a été fait en dehors de tous les prescrits constitutionnels. Parce que les résultats de son « élection » n’étaient pas conformes à la charte fondamentale votée par le peuple haïtien le 27 mars 1987, en son article : 134. Vu que le bloc des oppresseurs, capitalistes ont proclamé la victoire de M. Préval à un pourcentage de 47 % des bulletins de vote. Or, la Constitution prévoit que pour être élu au premier tour, le candidat doit obtenir la majorité absolue de cinquante pour cent plus un (50 + 1 %). Tel n’a pas été le cas. À cet effet, à 47%, il a fallu un second tour. Mais, l’international communautaire a décidé autrement en comptabilisant les votes blancs et les bulletins nuls au prorata pour pouvoir justifier la victoire souhaitée, celui de leur agent, déjà expérimenté au cours du précédent mandat (1996-2001). Très fidèle aux instruments du capitalisme, Préval a terminé ces deux mandats sans manquer même un iota. Ainsi, il a, suivant les diktats de la Banque Mondiale et du FMI, organisé le « départ volontaire » dans les institutions publiques, comme : la CINAH, AD’H, la TÉLÉCO, ED’H, l’AAN l’APN, la MINOTERIE, la CAMEP, etc., etc. Ce qui revient à dire que le Président Préval a été plus fidèle, plus obéissant aux ordres des puissances capitalistes que le président Aristide. Au moins, Aristide a tenté de faire un tout petit peu de résistance devant les blancs racistes. Et, cela lui a coûté très cher. Il aura payé lourdement les conséquences jusqu’à sa mort. D’ailleurs, même l’obéissant Préval n’aura pas connu une fin heureuse. Il sera châtié à être condamné à mort par le club des puissants pour avoir osé dire « l’indicible » une rare fois au peuple haïtien à travers un film documentaire.

Impacts de la privatisation et de la dérégulation des institutions publiques sur la population

En effet, cela entraine que durant ces deux dernières décennies le pays est embrayé vers une paupérisation à outrance. Par, exemple, suivant les chiffres de la Banque Mondiale, plus de quatre millions haïtiens sont actuellement en crise alimentaire aiguë, soit 36.36 % de la population globale vivant en Haïti. À peu près deux millions haïtiens ont laissé le pays pour émigrer en République dominicaine, au Brasil, au Chili et à des degrés moindres, au Canada et aux USA. Le pays a perdu sa souveraineté alimentaire aussi que sa souveraineté économique.

La domination et l’exploitation du capitalisme en Haïti et les conséquences mortifères

a. Sur le plan économique (commerce, richesses, production nationale, ressources minières, production agricole ;

Haïti qui était autosuffisante dans les années 1980, est devenu l’un des tout premiers clients du riz étasunien. Les riziculteurs haïtiens ont été ruinés dans les années 1980 par les importations de riz étasunien subventionné qui a envahi le marché et est entré en concurrence directe avec la production locale. Après le démantèlement des protections douanières imposées par les organismes internationaux, les tarifs douaniers sur le riz sont révisés largement à la baisse. Les États-Unis sont aujourd’hui le premier fournisseur du marché haïtien en produit agricole. Or, Haïti importe plus de 80% de riz de sa consommation de l’étranger. Dans la même veine, les cuisses de poulet en provenance des États-Unis qui sortent congeler des containers entrent directement en concurrence avec les volailles élevées sur place .

Le déclin ou le dépérissement de la culture populaire, une bataille gagnée par l’impérialisme

