Pour une simplification de la question de la fin du mandat présidentiel en Haïti

Au cours des deux dernières années de la présidence de Jovenel Moïse, la question de la fin du mandat présidentiel a été au centre de la plupart des débats juridico-politiques en Haïti, cristallisant deux positions diamétralement opposées suivant l’interprétation de l’article 134 de la Constitution de 1987 amendée, elle-même entachée d’ambiguïté pour ne pas dire d’une certaine contradiction. Toutes les instances politiques, juridiques, de la société civile et même la Communauté internationale s’étaient prononcées sur cette question, d’autant que dès la première année du mandat de l’ancien président de la République, certaines voix s’étaient élevées à travers des manifestations qui s’étaient amplifiées au fur et à mesure pour le forcer à quitter le pouvoir avant la fin de son mandat pour toutes sortes de raisons. La question de la date de son départ le 7 février 2021 était une aubaine pour renforcer la pression de la part de ses adversaires, qui avaient pratiquement fait l’unanimité avec le temps contre lui et dont certains lui avaient demandé dès 2019 d’écourter volontairement son mandat. Et l'on sait que cette question de départ au 7 février 2021 a été au moins en partie l’une des causes de son assassinat, puisque le spectre de son meurtre a été brandi par plus d’un de ses ennemis ou adversaires politiques pour s’en débarrasser.

Le propos de cet article se fonde sur une analyse de l’article 134 de la Constitution de 1987 amendée qui s’est révélé, au vu des immenses contestations observées depuis 2019 comme une source d’instabilité politique, au-delà de son originalité, puisque des cas de ce genre semblent n’exister que dans un seul pays au monde : les États-Unis.

1. La Constitution haïtienne et le problème épineux de date de début et de fin des mandats des présidents haïtiens
1. 1 L’article 134 est sans doute un emprunt à la Constitution américaine

Si l’on fait le tour des constitutions dans le monde, les États-Unis sont le seul pays où il existe une date fixe de prise de pouvoir et de fin de mandat des présidents de la République, soit le 20 janvier. Dans ce pays, en cas en vacance présidentielle, c’est au Vice-Président d’assurer la relève jusqu’à la date de passation de pouvoir au nouveau Chef de l’État, le 20 janvier.

Dans les autres démocraties et même dans les pays soumis à des dictatures, il n’existe pas de date fixe de transmission de pouvoir entre les présidents de la République.

Généralement, en cas de démission ou de décès des chefs de l’État, le nouveau Chef de l’État prend ses fonctions dans un délai assez court au terme d’élections permettant de combler la vacance présidentielle. Ainsi, en France, l’article 7 alinéa 4 de la Constitution stipule que de nouvelles élections présidentielles se tiendront 20 jours au plus tôt et 35 jours au plus tard après l’ouverture de la vacance.

1.2 La question de la date la fin des mandats des présidents haïtiens

La question de la date la fin des mandats des Présidents haïtiens a toujours soulevé des débats violents dans le pays, plusieurs d’entre eux ayant toujours voulu jouer les prolongations ou chercher à rempiler même si la Constitution ne leur en donnait pas le droit. À l’exception de François Duvalier, aucun d’entre eux n’avait réussi dans leur projet de prolonger leur mandat au cours des quatre-vingts dernières années.

Cette question de date fixe de passation de pouvoir entre Présidents de la République en Haïti semble avoir été imposée pendant la période de l’Occupation américaine où Franklin Delano Roosevelt, gestionnaire local de la période ou genre de proconsul avait réécrit la Constitution haïtienne de 1918, soit quinze années avant son élection comme président des États-Unis, en 1933.

Jusqu’à l’élection de François Duvalier, la date de fin de mandat des présidents de la République en Haïti était fixée au 15 mai. Selon la Constitution de 1957 sous l’égide de laquelle fut élu ce dictateur, investi le 22 septembre de la même année, il devait quitter le pouvoir à la fin son sexennat le 15 mai 1963.

Il en était de même pour son prédécesseur, Paul Eugène Magloire, qui avait été élu le 8 octobre 1950 et qui devait tirer sa révérence le 15 mai 1956 et dont on sait qu’il avait voulu garder le pouvoir au-delà de cette date constitutionnelle. Cependant, il a été contraint de partir le 6 décembre de la même année au terme d’une grande crise politique.

