La leçon à tirer de l’expulsion des Haïtiens

On chercherait en vain quelqu’un que n’auraient pas choqué les images de l’expulsion musclée des Haïtiens par les États-Unis. Et les scènes les plus insoutenables dont le monde entier a été témoin, sont assurément ces garde-frontière à cheval capturant au lasso des migrants désespérés. Beaucoup disent que cette sinistre séquence nous ramène, hélas, tragiquement à la période honteuse de l’esclavage.

On reste abasourdi et révolté devant tant d'inhumanité. Que ces actes ignobles aient été commis sous une administration démocrate, dans un pays qui se targue d'être le lieu de tous les possibles, voilà qui laisse néanmoins incrédule. Une nation bâtie précisément sur l'immigration (même forcée pour certains) et qui bannit l’entrée de réfugiés sur son territoire.

L’illégalité de la mesure est patente, et Jerry Tardieu,ancien député de Pétion-Ville, l’a fait valoir dans une de ses prises de position sur la question, comparant la différence de traitement infligé à ces Haïtiens à celui réservé aux réfugiés afghans. Il y a donc bien deux poids et deux mesures dans la politique nord-américaine. C’est pourquoi le leader du parti « En avant » a fait un ensemble de propositions pour apporter une aide aux victimes, dont une assistance légale en amont et en aval, et afin de contester ces expulsions immondes, en exigeant un moratoire.

Le pire, c’est qu’aucun pays du monde « civilisé » n’a condamné cette action barbare. Tout simplement parce que c’est Haïti, un pays sans importance aux yeux des grandes puissances. Nous avons présentement « si peu à offrir », et notre misère, tellement immense qu’elle sert de repoussoir.

On espérait que cette tragédie fouetterait l'orgueil national, car finalement ce sont la misère, l’insécurité et l’absence de perspectives qui font fuir les gens. Quoi qu’on dise, les premiers responsables de ce désastre, ce sont les Haïtiens eux-mêmes — plus exactement les classes dominantes — et l’étranger a fait le reste.

Nos dirigeants n’ont jamais su prendre leurs responsabilités pour remplir correctement les tâches pour lesquelles ils ont été élus ou nommés. Ce qui les a toujours intéressés, c’est le pouvoir pour le pouvoir dans le but, secret ou avoué, de s’enrichir. Ils ne se sont jamais préoccupés de servir leur peuple, mais plutôt acharnés à se servir. Quand on leur demande rageusement des comptes, ils rejettent la responsabilité sur leurs adversaires supposés ou réels. Or l’opposant n’est pas forcément meilleur : vertueux peut-être aujourd’hui, mais une fois au pouvoir, il « gère » à la manière même de ceux qu’il a combattus. Cercle vicieux combien désespérant !

Ce sont ces mêmes irresponsables qui, dès que l’étranger les critique, ils se drapent hypocritement dans leur nationalisme de pacotille alors que dans la pratique ils ne font rien pour leur pays et leur peuple.

Comme disent les bien-pensants, pour changer la donne, on doit voter autrement. Cela s’apprend. Il faut choisir des patriotes conséquents qui ont un programme sérieux. Le peuple doit cesser de jeter son dévolu sur n’importe qui ou sur celle ou celui qu’on lui a proposé pour quelques gourdes, ou imposé depuis l’extérieur. Car on ne peut espérer que du jour au lendemain nos représentants deviennent de bons dirigeants, soucieux du bien-être collectif. Qu’ils gouvernent autrement! Que l’intérêt du pays soit leur priorité absolue  ! Qu’ils fassent enfin preuve de responsabilité et de respect de soi. Il n’y a pas de génération spontanée, malheureusement.

Bataille rangée pour le pouvoir

Après ce nouveau drame, beaucoup de gens pensaient que les compatriotes de tous bords allaient ressentir la nécessité de s'unir. On a besoin d’un vrai consensus pour accoucher d'un projet d’avenir afin que les Haïtiens puissent avoir le désir si profondément légitime de vivre dans leur pays et ne soient pas poussés à le quitter. Au contraire : les luttes autour du pouvoir se perpétuent, âpres, impitoyables, rebutantes. Comme d’habitude. Les malades du pouvoir sont sans vergogne.
 
Un accord a été signé entre le pouvoir et l’opposition. Cela n’a pas été chose aisée, vu l’esprit de division animant notre classe politique. Même des organisations de la diaspora en ont compris l’importance et surtout l’urgence. Convaincus qu’un vrai consensus est indispensable, des organisations comme League of Haitian American diaspora alliance network (LHADAN), regroupant 68 associations, dont HaitiBrigade et Voice Haitians living abroad (VOIHLA), veulent apporter leur contribution à ce qui est en train de s’accomplir sur le terrain en Haïti. On pensait que l’on pouvait enfin avancer tranquillement. Mais les jovenelistes regimbent. Ce faisant, ils reproduisent la même contestation jusqu’au-boutiste qu’ils reprochaient à l’ancienne opposition au président défunt, se comportant comme des enfants à qui on a cassé leurs jouets sous le coup de la frustration et de la colère.
 
Tout le monde sait que nous vivons actuellement sous un régime d’exception. Il nous faut à la fois inventer et recourir à certaines méthodes éprouvées pour que les choses avancent. Le temps presse. Mais les politiciens obnubilés par leurs seuls intérêts personnels ne pensent pas ainsi : ils préfèrent jouer les empêcheurs de danser en rond, quitte pour ces nostalgiques invétérés, à semer la pagaïe.
 
Étant donné la faiblesse de nos institutions et la dangereuse simplicité d’accès anonyme aux réseaux sociaux, il est difficile de contrecarrer les trouble-fêtes qui contribuent à retarder cet équilibre salutaire qui nous manque tant. Non seulement ils sont nombreux, mais leurs appétits immenses et leur soif de pouvoir, irrépressible…
 
Il incombe à l'élite intellectuelle, aux faiseurs d’opinion crédibles, aux organisations civiques, à une presse lucide et perspicace et autres forces vives de la nation de résister et de faire triompher la raison sur l'irrationalité, l'intérêt national sur la voracité individuelle, la nation sur les poisons qui la minent. Mais rien de tout cela ne sera facile, pour ne pas dire quasiment impossible. Le banditisme politique a en effet la peau dure et l’égoïsme est la chose la mieux partagée chez nous. L'image des Haïtiens qu'on martyrise à cause de leur misère devrait pouvoir, on l'espère, mettre son poids dans la balance. Sinon, c'est à désespérer de nos élites en général, incapables à ce jour de poursuivre l’œuvre de nos ancêtres qui nous ont confié le soin sacré d’une nation.

Élodie Gerdy et Sergo Alexis

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