« Point n’est besoin d’affirmer, d’hypostasier le vodou pour reconnaitre son rôle dans la résistance. Les organisateurs de la grande insurrection de 1791 ont dû sans peine épouser le langage lui-même : il était le leur. Ils n’ont pas eu le temps d’amasser toute la somme de préjugés contre le vodou et la langue du peuple (le créole) que la petite bourgeoisie intellectuelle acquerra plus tard, sur les bancs des écoles et des églises » a écrit le sociologue haïtien, attaché de recherche en sociologie au CNRS, Laënnec HURBON. Notre culture a toujours été une arme puissante entre nos mains dans la lutte pour l’acquisition de notre liberté collective et en diverses autres occasions de résistance. C’est cette voie que nos ancêtres nous ont tracée. Mais, en fait nous nous écartons de cette voie-là et nous nous sommes acculturés. Car, nous sommes toujours colonisés mentalement. Nous sommes en train de vivre la déperdition de la valeur notre culture authentique et de notre langue populaire au profit de la langue de notre ex-colonisateur. Cela est le résultat d’un long processus d’assujettissement à travers les médiums de socialisation et dé-socialisation. Cela entraine qu’aujourd’hui, nous n’avons plus cette arme silencieuse pour combattre le néocolonialisme culturel, mais à contrario nous subissons passivement la guerre impériale culturelle qui nous est imposée. Les « assauts » de l’impérialisme ne sont pas seulement politiques ni économiques, mais aussi culturels. Et, ce qui est plus dommageable c’est que les méfaits de l’impérialisme culturel à la vie dure et s’entretient constamment pour se perpétuer. Par exemple, l’esprit de la majorité de nos compatriotes est encore enchainé par les religions occidentales. Nous sommes de plus en plus occidentalisés sous toutes les formes. Cet état de fait nous rend amorphes en nous tenant dans l’inaction sinon dans l’inefficience. Car pour être efficace il faut se doter des moyens d’action différents que ceux de l’adversaire. On ne bat pas facilement un adversaire sur son terrain propre. C’est bien dans cet ordre d’idée que M. Hurbon a écrit : Les luttes qu’ils menaient (les esclaves) les engageaient les éléments de leur cohésion : d’abord une langue, le créole, qui n’est pas un cadeau du maitre ; ils l’ont créée, c’est pour communiquer entre eux et sortir du mutisme dans lequel on veut les enfermer . Tout compte fait, on est enclin à soutenir que (parait-il) nos ancêtres esclavagisés étaient plus « intelligents » que nous aujourd’hui sur ce plan-là. Car, même en ce qui concerne la religion, ils ont pu puiser certains éléments culturels dans la religion des vainqueurs (des maitres) pour enrichir, sinon renforcer les leurs. Tandis qu’en ce qui concerne les générations d’aujourd’hui, quant à l’aliénation, nous en sommes frappés de plein fouet et nous n’y pouvons rien. À cet effet, nous sommes, pour ainsi dire, voués à un bovarysme obsessionnel et collectif qui nous porte à aimer notre oppresseur plus que nous-mêmes tout en le prenant comme modèle à imiter afin de devenir lui-même.

Or, nous devons, tout au contraire, lutter avec notre culture populaire dans cette « guerre » de culture impérialiste. Notre culture est d’ailleurs intrinsèquement une culture de résistance qui est née dans la lutte pour l’existence dans la lutte pour la liberté, l’autonomie et l’autodétermination. C’est à peu près le sens des propos de Michel Rolph Trouillot dans une mise au point sur la naissance de la culture haïtienne, cité par L. Hurbon :

Pandan kilti natif-natal-la ap leve, kilti kolon yo ap frape-l, kilti natif-natal-la ap reponn pandan l’ap sevre- a. Sé yon kilti ki fèt nan goumin. Li pa fèt anvan, li goumin apre. Li fèt pou tèt li tap goumen . L’occident a combattu systématiquement notre culture tout en nous imposant la leur. Ce faisant, en devenant des aliénés qui sont, par conséquent plus manipulables, taillables et corvéables à la merci, nous nous sommes fait avoir comme de dociles petits moutons. Alors que bien au contraire nous devons donc résister par notre culture contre l’idéologie bourgeoise qui nous traite culturellement avec condescendance en jetant un regard raciste sur nous-mêmes et sur notre culture de peuple.