C’est la Constitution de 1987 qui a changé la date de terme de mandat pour le fixer au 7 février même si seuls deux chefs d’État, René Préval et Michel Martelly ont pu boucler normalement leur mandat, le premier ayant pu bénéficier d’un arrangement de la loi électorale de 2009 pour partir le 14 mai 2011 au lieu du 7 février de la même année sous le prétexte qu’il était investi le 14 mai 2006. Ce qui était une irrégularité, puisqu’une loi ne peut prévaloir sur la Constitution.

2. Les grandes différenciations juridiques concernant le terme du mandat du Président de la République en Haïti

2.1 La différenciation mandat électoral et mandat constitutionnel

La Constitution de 1987 amendée distingue dans le même article et dans deux alinéas le mandat électoral et le mandat constitutionnel.

Le mandat électoral du Président de la République correspond à une période de cinq années suivant l’article 134-1 de la Constitution de 1987 amendée qui dit que le Président est élu pour cinq années et que « cette période commence et se termine le 7 février, suivant la date des élections ».

.Dans le cas de Jovenel Moïse, qui avait pris ses fonctions le 7 février 2017, il était facile de prévoir que son mandat devait arriver à terme le 7 février 2022. Ce qui était dans la tête de tout le monde au départ.

Cependant, les grands interprètes de la Constitution de 1987 amendée ont font valoir qu’il existe un autre mandat, le mandat constitutionnel qui s’applique à tous les élus de la République (président de la République, sénateurs, députés, etc.). C’est un mandat extrêmement rigide qui ne souffre aucune exception ou circonstance atténuante. En ce sens, l’article 134.2 de la version amendée de la Constitution de 1987 stipule ceci :

« L’élection présidentielle a lieu le dernier dimanche du mois d’octobre de la cinquième année du mandat présidentiel. Le Président élu entre en fonction le 7 février suivant la date de son élection. Au cas où le scrutin ne peut avoir lieu avant le 7 février, le Président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection ».

Jovenel Moiise a été élu effectivement le 20 novembre 2016, remportant l’élection avec 55, 60 % des suffrages qui étaient exprimés, mais le taux de participation des votants n’a été que de 21 %.

2.2. Les grands points du débat mandat électoral et mandat constitutionnel à la fin du mandat de Jovenel Moïse

Il faut différencier la position des Haïtiens d’un côté, et de l’autre, la position de la Communauté internationale emmenée par les États-Unis.

2.2.1 Le débat interhaïtien

L’un des grands défenseurs de Jovenel Moïse était Mathias Pierre, qui était d’ailleurs son ministre chargé des affaires électorales, a été très tranchant envers ceux qui militaient pour le départ de l’ancien President le 7 février 2021. À ceux qui avaient fait valoir que Jovenel Moise a été élu conformément au processus électoral de la période de 2015-2016 et que le terme de son mandat était le 7 février 2021, il avait rétorqué en disant que « c’est une absurdité que de penser que les élections de 2016 ont été la continuité de celles de 2015. Entre 2015 et 2016, il y a eu deux processus électoraux distincts. En 2015, les élections organisées par le gouvernement de Michel Martelly ont été annulées. En 2016, le gouvernement provisoire de Jocelerme Privert a initié un nouveau processus électoral ».

Pour renforcer son argumentation, il avait ajouté ceci :

« Le Processus électoral qui a conduit le Président Jovenel Moïse au pouvoir a commencé avec l’arrêté présidentiel du 24 mars 2016, créant un nouveau Conseil électoral provisoire. Par la suite, un calendrier électoral a été publié et les candidats de la présidentielle annulée ont été invités à confirmer leur inscription : ceux qui n’ont pas fait cette confirmation s’y excluaient automatiquement ».

Pour des juristes et les opposants à Jovenel Moise qui s’étaient fondés sur l’article 134-2 de la Constitution amendée, l’analyse était diamétralement opposée. Ainsi, le Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH) avait soutenu dans un document de quinze pages analysant le cadre juridique ayant prévalu lors de l’organisation de ces joutes en 2015 qu’il « ne fait absolument aucun doute que le mandat du Président Jovenel Moïse, vainqueur au premier tour selon le CEP du processus électoral, initié le 25 octobre 2015, prend fin le 7 février 2021 ».

Une telle analyse, pour le CARDH, est réalisée conformément aux prescrits de l’article 134-2 de la Constitution et au principe d’appliquer et de respecter strictement la Constitution.

Il en était de même de la plupart des intervenants haïtiens de l’opposition qui, pour une fois, parlaient d’une seule et même voix.

Un ancien candidat à la Présidence en 2015-2016, soit lors des mêmes élections où s’était présenté Jovenel Moise, Jean Hervé Charles avait déclaré que dans le journal Rezonodwès, qu’il a été prévenu en ce sens par le directeur des opérations du Conseil électoral provisoire qui lui avait clairement expliqué que le mandat du président élu à la suite des élections de 2015-2016 prendrait fin le 7 février 2021. Ce qui l’avait refroidi à un certain moment et qui l’avait presque poussé à retirer sa candidature puisqu’il « aurait perdu un an de son mandat ».

Il avait continué son intervention en soutenant que « c’est pourquoi les élections qui ont conduit au mandat de Jovenel Moise ayant eu lieu le 20 novembre 2016, …, selon la Constitution haïtienne ont commencé en 2016 (après la validation du scrutin, son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection 2016) pour se terminer en 2021 comme le CEP l’a indiqué à tous les candidats ».

2.2.2 La position des instances internationales

Pendant tout ce long débat, les instances internationales, sans doute farouchement alignées sur la position du gouvernement américain, s’étaient positionnées en faveur de Jovenel Moise en s’appuyant aveuglement sur l’article 134-1.

À preuve, la position de l’Organisation des États américains (OEA) dont le Secrétaire général, Luis Almagro était très clair dans une déclaration où il avait affirmé dans un communiqué de presse publié, le 29 mai 2020, sur le site internet de l’organisation que « … le mandat du président Jovenel Moïse arriverait à terme le 7 février 2021 ».

3. Que tirer de ce débat sur la question du mandat du Président de la République en Haïti ?

Il faut recommander que tout amendement ou révision future de la Constitution s’évertue à simplifier la question du début et de la fin du mandat du Président de la République en Haïti.

Le processus en vigueur s’est avéré d’une extrême rigidité qui aboutit à aggraver l’instabilité dans un pays champion de l’instabilité depuis 1804. Je propose simplement qu’on suive les modèles en vigueur dans tous les pays du monde à l’exception des États-Unis, à savoir que l’on supprime ce corset de mandat électoral pour la fonction de président de la République. Il conviendra simplement que, dans un pays où il n’est pas sûr que le Président puisse commencer ou finir son mandat à une date fixe, il vaut mieux compter désormais uniquement le temps électoral. Nous rappelons à cet égard que c’est le cas de la France, des États africains et de presque tous les autres pays de la planète et que la question du temps ou du mandat constitutionnel ne conviendrait en principe qu’aux pays stables.

D’ailleurs, on a vu que cela a été toujours difficile à faire respecter en Haïti au cours des quatre-vingts dernières années au moins.

Le mieux pour le pays est d’éviter les complications en faisant les choses de la manière la plus simple afin d’éviter des crises à répétition dans un pays où tout est prétexte aux crises interminables.

La même recommandation pourrait s’appliquer à la question du remplacement du Chef de l’État en cas de vacance présidentielle. Pourquoi, prévoir dans l’article 149 deux modalités de remplacement ? L’une qui évoque la passation du pouvoir au profit du Conseil des ministres si la vacance se produit dans les trois premières années du mandat du Président, et l’autre, par un élu désigné par l’Assemblée nationale à partir de la quatrième année du mandat.

Conclusion

Cet article procède, comme nous l’avons dit au départ, de l’idée, voire la nécessité que tout amendement ou révision de la Constitution haïtienne s’applique à simplifier un ensemble de processus pour éviter la survenue d’épisodes d’instabilité et de débats dont le pays pourrait faire avantageusement l’économie. Que désormais il n’existe plus dans un pays aussi instable que le nôtre un seul type de temps relatif au début et à la fin du mandat du Président de la République : le temps électoral. Cependant, pour des raisons d’économie, je recommande de conserver le mandat constitutionnel pour les autres catégories d’élus (sénateurs, députés, maires) de même qu’il semble inutile d’avoir des sénateurs pour des mandats différenciés de 2 ans, 4 ans et 6 ans.

Jean SAINT-VIL
jeanssaint_vil@yahoo.fr

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