Jean Willy BELFLEUR,
Directeur exécutif du centre de Recherche et d’Analyse en Histoire contemporaine d’Haïti (CRAHICH), Port-au-Prince, avril-sept. 2021.

centredanalyserecherches@gmail.com
belfleurjeanwilly@rocketmail.com

. Elle doit être entendue, suivant la définition de Léon Trotski, dans la Révolution permanente en 1936, comme une « démocratie d'un type nouveau et amélioré, grâce à l'absence de la classe des capitalistes ». Il y a lieu de distinguer d’autres types de démocratie : démocratie formelle, démocratie prolétarienne, etc.
. Fond National pour la concertation Démocratique.
. À l’époque cela s’appelait plutôt : secrétaire d’Etat des finances et aux affaires économiques. Il occupa ce poste entre Février et juillet 1982.
. MIDH : mouvement pour l’instauration de la démocratie en Haïti, Fondé par Marc Louis Bazin.
. Cité par Ayibopost, dans un article…p.2
. C’est nous qui utilisons cette expression. Quant à David Harvey, il a plutôt utilisé le terme théoriciens.
. https://journals.openedition.org/nrt/2037 . / David Harvey, Brève Histoire du néolibéralisme, Paris, Les Prairies ordinaires, coll. « Penser/Croiser », 2014, 320 p. Cité par Lyonel Jacquot.
. https://www.monde-diplomatique.fr/1994/04/A/18772
. https://ayibopost.com/30-septembre-1991-et-11-septembre-1973-deux-coups-detat-pour-un-meme-projet/ < https://www.lemonde.fr/archives/article/1995/12/10/l-etrange-jeu-de-la-cia-dans-l-affaire-haitienne_3886118_1819218.html
. Cité par Ayibopost Op.cit., p. 2. Voir, à cet égard, ce lien : < https://ayibopost.com/les-etats-unis-ont-ils-un-role-dans-le-naufrage-dhaiti/ >.
. Institutions financières internationales.
. Voir aussi : pourquoi trois entreprises de l’État haïtien se trouvent entre les mains du secteur privé ? à partir de ce lien : https://ayibopost.com/pourquoi-trois-entreprises-de-letat-haitien-se-retrouvent-aux-mains-du-secteur-prive/.
. Ce sigle est l’abréviation de : organisation populaire. Mais, bien entendu avec une certaine connotation de la perception haïtienne. En réalité ce n’était pas de véritables organisations populaires structurées et légales. Mais plutôt des groupes informels qui opéraient sous le diktat de M. Aristide. Il s’agissait pour ainsi dire d’une sorte de milice légèrement sournoise dans leur fonctionnement.
. Ibid., pp. 16-18. À la page 16 du livre, il a écrit, par exemple : « un symptôme intéressant de notre société, c’est que le scandale est en général un scandale de corruption. C’est son nom essentiel. Il est assez curieux que la corruption fasse scandale, car l’on pourrait soutenir que la société est corrompue de A jusqu’à Z. On pourrait même soutenir que la corruption est la loi intime, et que c’est pour dissimuler cette corruption systémique, et tout à fait réelle, que le scandale désigne ce qui est finalement, une sorte de bouc émissaire ».
. Nous écrivons 27 mars au lieu de 29 mars parce qu’en réalité le referendum constitutionnel a eu lieu le 27 mars 1987 et la publication de la nouvelle constitution dans le journal officiel, Le Moniteur aura lieu le 29 mars 1987, deux jours après sa votation. Nous soutenons, pour ainsi dire que, c’est la date du vote qui doit primer sur la date de publication, mais non l’inverse.
. Cf. art. 134 de la constitution haïtienne du 27 mars 1987 stipule : « Le président de la République est élu au suffrage universel direct à la majorité absolue des votants. Si celle-ci n’est pas obtenue au premier tour, il est procédé à un second tour. […].
. Voir anile Louis-Juste Jn Anile dans « crise sociale et l’internationale communautaire en Haïti, 08 aout 2003, Alterpress.
. Ibid., de la colonisation à l’esclavage économique.
. Cet extrait est tiré d’un texte de Laënnec Hurbon intitulé : culture et dictature en Haïti -l’imaginaire sous contrôle et publié aux éditions L’Harmattan, en 1979, Paris.
. Hurbon, op.cit., pp. 42-43.
. Hurbon, op.cit., pp. 42.
. Livre publié uniquement en créole en 1977 sous le titre : ti dife boule sou peyi d’Ayiti. En français, cela peut se traduire comme : « pendant que la culture populaire s’épanouit, la culture des colon la sape et la culture authentique la répond alors qu’elle se sèvre à peine. C’est une culture qui est née en luttant. Elle n’est pas née avant, puis lutte après. Elle est née pour la lutte ».

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